BRAZZIER LIGNES FUTURES D’UN FROID ARDENT

Vous l’aurez compris Max Balquier, cette fois en solo et sous le nom de Brazzier, a sorti début novembre son premier album « Lignes-Futures » déjà chroniqué ici.
Inutile aussi de vous dire, à nouveau, que nous avons particulièrement aimé son bouillonnement électrique. Oscillant a la perfection entre noirceur et incandescence, ni trop lisse, ni trop âpre, qui lui permet d’exprimer pleinement son univers musical sans en étouffer les paroles.
Et ça tombe bien puisque Max à des choses à nous dire et nous des questions à lui poser !
Je ne doute pas qu’en lisant cet entretien cela donne envie a ceux qui ne le connaissent pas encore de lui offrir le succès qu’il mérite.
Je vous sent maintenant impatients et oserais-je dire « sur des charbons ardents » je vous laisse donc lire et découvrir Brazzier !

Explique-moi comment a démarré l’aventure de Brazzier ? 
En 2018, j’ai sorti un album avec You Vicious, un duo composé avec le batteur Bren Costaire.
Un soir assez particulier de Juillet 2018 où il y avait une « Lune de sang », j’ai composé un premier morceau très simple. J’ai écrit le morceau et son texte en français d’une traite. Je le trouvais plutôt réussi, en l’état, et il est sur l’album exactement comme il a été écrit ce soir-là.
Je trouvais qu’il n’avait pas forcément sa place dans le contexte de You Vicious, qui est un groupe, plutôt basé sur l’énergie avec une batterie, des guitares, etc. J’avais ce premier morceau-là, j’en ai écrit ensuite un deuxième, un troisième. Peu à peu j’en ai écrit huit comme ça.  J’ai essayé de garder une certaine ligne directrice, c’est-à-dire rester uniquement sur du travail électronique avec des synthés, des boites à rythmes, etc. Et puis du chant plutôt en français. Je trouve qu’en français on peut exprimer quand même davantage de choses qu’en anglais. On n’est pas forcément obligé de partir sur des choses efficaces ou catchy, avec des refrains entêtants, etc. J’ai plutôt voulu raconter des histoires en quelques sortes.
Ça s’est fait en parallèle de concerts qu’on avait par ailleurs avec You Vicious. Quelque part, c’est une échappée que j’ai voulu faire.

Pour toi la démarche première par rapport à You Vicious et ton autre groupe Frigo, ça serait quoi ? Pas forcément sur l’aspect musical, mais plus personnel qu’est-ce qui délimiterait vraiment les choses au niveau de ton champ d’action et de ton champ de réflexion ?
Brazzier c’est un projet solo. Dans les textes, j’expose mes états d’âme, mes désillusions, mes espoirs aussi. C’est un travail assez introspectif, assez personnel.
Dans ce contexte-là, j’ai préféré rester en solo, construire un univers qui m’était propre, sans vouloir forcément impliquer d’autres personnes car les histoires que je raconte sont forcément un peu autobiographiques.
J’ai aussi décidé de le sortir moi-même. Tu vois les aspects promo, etc., je fais ça tout seul aussi. Quelque part, je voulais vraiment mener ce projet de A à Z, en mode Do It Yourself.  Je le sors en CD et Vinyle, l’idée était de faire un bel objet et de le sortir pour ceux qui le voulaient en physique.
Je me suis aussi posé la question de faire du live ou pas. La question, elle ne se pose plus vraiment, vu le contexte.
Mais je voulais surtout quelque part m’inscrire dans une démarche personnelle avec ce projet-là. Alors que les autres projets, c’est plus basé sur l’échange, sur le fait de jouer avec quelqu’un d’autre.

Là tu parles vraiment d’un projet qui était hyper personnel et surtout le fait que tu reprennes un projet en solo. Ce qui est aussi majeur pour toi je suppose ?
En effet, je me sentais prêt aussi pour ça, parce que ça fait un peu plus de 20 ans que je fais de la musique, j’ai toujours fais de la musique en trio ou en duo (je n’ai jamais trop apprécié être nombreux). 
Mais là, se lancer tout seul, sans forcément avoir beaucoup de recul et d’échanges sur les morceaux, c’est quand même un processus qui est complètement différent de celui de jouer en groupe. C’est assez particulier, puisqu’à part faire écouter à quelques amis, on n’a pas forcément beaucoup de retours critiques, etc.
C’est la démarche que j’ai voulu faire au bout de 20 ans. C’est vrai que c’est le premier objet solo que je sors, et je suis heureux d’avoir été jusqu’au bout.

