Depuis leurs débuts adolescents à Brooklyn, Geese n’ont cessé d’échapper aux étiquettes trop évidentes. « Projector » (2021) posait les bases d’un post-punk fébrile et ambitieux, « 3D Country » (2023) ouvrait des horizons plus vastes et baroques, et entre-temps, le chanteur Cameron Winter s’est offert une parenthèse solo remarquée en 2024. Autant dire que l’attente autour de « Getting Killed », troisième opus du quatuor, était longue, mais elle valait le coup.
L’album ne déçoit pas même mieux, il condense et radicalise toutes les contradictions du groupe. Geese travaillent dans la dissonance, l’excès et l’imprévisibilité, et Cameron Winter, frontman du combo New Yorkais, y impose un chant théâtral, souvent polarisant l’attention. Mais derrière ce chaos apparent se cache une écriture d’une précision remarquable, qui fait de « Getting Killed » un disque aussi déroutant qu’addictif.
Dès Trinidad, ouverture dissonante et explosive, le ton est donné : instrumentation instable, ruptures de dynamique, textes énigmatiques (« ma femme est dans le hangar, mon mari brûle le plomb »). Plus loin, Cobra lorgne vers un indie-rock lumineux façon Clap Your Hands Say Yeah, tandis que 100 Horses flirte avec le funk grâce à une ligne de basse irrésistible. À l’inverse, Au Pays du Cocaïne surprend par sa fragilité, une ballade presque désarmée. Sur Getting Killed, le groupe ose le grand écart : guitares abrasives et chœur ukrainien samplé s’y superposent avec une intensité saisissante. Quant à Taxes, déjà repérée par les radios alternatives, elle explose en un refrain scandé comme un hymne psychédélique.
Geese n’ont pas peur de frustrer : certains titres s’interrompent brutalement, comme Bow Down, qu’on rêverait d’entendre se déployer davantage. Mais le final, Long Island City Here I Come, prend le temps de monter en puissance, jusqu’à une conclusion cathartique qui ferme l’album de façon magistrale.
En refusant toute linéarité et en multipliant les angles morts, « Getting Killed » s’impose comme leur disque le plus ambitieux. Trop abrasif pour le grand public, mais suffisamment audacieux pour marquer l’année 2025, il confirme Geese comme l’un des groupes les plus inventifs de la scène indie américaine.
Photo de couv. Geese D.R.