Le 28 mai, Alice Animal nous dévoilait son nouvel album intitulé “TANDEM”, tel une gemme au contraste vibrant fait de noir et de blanc, pyrite aux reflets tranchants. Si les riffs de guitares vivent toujours avec autant d’intensité dans la musique de cette âme rebelle, enfant du rock en héritage, il y a aussi et surtout une part sensible d’un amour vivant qui passe indéniablement dans cette chanteuse à la crinière d’argent. Féline, elle trouve dans cet album une belle façon de mettre ses textes au centre d’une réflexion plus complexe qu’il n’y parait, mêlant désir vaillant et abandon cinglant. L’œuvre, par ce timbre, tutoie les étoiles, et s’habille d’une ode à la douceur qui vouvoie les anges primitifs. Alice, rockeuse plasticienne, ne recule pas devant la confrontation des genres et des classes et manie aussi bien l’écriture mordante que les riffs hallucinés. La musicienne, diamant multifacettes, sait enchanter les arts pour mieux créer une œuvre hybride. Elle pourrait être la digne descendante d’une Blondie d’aujourd’hui à même de transmettre avec vigueur et conviction une poésie organique où la sensualité n’est jamais bien loin. Kent (ex-Starshooter) ne s’y trompe pas et n’hésite pas à collaborer avec Alice sur cet opus 2021.
Alice est une artiste entière dont la nature nous transperce dès les premières écoutes en magnifiant les sentiments, passions, amours, désillusions, addictions. Elle nous bouscule charnellement.
En attendant de pouvoir honorer un rendez-vous pris dans la vraie vie, la chanteuse nous dévoile à distance, mais avec sympathie, douceur et sincérité, l’artiste qu’elle incarne à la vie comme à la scène. Une artiste à découvrir…
Tu fais de la musique depuis déjà quelque temps sous le diminutif d’Aless. Maintenant tu utilises le pseudo Alice Animal. Pourquoi utiliser un pseudo ? Et pourquoi celui-ci en particulier ?
J’avais envie d’un nom qui m’aide à monter sur scène et à me défaire de tous mes carcans humains. Avec une sonorité importante qui sonne comme ma musique. Dans Alice Animal, il y a une promesse de vivacité, quelque chose de sauvage, de totalement primitif mais aussi de sophistiqué et de féminin. C’est cette ambivalence qui m’intéressait pour me libérer complètement et pouvoir rugir sur scène.
Pendant le confinement, tu as aussi expérimenté autre chose puisque tu as développé des séances d’improvisations en direct sur les réseaux sociaux que tu as nommées « capsules ». Qu’est-ce que ces capsules t’ont apporté exactement?
Tellement de choses. En fait, depuis le tout début d’Alice Animal, je voulais expérimenter quelque chose dans ce sens-là. L’idée est née de ma façon de composer : je prends ma guitare et très souvent, j’ai des idées qui viennent, des mélodies, des petits riffs, mais qui ne vont pas forcément devenir des chansons. J’en avais énormément alors à un moment, je me suis dit : « Pourquoi je ne ferais pas exister ça ? ». Forcément, pendant le confinement il y a eu un grand vide qui a laissé la place à la réflexion, pour aller plus loin et me creuser la tête sur la façon de présenter ces choses-là. Et finalement, un jour je me suis lancée et ça m’a énormément apporté, à plein de niveaux. Déjà, ça m’a permis de garder une constance de composition et d’être toujours en mouvement créatif, d’être dans cette dynamique de travail qui demande aussi un certain processus introspectif ; et puis, dans la façon de le réaliser. Le fait de composer en direct et de poster sur internet, ce n’est pas du tout la même chose ; il y a un cap à franchir. Et plus j’avançais, plus il y avait une confiance qui s’installait, avec un très bon accueil des internautes. Le retour des « spectateurs en ligne » m’a agréablement surprise. Ce qui m’a beaucoup plu aussi, c’est de voir à quel point le public était international. Je ne sais pas si c’est le fait de ne pas chanter en français, puisque dans les capsules il y a très peu de chant. Et en tout cas, ça touche des gens de tous horizons. Ça me permet de casser un peu les frontières. Chaque capsule me permettait d’aller explorer une couleur ; c’est un voyage sonore, une exploration de composition. C’était aussi un challenge de régularité, un rendez-vous avec le public. Je ne pensais pas réussir à tenir un an déjà.