Et comment s’est déroulé justement l’enregistrement ? Racontes-nous.
Bien souvent, je pars sur une base avec des lignes de basse et des petites boites à rythmes. Ensuite, je greffe des mélodies, etc. Souvent, le texte arrive en dernier.  J’écris une première phrase ou un premier couple de phrases et de là va découler toute la suite du texte. Après, je deviens plus précis dans les mots, leur sonorité, leur portée etc. Je me corrige assez régulièrement, jusqu’à aboutir à quelque chose qui me convient.  
J’ai enregistré tout chez moi : les chants, les synthés, les boite à rythmes, etc., Une fois l’album fini, j’ai donné les différentes pistes à Sébastien Lorho, pour qu’il fasse le mix et le mastering. Ça permet aussi d’avoir pour la touche finale une oreille un peu différente sur ma musique. Et modifier aussi certaines choses, ce que j’imagine en lead, lui il va plutôt les mettre au fond du mix, etc. C’est toujours intéressant.

Tu as un petit studio chez toi ?
Oui, c’est assez basique, c’est une carte son avec des micros, un peu de matos, etc. C’est une sorte de home studio pas complètement dédié à la musique mais ça fait le job. Et je ne pense pas être le seul à faire ça. De plus en plus de musiciens le font chez eux.

Tu disais tout à l’heure que ton album était relativement introspectif. Et quand tu l’écoute bien, il y a une notion assez noire. Tu te définirais comme quelqu’un de plutôt sombre ?
J’aime beaucoup coucher sur papier des idées que je peux avoir, puisque ça permet de les sortir, de les évacuer.
Je suis quelqu’un d’assez mélancolique on va dire. Je ne suis pas triste, je ne suis pas pessimiste. Mais c’est vrai que parfois, je fais des constats qui peuvent être assez amers sur la vie.  Tu noteras qu’il y a toujours une notion d’espoir aussi !
J’aime l’idée de construire un décor, une histoire dans un titre, y mettre une sorte de couleur. Et puis, j’aime aussi l’idée d’explorer de nouveaux mondes, territoires… de laisser une ouverture, une porte de sortie.  C’est un peu ce que j’essaie de développer sur tout l’album finalement. C’est vrai qu’il y a une teinte grave, mais c’est aussi pour ça que j’ai appelé le projet Brazzier, il y a une couleur sombre. Mais on sent bien que ce n’est pas mort, qu’il y a quelque chose à sauver et que finalement, il suffit de souffler encore un petit peu et puis ça peut prendre.

Tout à fait. Et puis, le brasier c’est aussi la rédemption par le feu. C’est le feu qui guérit. Il y a toute cette symbolique-là aussi.
C’est tout à fait ça. Repartir sur une base complètement incendiée pour refaire pousser des choses. C’est l’idée.

Et comment t’est venue, cette idée de nommer ton projet Brazzier ?
Je souhaitais un nom qui collait bien à la musique, quelque chose qui évoque cette couleur noire, sombre, obscure et très brillante à la fois. Mais je voulais aussi amener de la chaleur avec un côté volcanique. L’idée que ça peut exploser, que le feu peut reprendre, que ça peut renaître. Je trouvais que ça collait bien à l’ensemble des textes que j’ai écrit pour cet album-là.
Par ailleurs, c’est vrai que j’ai joué dans Frigo pendant 10 ans, et c’était un petit clin d’œil aussi. Frigo, Brazzier, c’est jouer carrément à l’opposé. J’ai placé deux « z » puisque je n’aime pas forcément les choses trop évidentes et ça permet d’identifier un peu plus facilement le projet.

Dans l’une de tes chansons, tu parles de nuits blanches et tu fais tout un développement sur le champ lexical de la nuit. Tu te définirais, toi, plus comme quelqu’un de nocturne ou de diurne ?
En tout cas, l’album, effectivement, a été composé que de nuit, puisque je bosse la journée, j’ai des enfants, donc en général, c’est plutôt passé 21 heures que je compose. Toute la musique et tous les textes que j’ai écrits dans cet album-là ont été écrits la nuit. Donc, ouais, je suis plus attiré par la nuit.
De manière générale, je trouve que la nuit, ça permet de poser les idées, de réfléchir, de se poser plus de questions existentielles. Je trouve qu’à un certain moment, ça peut basculer aussi, d’ailleurs. Parfois, on se pose des questions qui peuvent tourner vers la folie obsédante…
J’écoute la nuit, par exemple, ça raconte exactement ça. Toutes les questions qu’on peut se poser quand on ne dort pas. On en arrive à creuser des tunnels, et à sortir la boue, à éclabousser tout le monde. On se fait des idées, on extrapole, on peut devenir un peu parano. Je trouve que la nuit permet d’exprimer des sentiments qu’on n’a pas de manière classique en journée.

