[Interview] Collectif Abus d’Obus, l’alliance des expressions.

La peinture, sans doute la plus ancienne forme d’expression créative de l’histoire de l’humanité, elle cohabite avec la musique et plus tard avec l’écriture pour nourrir les arts multiples et nos imaginaires qui en découlent. La naissance d’une performance dans sa forme moderne, s’ajoute au monde de l’art contemporain. Le collectif Abus d’Obus animé par Sylvain (chanteur), Mikke (peintre), Marco (batteur) et Franck (guitariste) développe ensemble cette soudure des arts, en nous offrant un dialogue pictural, vocal et musical à la forme si humaine. Le collectif sera en live, lors du vernissage de l’exposition des œuvres de Mikke Rouault, le 3 février au Le Mange Disc (Montreuil). Pour cette occasion et pour notre plus grand plaisir, ils ont accepté de répondre à nos indiscrétions …  

1-Comment définiriez-vous l’ADN de votre collectif ?

Sylvain : Le souhait d’Abus d’obus est d’ouvrir la poésie au plus grand nombre. Rendre “palpable” les textes contemporains ou classiques par le biais d’un concert “Live”, de la création d’un tableau dans “le moment” et d’une lecture théâtralisée. Le tout en une heure.

Mikke : Pour moi, c’est une suite logique de l’aventure commune que nous avions ensemble, initiée par Sylvain il y a presque 24 ans. De son côté, avec la compagnie de “théâtre de bar” qu’il a créé puis la rencontre avec le groupe Clouzot -et le projet punk Senior météo- dont il était le parolier. Et de mon côté, mes expositions et les prises de positions culturelles d’accès à la culture pour tous. Le collectif Abus d’Obus, c’est du rock à l’état brut, sensible et particulièrement vivant et humain.

Marco– : En fait, pour moi, c’est plutôt une alchimie, à chaque fois que l’on se retrouve, il se passe un truc fort avec le collectif, Mike avec ses traits colorés, Sylvain et ses mots doux amers, Francky et ses riffs torturés. Avec ma touche de guimauve au poivre, ça doit ressembler un peu à ça notre ADN.

Franck : Nous nous connaissons tous depuis des années, par exemple pour la musique avec Marco, on joue ensemble depuis plus de 20 ans, cela ressemble plus à de l’instinct qu’à autre chose.

2-et c’était quoi l’idée de départ du projet ?

Sylvain : Se retrouver ensemble autour de nos passions communes, à savoir le Rock, le graphisme et le théâtre mais sans l’aspect ultra intellectuel attendu dans cette entreprise! Notre truc, c’est vraiment l’échange avec le public. On veut l’emmener avec nous, dans nos mélodies, nos tableaux, dans les poèmes de Verlaine et de Rimbaud. Il faut que tout “tienne”. A la base, nous construisons un canevas de textes afin de créer une histoire qui servira de fil conducteur. Ainsi, le public n’est pas perdu. Idem pour les morceaux musicaux qui forment un ‘tout”, sans oublier la toile de Mike qui reflète l’impression générale. Au final, on se retrouve avec une sorte de mini-concert plus proche de la performance qu’autre chose. Mais une performance accessible. Ce n’est ni du slam ni une lecture toute simple. C’est de la pop-rock avec une toile qui se concrétise sous nos yeux et une lecture “habitée”. Quand Patti Smith déclame des poèmes de Rimbaud sur les riffs du regretté Tom Verlaine, cela me parle instantanément.

Mikke : Pour moi c’est vraiment ce que nous devons “être” et “proposer” ! Nous avons la chance d’avoir Marco et Franck qui sont des compositeurs incroyables. La musique est vraiment bonne et sonne de manière si parfaite avec ce projet (le collectif Abus d’Obus). Et puis je suis si fier de Sylvain et des textes écrits pour cette occasion. Je suis si admiratif de son travail depuis des années, il a un talent fou. Et c’est vraiment bien. Nous nous mettons en danger de la plus belle des manières, en se faisant plaisir.
De mon côté, encore une fois, sous l’impulsion de Sylvain Marco et Franck, je me suis mis aussi à écrire avec plus ou moins de réussite… Mais je vais essayer !

Marco– : C’est un format plus court que les autres performances mais plus dense aussi avec une parité de texte entre Sylvain et Mike, c’est une sorte d’intro à l’expo de Mike…

Franck : Ce sera plus brut mais avec des nuances quand même !

3-vous présenterez lors de l’exposition de mikke le 3 février une nouvelle performance. Comment l’avez vous imaginez cette fois ?

Sylvain : A l’arrache! Trois répétitions. Des textes inédits, spécialement écrits pour l’occasion. Des Haikus, des rappels à l’odyssée d’ Ulysse, des instants de vie  Ce sera très “frontal”, très sexy, et bardé d’hommages aux couples que l’on trouve au comptoir. Mike repoussera les limites du “work in progress” en s’attaquant à un tableau en 30 minutes.  Marco ramènera des instruments spécifiques et Franck Lalanne sa nonchalance blues-rock. Surtout, ils s’affranchiront du rock pour verser dans la pop et la BO de films. Enfin ce sera, surtout, l’occasion de renouer avec le public. Le prochain spectacle est quasi-terminé et cette exposition nous donne l’opportunité de retrouver le “frisson” du Live.


