[Interview Trans Musicales ] Mandrake Handshake – « Earth-Sized Worlds »

Avec « Earth-Sized Worlds », Mandrake Handshake signe un premier opus foisonnant, psychédélique et résolument collectif, à l’image de ce qu’est devenu ce groupe londonien/oxfordien depuis 2018 : un collectif musical à géométrie variable et aux influences multiples, mais animé par une vision étonnamment cohérente. Entre krautrock cosmique, samba brésilienne sous acide, pop électronique chatoyante et élans psychédéliques réconfortants, le groupe façonne un univers à part, résumé par un mantra aussi simple qu’évocateur : « Welcome to Space Beach ».
À l’occasion de leur passage remarqué aux Trans Musicales de Rennes, Mandrake Handshake revient sur la genèse de cet album, leur fonctionnement interne, leur rapport à l’expérimentation, au live et à l’objet disque, ainsi que sur cette année charnière qui a marqué pour eux un vrai tournant.

« Welcome to Space Beach » est le mantra de Earth-Sized Worlds. Comment cette phrase a-t-elle guidé concrètement les choix musicaux, esthétiques et narratifs de l’album ?
Quand nous avons dû décider quels morceaux et quelles idées de notre répertoire allaient intégrer notre premier album, le fait de formuler un cadre esthétique comme « Welcome to Space Beach » s’est révélé très utile, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, cela nous a aidés à définir, avec notre producteur Dom Kirtley (une légende), ce que nous ne voulions surtout pas sur le disque.
Si ce n’était pas « space » — le versant le plus lourd, industriel, électronique, krautrock du groupe — ou « beach » — le côté plus pop, inspiré par la música popular brasileira — ou même une combinaison des deux, alors ça n’avait pas sa place sur l’album.
Ce principe simple nous a aussi beaucoup aidés à communiquer au sein d’un groupe composé de neuf personnes. Le fait d’aligner chaque détail et chaque son avec ce brief nous a permis de faire les choix nécessaires pour que les morceaux forment un tout cohérent sur un album de 50 minutes.


Votre musique navigue entre krautrock cosmique, samba brésilienne, psychédélisme sucré et avant-pop électronique. Comment s’organise la création au sein d’un collectif aussi multiple sans perdre une identité commune ?
Le concept « Welcome to Space Beach » explique aussi beaucoup de choses à ce niveau-là, dans la manière dont il nous a permis de réunir des influences très variées sous un même toit. Et puis ce n’est pas une identité créée uniquement pour ce disque : c’est plutôt une évolution d’une direction que nous suivons plus ou moins depuis nos débuts.
Notre synthétiste Shan (alias Moogieman) avait un jour décrit notre musique sur les réseaux comme du « Flowerkraut » — ce qui n’est pas si éloigné de Space Beach dans ses références — et cette étiquette nous est restée depuis.
Il faut aussi dire que le groupe n’est pas totalement démocratique. Tout le monde peut apporter ses idées, mais notre guitariste et principal compositeur Row a souvent le dernier mot sur la direction artistique, et Trin joue aussi un rôle central sur les mélodies. Cette hiérarchie relative permet justement de construire plus facilement une identité commune. Honnêtement, si neuf personnes avaient exactement le même poids décisionnaire, on serait probablement encore en train d’essayer de finir cet album aujourd’hui.


Vous vous définissez comme du « Flowerkraut » : pouvez-vous nous parler de votre manière de penser la musique ?
À l’image du terme Flowerkraut lui-même, l’approche de Row en matière de composition ressemble beaucoup à une sorte d’expérience scientifique bricolée. Il s’agit de se demander : « Que se passe-t-il si on met ce riff dans ce groove ? Et si on prend une idée de ce morceau, une autre de celui-là, qu’on les assemble et qu’on les joue ? »
On observe les réactions, on voit ce que ça produit, et on se dit soit « oui, ça marche », soit « non, on ne refera plus jamais ça ».

L’album joue sur une tension permanente entre immensité cosmique et nostalgie domestique. Est-ce une réponse à l’époque actuelle, ou quelque chose de plus intime pour vous ?
C’est quelque chose de beaucoup plus personnel qu’une réponse directe à l’époque actuelle. Nous essayons de placer notre musique dans un monde qui lui est propre, dans une sorte de ligne temporelle alternative. Un espace qui soit à la fois une échappatoire vers une autre réalité et une plongée plus profonde dans une conscience psychédélique intime.