La nuit on bénéficie aussi d’un calme, on n’est pas perturbé par le monde qui nous entoure ?
Pour composer, que ce soit la musique ou les textes, on ne peut pas faire ça à des moments de la journée où on est perturbé en effet. Il faut être concentré. Je ne vais pas dire que l’album est conceptuel, je ne pense pas être le seul à composer la nuit, mais en tout cas, j’ai pris le parti pris de donner un peu cette couleur-là sur l’ensemble des textes.
Après, quel que soit mes projets, je suis plutôt dans des textures sombres. C’est un peu, on va dire, ma patte. L’idée est d’en sortir quelque chose de positif quoi qu’il en soit.
Pour revenir à ta question initiale, ouais ça m’a permis aussi de poser un constat, de coucher sur papier des idées que j’avais, puis quelque part aussi de m’en débarrasser. Je trouve ça toujours intéressant, et pas que dans la musique, je m’aperçois que parfois, au lieu de dire les choses cash, ce n’est pas plus mal de prendre le temps d’écrire des lettres, par exemple. Quitte à ne même pas les envoyer. Ce sont des choses que je fais. Par exemple, quand il y a une chose qui te tient à cœur et que tu as envie de l’exprimer mais que tu es dans l’émotion, tu écris une lettre et puis à la fin tu la lis, et tu te dis « ça m’a fait du bien et je ne vais même pas l’envoyer en fait ». Je trouve ça intéressant comme exercice.
Ça te permet de te libérer de cette charge émotionnelle qui peut être destructrice ou trop lourde si tu la gardes trop pour toi.
Après, la charge émotionnelle si tu la couches sur disque et que tu la sors, ça peut aussi toucher des gens, qui s’y reconnaissent. Mais bon, ça c’est une autre histoire. C’est un choix de le sortir ou pas. J’ai fait le choix de sortir tout ça. Voilà.

Justement, une chanson qui m’a marqué dans ton album : « tambour battant ». Quand on l’écoute bien, on a l’impression qu’elle fait un écho direct à cette période de confinement que l’on vit actuellement. Pour toi, est-ce que ça résonne dans ce sens-là ? Ou ça n’a finalement rien à voir, c’est une coïncidence ?
C’est une coïncidence, puisque de toute façon, ça a été écrit un peu avant. Mais c’est vrai que ça résonne encore plus aujourd’hui, cette notion de s’éteindre un moment et puis d’avoir l’impression de rebooter tous les jours, cette notion de journée sans fin. Et de ne pas savoir quel va être le futur.  Est-ce qu’il va être bon ou pas ? Toutes ces questions-là, c’est vrai que ça peut faire directement écho à ce qui se passe en ce moment.
Ce texte-là raconte un peu l’histoire de quelqu’un qui se réveille un jour et en se disant « merde, je suis resté là tout ce temps, à avancer, à avancer, sans forcément de cap et sans me poser les bonnes questions ». Donc, je pense qu’on peut prendre ce texte sous différents angles. J’aime bien cette idée-là aussi de pouvoir proposer des textes qu’on peut s’approprier de différentes façons.

Et puisqu’on en parle, comment tu as vécu le premier confinement ? Et là le deuxième puisqu’on est dedans…
Le premier a été assez dur. Je ne parle pas de musique là, mais c’est vrai que ça a été assez pénible d’être sur tous les fronts à la fois. De devoir bosser à domicile, de devoir assurer aussi l’éducation des enfants, etc. Ça n’a pas été facile. J’aurais tendance à dire que ça a même laissé quelques séquelles puisqu’en fait, c’est là qu’on redécouvre aussi la force d’une famille, ses faiblesses, etc. Je pense que ce confinement, ça laissera des traces pour tout le monde, y compris le deuxième, forcément. C’est compliqué pour tout le monde.

Tout à l’heure, tu me parlais du sens de tes textes qui ont assez proche de l’esprit globalement introspectif de ton album. Tu sembles mener un questionnement sur toi même et sur le monde qui l’entoure ?
Oui en effet. Il est aussi questions d’envies d’ailleurs, d’interrogations sur l’avenir, sur le temps qui passe, etc. Ce sont des choses qui m’obsèdent et que je voulais exprimer sur ce disque.