4- Mikke ta peinture est un acteur majeur du projet. Comment cette âme d’artiste est elle née chez toi? 

Mikke : Je ne pense que pas qu’elle soit majeure. Je pense qu’elle est complémentaire des autres sens : d’une part, l’ouïe avec la musique de Marco, de Franck et la lecture de Sylvain. De l’autre la peinture. Je suis le sens visuel du projet. Le plus difficile c’est de donner le même temps de parole- et de réception- au public par rapport cet aspect visuel. C’est une question d’équilibre. Pas trop, ni pas assez. Le juste milieu pour que les auditeurs puissent aussi  poser leur regard- à certains moments- sur la toile lors de la performance.

5- les œuvres que tu présentes sont tourmentées et toujours relativement sombres ! Tu sembles pourtant être un homme joyeux. La peinture serait elle une sorte d’exutoire à ta part ombrageuse ?

Mikke : Pour cette exposition « Des vers et des maux » présentée au Mange Disc, seule une œuvre me semble sombre, c’est « gencive ». Les autres sont techniquement très colorées, exceptés les dessins réalisés dans les transports (petits formats en noir et blanc). La thématique, ce sont les ambiances de bar, les histoires qui se font ou se défont, les histoires d’amours et de peine. Une autre partie, c’est « instant cuisine ». Ce sont des représentations d’objets du quotidien. Des objets présents dans les cuisines : feuille (lardoir ou coteaux, tire-bouchon). C’est l’exposition la plus colorée que j’ai proposée depuis très longtemps.
Mais oui, en général, je fais des choses très sombres. Je pense que c’est important de ne pas faire l’impasse sur ce type d’émotion, la peine, la mort…
Oui je suis drôle dans la vie, j’aime rire avec ceux que j’aime, faire le clown… c’est sûr ! Mais cela ne doit pas enlever une certaine honnêteté avec les choses difficiles. La musique est plus un exutoire que la peinture pour moi. J’ai tellement d’admiration pour les musiciens. C’est vraiment merveilleux de pouvoir avoir des sentiments avec des sons.

 

6- L’écriture est aussi le fil rouge de votre performance. Sylvain comment œuvres tu dans cette discipline ?

Sylvain : Je m’inspire de lectures, de chansons, d’un “état d’esprit”. De tournures de phrases, de jeux de mots et d’associations d’idées. Le fait que Mike me rejoigne, depuis peu, avec des formats plus courts, cela donne un mélange assez étonnant puisque je suis plus versé dans les textes à rallonge. On se frotte à quelque chose qui nous échappe un peu mais, en fin de compte, nos deux sensibilités s’équilibrent. C’est un exercice de style assez délicat. Il ne faut pas être dans la poésie pompeuse ni le dictionnaire des rimes. Et quand tu oses, de surcroit, coller ton texte à celui de Shakespeare, tu te dis: ” Je suis un peu gonflé!”. Disons que nos textes servent de passerelles entre des monuments de la poésie mais nous n’avons pas des prétentions “auteuristes”. Pour se comparer à Baudelaire, faut avoir les reins solides! On essaye juste d’écrire, d’être sincère tout en cachant des choses dans telle ou telle phrase. 

7- comment travailler vous les uns avec les autres dans l’élaboration de vos performances ?

Sylvain : Les textes sont à la base de tout. On plante une sorte de squelette de poèmes, un “story-board” puis Marco ressent le “décor” et trouve un thème musical, accompagné de Franck à la guitare. C’est parfois une adéquation immédiate entre eux deux et parfois non. C’est une recherche qui peut prendre du temps ou être pertinente dans l’instant. Puis de textes en textes et de croquis en morceaux musicaux, la pièce se dessine.

Mikke : Nous buvions beaucoup de bières en écoutant Mylène Farmer et je me demande toujours si nous ne devrions pas faire une performance autour de son œuvre! Avec un mashup incluant Mariah Carey… Voilà la meilleure méthode que nous avons trouvée pour travailler ensemble !
Plus sérieusement, c’est un work in progress constant. Nous nous écoutons beaucoup et nous faisons attention à chacun de nous. Bien sûr cela doit rester du fun, du rock mais pas que. Nous avons tous notre vécu de la scène et c’est important. Je suis le seul de dos lors des performances, curieusement cette place me permet de prendre du recul sur la mise en place. J’ai le loisir de regarder ce que mes amis font et parfois je propose des éléments ou axes de travail. Et ils font de même avec moi. Abus d’Obus, est un collectif qui n’est jamais avare de pistes de recherches et d’échanges. Nous nous complétons.