Il y avait aussi un côté artiste sans artifice ?
Ce qui me plaît là-dedans, c’est que je ne suis pas tellement pour que l’artiste montre uniquement son côté soigné. Je trouve que c’est aussi intéressant de se montrer sous une facette plus naturelle, plus spontanée, plus brute. Et je trouve que ces deux visions parallèles se nourrissent l’une l’autre. On se met parfois trop sur un pied piédestal et c’est un piège avec les réseaux sociaux. J’aime bien me montrer avec ces différentes images. L’une des raisons pour lesquelles j’étais également prête à faire ça, c’est que lorsqu’on se présente comme artiste avec son projet, on nous demande souvent d’être clair dans notre direction artistique ; hors un artiste est pluriel, il a différents visages. Et c’est intéressant de le montrer, sans que ça altère le sillon qu’on trace. Dans mes capsules, on voit qu’il y a des inspirations qui sont très différentes.
Dans ces capsules-là, c’était aussi intéressant de voir que tu pouvais expérimenter plusieurs styles différents avec une esthétique et un univers propre, seulement avec ton instrument. Justement, tu as fabriqué récemment ta propre guitare avec Wild Customs. Qu’est-ce que ça fait de concevoir, presque de A à Z, l’instrument avec lequel tu vas jouer ?
Ah, c’était magique. Ce qui était intéressant c’était de voir l’état brut des choses, de voir le bois brut, de comprendre les différentes étapes et de se dire que ça, ça va devenir ton instrument avec lequel tu vas aller sur scène et produire ton son. Le processus est vraiment fascinant. Le fait de voir les différentes étapes, de réfléchir à la forme, de choisir la couleur, les paillettes en fonction de la lumière que tu souhaites obtenir… Ça veut dire que l’instrument est complètement fait sur mesure, comme si on pouvait faire passer sa propre énergie, sa joie, sa fougue dans les fibres du bois et en sortir une guitare à ton image. C’était comme un rêve, qui me semblait assez inaccessible finalement.
Parlons un peu de ton album «Tandem » qui est sorti le 28 mai. Comment t’est venue l’envie de repartir sur un album ?
Pas totalement car au départ, c’était censé être un EP avec 5 titres et malheureusement, il y a eu le 1erconfinement. Et donc forcément, temps, réflexion, vide sidéral, discussions avec l’équipe. Et puis, essayer de reprendre du mouvement, de réfléchir à comment faire exister les choses. Je me suis dit que j’avais deux titres qui ne devaient pas être sur cet album « Mon Or » et « Mauvais Garçon » et puisque j’avais le temps, j’ai eu envie de les finaliser pour les intégrer. Ainsi, j’ai tout soigné comme je le voulais. J’avais vraiment envie d’un album qui me ressemble, qui ressemble à ce que je suis sur scène.
Et malgré le fait que la situation reste encore très chaotique, le sortir fin mai 2021 c’était devenu une nécessité. Ça fait quelque temps que je suis dessus et il doit exister maintenant.
Dans la chanson «Mon Or» tu parles par métaphore de tout ce qu’il y a de précieux dans la vie, de ce qu’on a et de ce qu’on a perdu, mais tout ce qui brille n’est pas forcément précieux. Aujourd’hui qu’est-ce que tu as de plus précieux dans la vie ?
Ma guitare brille et elle est précieuse (rires). « Mon Or » ça pourrait être mon amour. En fait, ce qui est précieux c’est la relation à l’autre, comment on gère son interaction avec l’autre. Quand je dis l’autre, c’est avec un grand « A », avec les gens, avec le monde qui nous entoure. Et ce que je trouve précieux, c’est de préserver une énergie assez positive et lumineuse pour réussir à la transmettre sur scène. C’est transmettre une émotion, une énergie qui fait que les gens ressortent avec de l’énergie. Réussir à toucher, faire vibrer. Et d’ailleurs, un jour après un concert, une dame vient me voir et me dit : « Vous soignez le monde avec un concert comme ça ».