Quand tu dis des rêves d’ailleurs, ça veut dire quoi ? C’est d’aller voir ailleurs comment ça se passe ? Si le ciel est plus bleu et si l’herbe est plus verte, c’est ça ?
La vie est une sorte de quête infinie du bonheur donc oui, c’est peut-être ça 🙂 Toute la difficulté, c’est de pouvoir définir cet ailleurs. Est-il réel ? Est-il fantasmé ? Est-ce un lieu géographique ? Une autre vie ?

Mais il y a peut-être la Covid, aussi, là-bas ?(rire)
Probablement ouais, je pense qu’on est tous touchés ah ah ! C’est vrai que les envies d’ailleurs en ce moment, il vaut mieux les remettre à plus tard. (rire).

Là, malgré le confinement, tu choisis donc de maintenir la sortie de ton album. C’est un choix délibéré ?
En fait, sachant qu’on ne voit pas forcément la fin, qu’on ne sait pas quand les concerts pourront reprendre, je me voyais mal garder ça au chaud pendant encore un an, tout était prêt.
Je parle aussi en tant que mec qui écoute de la musique. C’est important, je trouve, d’avoir toujours des sorties et de l’actualité pour maintenir quelque chose. Puisque, s’il n’y avait pas en ce moment, ça serait encore plus triste.
J’ai fait ce choix-là, c’est sûr qu’il n’y aura peut-être pas de concerts dans l’immédiat sur ce projet-là. Quelque part c’est vrai qu’un projet, idéalement, c’est bien de l’alimenter et de le faire vivre. C’est souvent les concerts qui permettent ça. Mais je vais le faire vivre différemment en postant les vidéos, différentes choses. Ce n’est pas l’idéal, mais je ne me voyais pas attendre qu’un vaccin sorte. Ce n’est pas le genre de conditions qu’on peut mettre sur un projet.
Et puis, bon, c’est aussi bien de sortir l’album maintenant, ça permet de se projeter sur d’autres choses.  Il vivra comme il pourra vivre.

Et tu parlais de clip justement, tu en as d’autres en projets à venir par la suite ?
Il y a le clip de « L’instinct » qui est un peu plus ambitieux que les précédents, il a été réalisé par Laurent Giboire. C’est un clip qu’on a fait en partie aux alignements du XXI ème siècle et en partie en animation. Le titre est assez long. Ce n’est pas habituel, finalement, de sortir un clip de 7 minutes, mais je trouvais que « L’instinct » représente à lui seul toute l’idée qu’on peut se faire du disque.
Ensuite, il y aura d’autres clips qui sortiront. J’ai un ami sur Paris qui bosse avec de la matière : de la peinture, du lait, etc., différentes choses. Et il fait bouger cette matière-là en fonction de la musique.  « Parachute » est un titre instrumental qui matche bien avec son travail. Il est en train de travailler sur le clip en ce moment.
Et puis j’ai aussi sollicité Jérôme Sevrette pour le morceau Oublions, oublions, avec Jean-Marie Le Rest au montage Donc, il y a plusieurs choses en route.

As-tu déjà réfléchi un peu à la suite, justement, de ton album ? Est-ce que tu as déjà pensé à de nouvelles compositions, à travailler sur un tome 2 ?
Quand je reprends les compositions en fait, je ne sais jamais où je vais. En fonction de ce que je vais composer, soit ça partira côté Brazzier, soit ça partira à côté You Vicious, selon la direction, la nature du morceau, des textes, etc.
Mais bon, on est peut-être dans l’idée, effectivement, de remettre le couvert pour You Vicious, d’essayer de composer des choses un peu plus rock, moins mid-tempo.
J’aime bien l’idée d’alterner un peu les deux puisque, j’aime bien aussi aller sur scène et puis participer à un projet un peu plus de groupe on va dire. Qui joue sur l’énergie et un peu plus rock et un peu plus noise. C’est assez jouissif.
Mais voilà Brazzier, j’aimerais quand même aussi poursuivre. Je n’ai pas écrit tout ce que j’avais envie d’écrire et je pense qu’une suite, pourrait s’imposer aussi.
Une longue pause aussi pourrait faire du bien (sourire) En ce moment, je n’écris rien…

You Vicious, n’est donc pas mort ?
You, Vicious
existe toujours 🙂

Vivement la fin du confinement alors et que la solution de la Covid 19 arrive vite pour qu’on puisse revivre a nouveau pleinement les concerts…

Brazzier « Ligne-Futures » est disponible en Stream, CD et LP : fanlink.to/brazzier

Photos Anne Marzeliere : https://annemarzeliere.wixsite.com/nobody-has-to-know

Stef’Arzak