Petit bijou caché à proximité immédiate de la plage sur la commune de Montmartin-sur-Mer dans la Manche, le festival Normand CDLN célébrait du 13 au 16 juillet sa 31ème édition.
Pour accéder au festival Chauffer Dans La Noirceur, (conduire la nuit, donc faire la fête en Québécois), il faut d’abord descendre d’une petite colline par une route en lacets. D’un seul coup, la vue, magnifique, se dégage. Un grand chapiteau blanc se détache entre les parkings. Derrière, une dune et une plage de sable de blanc. Nous sommes sur un site classé et protégé au cœur d’une nature sauvage et préservée. « L’immersion dans un paysage comme celui-ci n’est pas arrivée par hasard, indique Isiah Morice, coordinateur du festival depuis septembre 2005. Nous avons toujours eu des affinités fortes avec la nature et cela a nourri le projet. Nous n’avons jamais cessé de dire collectivement que nous voulions organiser un événement durable, non pas pour exploiter le terrain sur lequel on est, mais pour le valoriser. Nous avons par exemple restauré la dune, la nature a repris sa place. Le festival a un impact positif sur l’environnement tout en privilégiant la diversité sous toutes ses formes, y compris dans la musique. »
Depuis une trentaine d’années, l’association organise le week-end du 14 juillet un grand rendez-vous festif pour animer la vie sociale et culturelle du pays. Cette grande fête des musiques actuelles et émergentes se déroulent loin des grosses machines qui rythment désormais les étés des festivaliers de tous âges.
En cet été 2023, un nom avait particulièrement attiré notre attention. A raison car le concert de Temples fut magique. Ce que nous ne savions pas c’est le nombre de trouvailles musicales dispatchées sur les quatre scènes du festival. On a ainsi adoré cette année le show totalement déluré de Delilah Bon,
l’esprit rebelle de Sueur, la psyché orientale de Satellites, et le set impressionnant de maîtrise de You Said Strange en trio. Un choix forcément subjectif car le festival propose des artistes, et pas forcément émergents, dans tous les domaines des musiques actuelles. L’an dernier, par exemple, CDLN avait été l’un des premiers à programmer Zaho de Sagazan, la jeune artiste désormais adoubée par toute la profession. Et il y a même du théâtre de rue pour rythmer les après-midis entre les éventuelles baignades, la mer est à deux pas ….
Pour tous les goûts et de toutes les couleurs
« Nous sommes pour la diversité, poursuit Isiah Morice. Nous travaillons en collectif sans acheter un catalogue. Nous ne travaillons pas les ventes de disques ou les entrées de concert. Nous échangeons, avec nos réseaux, sur environ un millier de groupes par an, avec un objectif : ne pas programmer des albums mais des live. Il faut qu’il se passe quelque chose sur scène. Ensuite, il y a cette logique de diversité.»
Loin des programmations-photocopies des grands rendez-vous estivaux, CDLN a d’abord appris des Transmusicales, le festival Rennais précurseur en la matière sans pour autant en avoir le même fonctionnement, notamment en termes de financements publiques. « En France, pour tous l’exemple, c’est les Transmusicales mais tous font l’inverse des Transmusicales. C’est étonnant. En fait, notre grand-frère, c’est plutôt Jazz sous les pommiers. Pour eux comme pour nous, le plus important reste le projet culturel.»
Un projet fédérateur, à l’image des Vieilles Charrues. Le méga-festival Breton se déroule cette année aux mêmes dates que CDLN, les Francofolies aussi d’ailleurs sans que cela ne mette pour autant en péril l’économie (700 000 euros cette année) d’une manifestation ouverte chaque jour à 4 500 festivaliers mais aussi à 600 bénévoles (10 fois moins qu’aux Vieilles Charrues mais il n’y en a jamais eu autant) et à une centaine de professionnels. « Atteindre une jauge complète nous a pris 20 ans. C’est une question d’éducation. A Montmartin, il y a une quinzaine de groupes pour un village de 1 500 habitants. Les gros festivals, eux, servent de la soupe, et en grande quantité même s’ils ne font pas que ça. Ils font plus de l’achat de spectacle que de la programmation. C’est un problème mais notre projet social est similaire à celui des Papillons de Nuit. »
Cette année, CDLN a comptabilisé 16000 festivaliers sur 4 jours, le vendredi et le samedi ont affiché complet.
Une édition dans le vent
Cette édition 2023 a été particulièrement mouvementée, notamment du fait dans la nuit de vendredi à samedi d’une météo calamiteuse. Une violente ondée, portée par de très grosses rafales de vent, est venue perturber le bon déroulement d’une manifestation pourtant rôdée par 30 ans d’expérience.
Horace Andy, le pape du reggae dub Jamaïcain, était ainsi sur scène à 22h 30 avec son staff pour, à 72 ans, déployer sa musique enfumée mais n’a pas pu le faire : inondée, la scène était impraticable, car jugée trop dangereuse. Un coup dur pour l’organisation. Beaucoup auraient jeté l’éponge, pas CDLN. Horace Andy a juste joué ailleurs, sur une autre scène toute proche et avec toujours le sourire ! « Nous, on n’annule jamais, conclut Isiah Morice. Beaucoup de festivals et de salles de concerts annulent et déprogramment. Cela ne nous arrive jamais et vendredi, nous avons montré notre capacité de réaction. Cela nous a obligé à replacer trois groupes dans les autres scènes, donc modifier le planning de 8 groupes et en faire jouer certains sans balance. Tout le monde a finalement joué le temps prévu ! Nous sommes assez fières d’être arrivés à ce tour de force et de trouver une solution sans prendre de risques. »
Et ainsi permettre à ceux qui seront peut-être les gros vendeurs de demain de jouer sans encore subir la pression des médias sans encore trop se soucier des retombées économiques.
Pour sûr, certains artistes programmés cette année vont exploser prochainement. On ne citera pas de noms à la volée car l’idée est davantage de découvrir les artistes live autrement que sur YouTube ou Deezer. Et de toutes façons, tous les musiciens programmés ici partagent une même qualité, celle d’être d’abord des artistes de live !
Patrick Auffret (avec Lysianne Roche)