8- j’imagine que vos influences sont nombreuses et je suppose qu’elles se télescopent. Qui sont vos maîtres, vos modèles ?

Sylvain : J’ai eu une expérience inoubliable lors de mes années d’études théâtrales à la Fac début 1990. A la Cartoucherie de Vincennes, j’ai assisté à une adaptation de “Baal” de Bertolt Brecht vraiment furieuse. Il y avait une fièvre qui parcourait toutes les comédiennes et tous les comédiens. Le décor était mobile, certains jouaient d’un instrument, d’autres chantaient. Et le public était disposé en rectangle, des quatre côtés de la scène. Ce fut un choc! Pour moi, le théâtre se doit d’avoir l’intensité d’un concert de rock et se doit d’être accessible. Dans le sens “intelligible” du texte et surtout économiquement parlant. Il faut être proche du public. Il faut être généreux. Revenir à un art populaire. Le théâtre continue de trainer son étiquette élitiste avec des places à des prix indécents. Franchement, c’est chiant et cela ne s’adresse qu’à un certain type de public. Nous sommes très très loin de la Culture pour tous. Bref! Si je devais avoir un maitre sur scène, ce serait Denis Lavant ou Philippe Torreton. Et un modèle d’incandescence, ce serait Noir Désir, période “Du ciment sous les plaines”, Jon Spencer Blues Explosion,Thee Oh Sees, Charles Bukowski et Louis Calaferte.

Mikke : Je viens d’un monde différent que celui de Sylvain, Marco et Franck. Je viens du bourrin, du Métal. Nous avons bien évidement des points communs tous les trois : l’énergie du punk, le groove de la soul et du blues. Nous sommes sensibles à certains groupes et c’est bien. Mais je pense que c’est encore une fois notre complémentarité qui fait que ce collectif est ce qu’il est !
Côté graphisme, je voue une admiration sans nom à Philippe Druillet, les artistes du mouvement expressionniste allemand, de la peinture de Zao Wou-Ki . La bd est aussi présente.
L’idéal serait de travailler sur un mur en peinture directe, mais ceci se fera pour un autre projet avec mes amis.

Marco : Chez moi, c’est un peu le bordel, je pioche dans un très vaste territoire musical de toutes les époques, tous les styles et je mélange, avec différents instruments -aux sonorités variées- qui eux, peuvent autant m’inspirer qu’un artiste. Bon, parfois c’est tout pourri, hein! Allez, pour citer une de mes influences, un maître, un modèle, je dirais François De Roubaix, incontournable !

Franck : C’est plutôt rock, cela va du blues des années 30, la pop, la soul, le folk, le british blues, le hard-core des années 80-90, le rock indé, bruitiste bref j’en oublie plein. J’ai arrêté de
suivre l’actualité de ce qui sort, ça ne m’intéresse plus, je deviens réac’ mais je m’en fous. Alors pas de modèle mais plutôt des influences.


9- l’amitié semble être un vecteur fort dans votre projet. Avez vous parfois la contrainte de cette amitié pour avancer artistiquement ? 

Sylvain : La période du confinement fut l’occasion de penser au futur spectacle chez soi tout en étant séparés les uns des autres. Et notre mode de fonctionnement concernant les répétitions fut un peu ébranlé. Marco a surtout envisagé “La Ville” en réaction à “Quelque Chose Sombre”. Il souhaitait une performance moins “dark” et beaucoup plus pop. Pas facile de passer de “Sonic Youth” à Elton John! On a fait des ajustements, on a beaucoup parlé. C’était passionnant mais perturbant. On a tous des projets parallèles qui nous nourissent et notre amitié est inaltérable. On se connait depuis longtemps. Pour ce vendredi avec “Amour, boire et beauté” puis “La Ville”, je pense que les gens seront surpris de nos choix.

Mikke : Tu as raison, mais je crois que nous sommes à un âge où tous les 4 n’avons plus rien à prouver, de par nos parcours artistiques respectifs. J’expose depuis 1994 en France comme à l’étranger, en galeries, dans les centres culturels. J’ai la reconnaissance de vrais pros dans le milieu et celui de mes proches. Marco et Franck ont réalisé des albums rock qui sont excellents, ce sont des musiciens de talent. Sylvain, est un excellent parolier, auteur de textes sublimes et il a créé une compagnie de théâtre qui, par la suite, fit germer deux belles autres entités. Nous sommes amis, nous devons être fiers de ce que nous avons fait depuis presque 30 ans. Ce n’est pas le cas pour tous. La contrainte c’est nous, c’est tout !

10- Comment vous sentez vous a quelque jour du vernissage ?

Sylvain : Angoissé mais heureux!

Mikke : Heureux, mais vraiment heureux ! Impatient, j’ai le trac, la trouille, mais c’est tellement bon de se sentir vivant !!!

Marco– : Aussi excité que de se retrouver coincé dans un ascenseur avec Mylène Farmer et Mariah Carey…

Franck : Bien et je laisse à Marco ses deux colocs d’ascenseur!

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