Après deux EPs très remarqués, qu’est-ce qui a été à la fois le plus difficile et le plus libérateur dans le passage au long format avec Earth-Sized Worlds ?
La chose la plus difficile, ce sont les aspects purement pratiques de la réalisation d’un album en tant que groupe indépendant. Il faut trouver les fonds pour le studio et le mixage, et nous avons dû le faire sans aucun soutien de label. Row et Elvis ont littéralement appris à devenir DJs uniquement pour pouvoir récolter assez d’argent afin d’enregistrer l’album.
Ce qui est le plus libérateur, en revanche, c’est le fait de faire un album en soi. Le temps et l’espace qu’offre ce format permettent d’intégrer des idées beaucoup plus « perchées » que sur un EP. Un morceau comme « Find The Tree (and Dig Deep)! », par exemple, existait déjà avant nos EPs, mais il n’avait de sens que dans le cadre d’un album, où des idées aussi barrées, fun et folles peuvent trouver leur place dans une expérience d’écoute plus longue.

Les Trans Musicales sont réputées pour révéler des projets singuliers et audacieux. Que représente ce festival pour vous, et comment avez-vous pensé votre set pour Rennes ?
Ce festival représentait pour nous une opportunité excitante de jouer en dehors du Royaume-Uni, en Europe, ce qui est toujours quelque chose que nous chérissons énormément. En tant qu’artistes, nous sommes souvent bien mieux accueillis dans des pays comme la France ou l’Allemagne qu’en Angleterre.
Nous n’étions jamais allés à Rennes auparavant, donc c’était aussi l’occasion de découvrir les quartiers plus anciens de la ville pendant notre temps libre.
On était très motivés pour ce concert : il arrivait juste une semaine après notre gros concert en tête d’affiche au Fabric à Londres. Du coup, la pression était retombée, et on avait l’impression de pouvoir tout tenter sur scène.

 

Votre musique a largement circulé sur BBC Radio 6Music, Radio X et Apple Music. Quel rôle jouent aujourd’hui les radios et les plateformes dans la construction de votre public ?
Les radios et les plateformes de streaming sont essentielles pour développer notre public. Des médias comme BBC Radio 6 Music donnent une crédibilité énorme aux artistes alternatifs, grâce à leur intégrité et à la qualité de leur programmation — et c’est aussi une station qui représente très bien le public de Mandrake Handshake, nous y compris.
Nous sommes également très reconnaissants envers John Kennedy de Radio X, qui nous a toujours soutenus et nous a même offert notre toute première session live à la radio.
Le streaming, quels que soient les débats politiques autour de la question, est aussi fondamental, puisque c’est aujourd’hui la manière dont presque tout le monde consomme la musique.
Cela dit, c’est vraiment sur scène que nous avons l’impression de rallier les gens à notre projet. Concrètement, après un gros concert, on voit nos abonnés augmenter sur les réseaux sociaux, mais surtout on sent les connexions humaines se créer, et les gens embarquer réellement avec le groupe.

Vous sortez une édition vinyle Eco-Green de l’album. Est-ce un geste militant, esthétique, ou les deux ? Quel rapport entretenez-vous avec l’objet disque ?
Notre label nous a proposé plusieurs couleurs, et ce vert s’intégrait parfaitement à la palette visuelle de l’album. Et puis c’est plutôt cool de savoir que les disques peuvent désormais être fabriqués à partir de sources plus durables. On espère surtout qu’il sonne bien !
Sortir notre musique en vinyle a toujours été une priorité. Row travaillait dans un disquaire, et beaucoup de nos influences fondatrices, au début du groupe, venaient de disques que nous nous faisions écouter les uns aux autres sur nos platines.
C’est aussi un très bel objet pour représenter la musique. Nous accordons beaucoup d’importance à l’artwork et à la manière dont le disque se présente visuellement. (Gros respect à notre artiste Hannah Woollam, qui a fait un travail incroyable sur cet album, comme sur notre deuxième EP.)


Après les tournées au Royaume-Uni et en Europe, ce passage aux Trans Musicales marque-t-il une nouvelle étape pour Mandrake Handshake, et qu’avez-vous ressenti ce soir-là ?
C’était un concert très important pour nous, puisqu’il s’agissait du dernier show de ce qui a été, de loin, notre année la plus chargée en tant que groupe. C’était aussi assez fou, car c’était l’un des plus grands publics devant lesquels nous ayons jamais joué.
Nous n’avions aucune idée du nombre de personnes qui allaient venir nous voir, et c’était assez dingue. Une fin d’année à la fois magnifique et très rassurante, après une véritable montagne russe pour Mandrake Handshake.