C’est génial, quand on est artiste. Je pense que c’est ce qu’on cherche tous à faire. Je trouve que c’est précieux d’essayer de faire pétiller, de faire bouger les lignes à l’intérieur, de générer des émotions.
Et puis, après « Mon Or » parle du moment où l’amour nous file entre les doigts. Quelque chose qui nous quitte, qu’on arrive plus à saisir. Tout était évident, tout était puissant et puis tout à coup, c’est quelque chose qui est en train de s’évaporer légèrement. C’est ce point un peu de non-retour.
Justement, dans tes chansons, tu parles des sentiments amoureux. Entre l’amour et la passion, que tu évoques, il y a quelque chose qui se répond, mais aussi un regard relativement différent, presque opposé. Cette limite définit-elle plus Alice ou Animal ?
Pour moi, la passion peut exister un temps mais elle n’est pas infinie. Alors que l’amour lui peut l’être, infini, enfin il me semble. Dans « Tes Eléphants Roses » que Pierre-Yves Lebert a écrit pour moi, il y a un angle d’attaque très intéressant, qui interroge avec justesse l’équilibre fragile entre la passion et l’amour, avec cette jauge qui n’est pas forcément au même niveau. A deux, parfois on part vite dans des extrêmes, dans des relations qui sont envahissantes, corps et âme, sans pour autant y trouver un équilibre. Il y a quelque chose de dangereux, d’insaisissable. Je pense qu’on peut parler d’amour, de plein de façons différentes en explorant des facettes moins lisses. Le regard malin que l’on pose sur cette chanson me plaît vraiment. C’est aussi pour cela que je travaille avec d’autres auteurs, ça permet d’avoir des approches différentes dans une forme conjointe de création autour d’un sujet universel, celui du sentiment.
Il y a quelque chose de sous-jacent qui revient souvent, c’est une espèce de pluralité pour soi-même. Par exemple, dans « Tes Éléphants Roses », tu vois le côté addictif, la défonce amoureuse, toxique. Dans le clip, on a tous ces thèmes à leurs paroxysmes. Pour s’amuser un petit peu aussi sur cet amour un peu moche.
Mais, en fait cette chanson, elle parle du fait que si l’autre nous met sur un piédestal, c’est extrêmement malsain et malfaisant finalement. Il est difficile d’être soi-même. Or, ce qui est terrible dans un couple, c’est quand tu ne peux pas être toi-même : « Ne me mets pas sur un piédestal. Je ne suis pas une fille extraordinaire, etc. ». Il est intéressant de réinterroger la question de l’apparence et du regard de l’autre. Comme on le disait tout à l’heure. En réalité, on se montre trop souvent avec une image soignée, sous notre plus beau jour, alors qu’en réalité, on a tous nos défauts, nos faiblesses, que l’on traîne et qui forme nos personnalités. L’amour c’est un lâcher-prise avec une honnêteté sans faux-semblant, sans apparat, une sincérité corps et âme en somme.
Et quand je chante, j’ai besoin d’être corps et âme dans les textes qu’ils soient de moi ou non.
«Mauvais garçon», est un titre relativement fort sur le sens, mais n’est-il pas un peu autobiographique ?
