A l’occasion d’un voyage en Italie quasi-mystique, Béatrice Dalle part à la recherche de l’un de ses héros, Pier Paolo Pasolini. Poignant, saisissant et forcément poétique.
Béatrice Dalle et Pier Paolo Pasolini, c’est déjà une longue histoire. La comédienne s’est en effet associée à Virginie Despentes pour une longue série de lectures musicales dédiées à l’œuvre du très décrié cinéaste et poète italien mort assassiné en 1975.
Pour ce film, Béatrice Dalle est seule à emmener le spectateur dans un voyage initiative à la recherche d’une personnalité littéraire très controversée de la fin du XXe siècle.
Né en 1922 à Bologne, Pier Paolo Pasolini laisse derrière lui de nombreux films jugés scandaleux à l’image de sa dernière œuvre cinématographique, “Salo ou les 120 journées de Sodome”, inspirée par les textes du Marquis de Sade mais il est aussi un auteur tout aussi décrié. Être un communiste et un militant antifasciste de premier plan n’était pas tous les jours facile dans l’Italie du milieu du XXe siècle.
Béatrice Dalle sous un charme mortuaire
Sans rentrer dans tous les détails de sa vie, ce serait trop long, disons que Pasolini porte en lui tous les arguments pour séduire Béatrice Dalle. La comédienne ne manque pas d’ailleurs pas une occasion de lui rendre hommage. Elle s’en dit même « amoureuse », tout comme elle se dit également l’être de Jean Genet ou de Jésus ! Elle se déclare tout autant veuve de Kurt Cobain (Courtney Love doit apprécier…) !
Autant dire que lorsque le réalisateur belge Fabrice du Welz lui propose de marcher sur les traces de Pasolini en Italie, Béatrice Dalle accepte sans trop se poser de questions. « J’avais l’idée de faire un documentaire autour de la personnalité complexe et fascinante de Béatrice, indique Fabrice du Welz . Très vite est arrivée l’idée de l’emmener en Italie sur les pas d’un autre grand écorché que Béatrice vénère : Pier Paolo Pasolini. Il s’agissait de faire un documentaire itinérant qui explore les différents lieux de vie et de travail du poète. Un portrait libre et expressif où Béatrice remonte le chemin d’une vie passionnée en écho avec la sienne. Puis est venue l’idée d’en faire un objet hybride, une sorte de docu-fiction qui plongerait Béatrice dans des situations périlleuses avec pour objectif de sonder encore plus loin son humanité. Le film la suit au pays de l’homme de sa vie : Pier Paolo Pasolini. »
Un long travail de mémoire
On l’aura compris, tout le film se cristallise autour de la personnalité fantasque de Béatrice Dalle. La Betty de Jean-Jacques Beineix dans “37°2 le matin” n’a rien perdu de son aura, ni de sa pertinence. Elle est juste beaucoup plus mystique, plus respectueuse aussi. La punk se fait toute douce pour évoquer la mémoire de l’un de ses êtres chers, quoique décédé.
Accompagnée par Clément Roussier, indispensable interprète, elle découvre avec passion les lieux marquants de la vie de Pasolini lors d’un long voyage aux multiples arrêts, en voiture ou en train, entre Rome et la Sicile.
Les images, en noir et blanc, resplendissent de beauté et rendent parfaitement hommage à la figure tutélaire de Pasolini. L’ensemble se présente comme un documentaire et on apprend effectivement beaucoup sur l’homme, sur son œuvre, sur sa famille tout en épousant parfaitement l’état d’esprit de Béatrice Dalle lors de ce voyage mémoriel.
Les plans multiplient les clins d’œil cinématographiques. On pense à Godard mais aussi aux maîtres du cinéma Italien d’après-guerre, Rossellini, De Sica et autres Visconti et bien sûr Pasolini dont de nombreuses images sont reprises, comme dans ce cinéma où Béatrice Dalle est filmée, captivée, à l’occasion d’une projection de “L’Evangile selon Matthieu”. Tout cela semble hors du temps, ou tout du moins d’un autre temps, et résonne comme une plongée dans le passé. On ne sait jamais si Béatrice Dalle joue ou est simplement filmée au naturel dans sa dévorante curiosité d’en apprendre toujours plus pour nourrir sa relation passionnée avec l’intellectuel italien de ses rêves a priori tourmentés …
Pasolini, un homme trouble
Le film n’oublie les controverses et s’arrête longuement à Ostie, la plage romaine où Pasolini fut sauvagement assassiné la nuit du 1er au 2 novembre 1975, à l’âge de 53 ans, par une bande de jeunes gens sans que l’on connaisse vraiment les tenants et les aboutissants de ce crime forcément sordide pouvant ressembler à un jeu sexuel ayant mal tourné.
Il faut le dire, l’homme, passé 22 h, aimait jouer avec le feu des interdits en multipliant les relations homosexuelles d’un soir avec des jeunes mecs peu fréquentables.
Point fort du film, les rencontres comme celle avec la mère du poète ou encore, entres autres personnes qualifiées, avec Abel Ferrara. Installé à Rome, ce dernier a accepté d’être à son tour interrogé. Béatrice Dalle rayonne en découvrant les propos du metteur en scène non moins sulfureux. Elle irradie d’ailleurs l’ensemble du film, avec sa gouaille habituelle. Et la conversation, agréable et passionnée, prend tout son sens lorsque l’on sait qu’Abel Ferrara a réalisé, en 1974, un film consacré aux derniers jours de la vie de Pasolini.
Un documentaire entre connaisseurs pour le plus grand plaisir des spectateurs forcément happés par l’aura quasi-mystique d’une telle œuvre !
La passion selon Béatrice un film de Fabrice du Welz avec Béatrice Dalle, Clément Roussier. 80 mn. Noir & Blanc. En salles le 20 novembre.
Patrick Auffret