BIG THIEF – « DOUBLE INFINITY »

Big Thief, désormais resserré en trio autour de Adrianne Lenker, (guitare, chant), Buck Meek (guitare, chœurs) et James Krivchenia (batterie) sont de retour dans les bacs avec « Double Infinity ».  Le groupe originaire de Brooklyn revient là où on ne les attendait pas. Leur sixième album, s’ouvre comme une fissure dans le temps, un espace où tout se joue par paire : passé et futur, perte et promesse, feu des arbres et crue des rivières. Tout brûle, tout déborde, les yeux vers le ciel, le chaos sous nos pieds, et pourtant, une étrange sérénité s’installe. Est-ce cela, habiter l’infini ?

« Comment la beauté vivante pourrait-elle être autre chose que vraie ? » Sous nos oreilles attentives, un paysage sonore kaléidoscopique se déploie, des textures changeantes, des rythmiques liquides, des guitares en suspension forment l’univers infiniment poignant de ce disque. On pense presque immédiatement aux fantômes folk de Nick Drake, aux architectures sonores de Talk Talk, mais filtrées par une lumière contemporaine, vibrante, presque incandescente. 
Adrianne Lenker chante le temps qui échappe, et nous entraîne dans un voyage intérieur où le monde du langage se brise sur les bords du réel. Quand les mots se taisent, la guitare hurle, distordue, métallique dans une chambre d’écho chamanique, charismatique. Los Angeles poursuit cette exploration du subconscient dans un maelstrom d’amour, amitié, désir, tout s’y confond. Et la voix de Adrianne, douce et fiévreuse, cherche cette vérité au-delà des définitions.

Au fil de l’écoute, un triptyque de sensations se dessine où le mystique « Double Infinity », avec un chant hypnotique, répétitif, qui trace des cercles dans l’espace vaporeux, le charnel « All Night All Day », et ses pulsations intimes, faites de caresse rythmique, mélodique, organique, le tellurique « Grandmother », ode au rock and roll, rituel partagé avec Laraaji et ses synthés/cithares qui vibrent comme des étoiles aux couleurs limpides.

Qu’est-ce qui fait tenir tout cela ensemble ? Probablement cette tension entre l’improvisation des sessions collectives, le souffle jazz hypnotique, le jam-room groovy cosmique, et la précision de la sélection : neuf morceaux choisis, ciselés, comme autant de joyaux brillants dans un lit de rivière.

Le dernier tiers du disque culmine dans une étrangeté magique : Happy With You, mantra minimaliste où trois lignes répétées deviennent méditation sur l’amour, puis No Fear, longue transe drum and bass aux reflets stellaires. Enfin, How Could I Have Known referme la porte, en folk dépouillé, rappelant à la mortalité, au simple fait d’exister maintenant. Comme si, après l’hallucination, restait l’essentiel : respirer, aimer, être, là, vivant.

« Double Infinity  » ne ressemble pas un retour en arrière après le monumental « Dragon New Warm Mountain I Believe In You », mais plutôt une contraction, un diamant brut, où la fragilité et la force s’épousent. Big Thief prouve encore une fois qu’il est en perpétuelle mutation, en mouvante. 

Un disque-rivière, un disque-flamme, un disque-charme, un disque qui pose cette question : comment vivre dans l’entre-deux, quand chaque instant est déjà un double infini ?