[Chronique] Fil – « J’aime »

Voilà un disque qui arrive sans fracas, à pas feutrés, et qui installe une vraie intimité sobre et durable. « J’aime », premier album solo de Fil, sorti fin octobre 2025, est un album qui avance droit, porté par une sincérité poétique et une élégance musicale qui forcent l’attention.

On connaissait Fil aka Éric Philippon, comme guitariste et mélodiste de La Tordue, puis comme compagnon de route de Loïc Lantoine. Ici, il se dévoile autrement, pleinement. Il chante ses propres mots comme ceux des autres, avec une voix profonde, habitée qui s’offre en cadeau. On comprend rapidement que cet opus sera un beau geste intime, un aveu.

La beauté des chansons tient d’abord à leur équilibre. Les guitares électriques, méditatives et mutines, sculptent de vastes paysages intérieurs. Elles savent être limpides, parfois tranchantes, souvent aériennes où chaque son semble à sa place. On pense aux magiciens, quelque part entre la poésie rock de Kat Onoma et le groove de Gaétan Nonchalant. Les textes, eux, vont à l’essentiel. Une écriture sur le fil, précise, débarrassée du superflu, proche de Dominique A ou de Miossec. Fil parle d’amour, de fraternité, du temps qui passe, de la vie, avec des mots simples et un goût pour l’intensité du spleen.

« Comment dire », véritable exercice de style, enchaîne des aphorismes du langage courant pour mieux en révéler la charge émotionnelle. « En un mot » condense une philosophie de vie, une façon d’être au monde, avec une économie de moyens bouleversante.

Les trois morceaux instrumentaux jouent un rôle clé dans l’architecture du disque. Ils ne sont pas des interludes anecdotiques mais de véritables respirations, des espaces de lâcher-prise où l’imaginaire peut vagabonder librement. « Horizon » ou « Rêve orange » ouvrent des fenêtres mentales, laissant la musique parler là où les mots se taisent, prolongeant le récit de façon sensible.

Moment de grâce au cœur de l’album, « Toujours », duo avec Fanie Mottier, coécrit avec elle, chante l’amour sans emphase ni mièvrerie. Deux voix qui se répondent avec pudeur et évidence, comme si le morceau avait toujours existé ainsi. C’est simple, juste, profondément touchant.

La beauté de J’aime réside aussi dans ce qu’il raconte en creux : un parcours, une reconstruction, une libération. Fil a pris le temps nécessaire pour se trouver, pour s’autoriser à écrire, à chanter, à être pleinement lui-même. Cet album sonne comme un aujourd’hui assumé, un point d’équilibre entre introspection et ouverture aux autres.

Autoproduit, entouré d’une équipe complice Romain Baousson à la réalisation, Martin Saccardy à la trompette, Olympe Philippon au violon et au dessin de la pochette « J’aime » est un travail collectif au service d’une vision personnelle. Un opus épuré, généreux, authentique, qui ne cherche pas à séduire mais qui touche, profondément.

Avec « J’aime », Fil signe un premier album solo d’une grande beauté, un disque de cœur et de chair, qui donne envie de le suivre sur scène, là où ces chansons, déjà lumineuses, promettent de prendre encore plus d’ampleur. Un album sincère, et nécessaire.