Mikey Madison capte tous les regards dans le nouveau film de Sean Baker, palme d’or du dernier festival de Cannes.
La source du mythe de Cendrillon semble ne jamais devoir se tarir. “Anora”, huitième film de Sean Baker, dévaste tout sur son passage. Et emporte avec lui le jury du dernier festival de Cannes, un jury présidé, c’est important, par une femme, Greta Gerwig, la réalisatrice “Barbie”. Elle et son équipe sont tombés irrémédiablement sous le charme des pantoufles de Mikey Madison (Anora, surnommée Ani, dans le film), une californienne au jeu sensuel et attractif. Sean Baker l’avait remarquée dans le film de Tarantino “Once Upon A Time In Hollywood”. Elle est cette fois strip-teaseuse dans un club pour hommes à Manhattan, un endroit où le réalisateur dépasse les clichés pour s’intéresser à la vie des filles, entre querelles et jalousies. C’est souvent très drôle mais pas que.
Scènes de sexes et lap-dance
Ani y séduit les hommes avec un aplomb et une arrogance sans limite, multiplie les scènes de sexes et les lap-dance affriolantes tout en parvenant à se détacher des préjugés liés à son métier. Elle en devient particulièrement attachante et s’impose ici comme la figure marquante d’une épopée prenante et entreprenante.
Elle est forcément le principal argument du film, une histoire à la “Pretty Woman” saupoudrée de sauce Tarantino avec, en bonus, l’intrusion d’une bande de mafieux décérébrés constituée de deux gros bêtas et d’un chef en costume, tous aux ordres d’un richissime oligarque russe.
Les russes en embuscade
Leur rejeton, Ivan, surnommé Vanya, se paye une dernière folie au pays de l’oncle Sam avant un retour annoncé au bercail. Comme Ani parle russe, c’est la seule de son club à posséder cette facilité de langage, les choses vont s’emmêler naturellement. Ivan Zakharov est un personnage très léger, fasciné par le rêve américain et ses excès décadents. Il est juste un peu plus jeune que sa dulcinée mais ne semble pas, contrairement à elle, bien se rendre des avantages de sa situation. Il use et abuse de ce que la vie lui offre pour son bon plaisir sans trop se soucier des conséquences de ses actes …
Ivan est joué à merveille par Mark Eydelshteyn et l’on se laisse facilement embarquer dans cette histoire hallucinante où l’argent coule à flots sans jamais tomber dans le côté ultra-riche d’un “The Bling Ring” de Sofia Coppola ou même d’une série comme “Gossip Girl”. Pourtant le rêve semble bien devenir réalité pour Anora lorsqu’elle se marie à Las Vegas !
Une jubilatoire course-poursuite
Le retour à New-York n’en est que plus cinglant. Le film s’emballe dans une jubilatoire course-poursuite à travers différents lieux de la ville qui ne dort jamais, on s’en rendra bien compte, en allant de Manhattan à Coney Island en passant par Brooklyn. Les 2h 18mn de cette fable moderne souvent drolatique sont ponctués de nombreux rebondissements et se dégustent comme une bouteille de whisky hors d’âge dans les milieux interlopes de la nuit New-Yorkaise. Comme de juste, après l’amour et le sexe, la trahison est au rendez-vous avec des effets inattendus suffisament crédibles pour briser avec force les rêves d’Ani. La belle s’en remettra très vite, Yvan, c’est moins sûr …
Au final, ce qui surprend le plus, est de voir un film indépendant américain ainsi célébré à Cannes sans être passé ni par Sundance, la Mecque du genre, ni par Deauville, le festival normand percuté cette année par l’éviction de son directeur et de plusieurs personnalités mais Sean Baker y avait brillé en remportant le prix du jury en 2015 avec “Tangerine”, film également présenté au festival du film de Sundance cette même année. Il était notamment venu à Cannes et à Deauville en 2021 avec “Red Rocket”. La boucle est donc bouclée car après “Parasite”, “Titane” ou encore “Sans filtre”, et malgré la parenthèse “Anatomie d’une chute” l’an passé, l’heure est au changement en profondeur dans le cinéma américain, au détriment des grands studios sans doute, même si on peut quand même s’étonner que 7 ans après le lancement de Me Too, le cinéma en soit encore à faire passer des prostituées (ou assimilées) pour des princesses. Pas de doutes, les Pretty Woman ont encore de beaux jours devant elles.
Il ne faut pas pourtant pas bouder son plaisir, l’hallucinant “Anora” est un film très réussi, du genre à scotcher le spectateur à son siège, pour peu de ne pas être allergique à la débauche (de drogues et d’alcools) et aux nombreuses grossièretés, de celles qui feraient passer Iggy Pop pour un enfant de cœur !
“Anora”, Palme d’Or 2024 du Festival de Cannes, est en salles depuis le 30 octobre.
Patrick Auffret