Écoute, en fait, j’ai envie de te dire qu’il y a un peu d’autobiographie partout. Parce que, au moment où je choisis un texte, au moment où je l’écris, si je n’arrive pas à enfiler la peau du texte, je n’arrive pas à le chanter ou à l’interpréter. Donc, je me retrouve dans toutes mes chansons. Et puis comme on dit, on est aussi multiple. Moi j’ai longtemps eu un côté assez garçon, avant d’être Alice Animal. A présent, j’ai l’impression d’être autre femme en étant Alice Animal quelque part. Même si on n’a jamais dit de moi que j’étais un mauvais garçon, mais j’aime bien jouer sur ces mots, je suis toujours très attirée par des visages endogènes, homme-femme. J’aime beaucoup tout le travail de David Bowie, par exemple ; tu vois tous ces artistes du glam rock… Tout ce mélange. Et quelque part là, c’était un peu une pirouette pour dire : « Allez, on s’en fout de ce que vous pensez. Mon apparence a la forme qu’elle a, à ce moment-là et je me fous de ce que vous allez penser et je vous tire la langue ». Il y a un peu ce côté mauvais garçon quoi. Et puis, j’ai travaillé avec deux auteures, Katia Landréas et Melody Linhart, pour vraiment travailler sur nos portraits, en s’amusant à définir cette image. Donc, oui c’est à la fois autobiographique et à la fois pas totalement. Parce qu’on pousse un petit peu tout à son paroxysme. Et cette chanson, elle me permet sur scène de me défoncer.
Puisque tu parles de l’apparence, tu as un look, un peu de rockeuse et un peu de diamant ; sans faire pour autant référence à Catherine Lara, (rire)… En regardant tes photos de Yann Orhan, ça me faisait vraiment penser à une esthétique très classe et en même temps, d’un peu vintage, dans cette atmosphère rock 70-80, plutôt cool. Est-ce que c’est l’esthétique qui te correspond ?
Il y a quelque chose de sophistiqué et de brutal en même temps. Mais en réalité, on en revient toujours au nom et à ces reliefs, ces paradoxes que je cherche. C’est mon bagage classique avec lequel il y a une sorte de poésie dans les textes. Un mélange de paillettes et d’instinctif, qui donne quelque chose de très anguleux, très géométrique, un peu brut.
Je me sens bien dans cette esthétique. Ça me permet de voyager entre ces deux facettes.
Et est-ce que des icônes comme Debbie Harry ou comme Kim Gordon, sont des personnes avec qui tu pourrais avoir certaines formes de reconnaissance identitaire ?
Oui. J’aime beaucoup Blondie, Annie Lennox, David Bowie, et beaucoup d’autres. Mes références sont assez larges. J’aime le rock sensuel, mais aussi le plus sophistiqué et coloré. Ça nous amène des choses surprenantes. Parce que j’ai dans mes refrains un côté plus pop, ou très charnel, et mélodique.
Pour la dernière chanson de ton album, tu as collaboré avec Kent, avec qui tu avais déjà partagé plusieurs fois la scène. Comment s’est passé cette collaboration sur ton album ?
Très simplement, très sensiblement. Kent m’a offert le magnifique texte « On n’a qu’une vie ». Ce qui représente pour moi le point d’orgue de cet album. Naturellement, je lui ai proposé qu’on le fasse en duo, chose qu’il a accepté en toute simplicité. Je trouve que nous avons des timbres qui se marient bien ensemble. Avec lui ça apporte une épaisseur avec du sens et quelque chose de très universel. C’est un artiste que j’aime beaucoup, je suis très heureuse qu’on ait collaboré ensemble. Et l’histoire ne s’arrêtera pas là…
Tu espères pouvoir jouer ce titre sur scène avec lui ?
Oui, bien sûr je ne manquerai pas de l’inviter à chaque fois que je pourrais. J’espère vraiment qu’on pourra le chanter ensemble sur scène. Et c’est important d’avoir une voix d’homme et une voix de femme sur cette chanson.
Qu’est-ce qu’il y a de prévu, dans les jours à venir ?
Maintenant il me reste à vivre et savourer cette sortie d’album. J’ai surtout hâte que les concerts reprennent évidemment. En attendant je vais continuer les capsules, avec une grande fierté.
La dernière question. Idéalement pour toi que voudrais-tu faire par la suite.
Évidemment, je voudrais partir en tournée. J’ai envie de défendre cet album sur scène, et cette scène va me permettre de grandir, d’expérimenter encore des choses, tout en composant d’autres chansons pour le troisième album. C’est surtout sur la scène que le mouvement se fait, que l’énergie se dégage. J’ai besoin de cette lumière, de sueur, d’échanges tout simplement, de regard à regard, d’âme à âme. Du concert et encore du concert…
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