“Christine” de John Carpenter. L’amour à la machine.

Qu’il est bon de se caler voluptueusement dans son canapé et se remémorer les films marquants d’une jeunesse évanescente. Qu’il est troublant de remarquer l’absence prononcée des Maitres de l’épouvante dans le paysage cinématographique actuel. Joe Dante, John Carpenter, que devenez-vous ? Retour, donc, sur l’un des sommets du cinéma fantastique et l’une des adaptations les plus parfaites de Stephen King : “Christine”.

Il fallait avoir la classe et le talent de Mister Carpenter pour s’atteler à tel ouvrage et mettre en image une écriture des plus cinématographiques… sans verser dans l’œuvre scolaire.

Quand certains se seraient contentés de dérouler un fil narratif sans relief, le réalisateur d'”Assaut” transcende cette histoire de voiture maléfique en un long-métrage divinement rock n’roll. Auréolé d’un palmarès de films électrochocs (il n’a que 30 ans lorsqu’il réalise “Halloween”!) à faire pâlir tout jeune cinéaste en 1982, John Carpenter démarre sur les chapeaux de roues dès les premières minutes avec un “Bad to the Bone” (par George Thorogood) décapant.

Chez Carpenter, tout travelling est affaire de tension.

Ainsi, notre architecte de l’horreur filme sa Plymouth Fury sur une chaine de montage comme un examen gynécologique. Erotisation de la carcasse flambant neuve qui se déplace langoureusement vers son check-up, ouverture du capot et caméra en plongée sur l’intérieur de la belle. Mais on ne touche pas impunément une lady. Le réceptacle se referme violemment sur la main baladeuse, provoquant l’arrêt du cheminement mécanique et un membre endommagé. Vous l’aurez compris, “Christine” est l’œuvre la plus sexuelle de Big John et les symboles y foisonnent comme autant de messages subliminaux.

Exemples ? Les premières paroles échangées entre Arnold Cunni-ngham et Dennis Guilder sont ouvertement salaces et la quête d’un dépucelage un leitmotiv constant. Les personnages féminins se réduisent à des fantasmes adolescents (le QI des protagonistes en jupette importe, malheureusement, peu) et leurs traits psychologiques sont dessinés à la serpe.

Mais le protagoniste de cette histoire, en voie de mutation, n’est pas non plus épargné.

Son humour « beauf » se veut plus saignant et ses répliques plus tranchantes

Arnie envoie paitre ses parents, délaisse le look « nerd » pour un style 50’s plus affirmé (gomina et démarche chaloupée à l’appui) et se découvre une virilité exacerbée.

Notre anti-héros tombe la chemise (et les filles) pour un perfecto et se substitue à ses bourreaux.

Fuck the World.

Connard en mode céli-batard.

Eh mec ! Elle est où, ma caisse ?

Christine est sa muse. Son lupanar en mouvement.

Son dernier territoire d’émancipation.

Sa tire l’attire.

Doit-on nommer la pléthore de longs-métrages américains où nombre de couples s’emballent joyeusement dans leur véhicule au sein d’un drive-in ?

Forbans de l’ennui dans une boite hermétique à l’abri des regards.

En 1978, face à la pudibonderie des parents sans jeunesse, la chambre idéale sent, alors, le cuir et le gas-oil.

Happy Days ?

Pas vraiment.

A l’aube d’un Reagan ricanant, l’Amérique WASP se veut irréprochable, loin des blousons noirs et des filles faciles.

Vitrine rutilante et mensonge par dessous.

Cette génération perdue composerait, donc, entre les prêches du dimanche et un destin tout tracé ?

John « The Next Big Thing » rectifie le tir et parsème ses productions d’alcool, paquets de clopes et autres pétards.

La drogue comme facteur inestimable d’un quotidien sans entrain.

At last ?

La chair et l’essence.

Fonzy(zi) versus Suzy Q, s’essoufflent, le cul entre deux chaises.

Lipsticks et chrome aux Hommes sur la b(l)anquette arrière.

Enfin, l’utilisation de la voiture comme substitut d’un pénis (Christine s’engouffrant, de force, dans une impasse afin de tuer l’un de ses “agresseurs”) ou l’incarnation d’une victime passive (le bulldozer écrasant “par derrière” cette bagnole de l’enfer, mimant ainsi une copulation forcée) alterne le chaud et l’effroi.

“Christine”, long-métrage freudien et sexiste ?

Carpenter est bien plus malin que cela et clôt sa chronique via une morale en demi-teinte. Certes, la bagnole adorée finira concassée et son propriétaire empalé.

Certes, nos deux amoureux solitaires, face à l’adversité, finiront par se rapprocher, laissant le Diable dans une décharge.

Mais leurs regards semblent inhabités, à tout jamais.

Dans cette avalanche de fétichisme, comment ne pas penser à “CRASH” de J.G. Ballard et à son adaptation fidèle par David Cronenberg ? Ou à un Faust (and Furious) moderne ?

Eros et Thanatos.

Le corps en surchauffe.

 

1982. 2022.

Crash Test. Pare-chocs.

Cette histoire d’amour déviante sur fond d’ensorcellement n’a rien perdu de sa hargne ni de son statut de film “cul-te”.

C’est l’apanage des films populaires et des cinéastes culottés. Parler au plus grand nombre tout en grattant une plaie qui ne cicatrise pas avec le temps.

Classique, implacable et sulfureux, “Christine” est indéniablement un film monstre.

Un plaisir coupable de cinéphile.

Le long-métrage cabossé d’un moviemaker qu’a bossé.

 

John Book.

 

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