[Chronique] Big Special – « National Average »

Un disque qui surgit sans prévenir, tel un coup de poing balancé dans le vide abyssal de nos habitudes. Avec « National Average« , le duo originaire de Birmingham et composé du chanteur Joe Hicklin et du batteur Callum Maloney joue l’effet de surprise et refuse les codes huilés du marché. Pas de teasing, pas de campagne orchestrée, seulement la surprise d’un deuxième album qui oscille entre rage et fébrilité.

Dès le titre d’ouverture, « The Mess » installe le décor. Un battement tribal, un clavier moite et inquiétant, et la voix de Joe Hicklin, mi-prédicateur, mi-poète, qui sculpte ses phrases comme des éclats de verre. On pense à Mark E. Smith (The Fall), Joe Talbot (Idles) mais aussi à Jason Williamson (Sleaford Mods) pour ce mélange d’humour vachard et de mélancolie urbaine hypnotique complètement addictive. Tubesque même. Tout est là : tension électrique, synthés qui se contorsionnent, théâtralité assumée.  

La suite se déploie comme une mosaïque sombre où l’on retrouve autant de riffs industriels abrasifs, des grooves poisseux qui flirtent avec le blues, que d’éclats spoken word jetés comme des tracts dans la rue, et cette batterie, signée Callum Moloney, qui bat la mesure avec une précision quasi-militaire.

Chaque morceau semble osciller entre l’urgence punk et une profondeur inattendue. Les thématiques toujours aussi percutantes, mélange de lutte des classes, santé mentale, addiction et labeur aliénant, résonnent avec une sincérité qui évite de justesse la posture surfaite. L’humour, très noir, n’est pas un gimmick, mais une arme blanche d’une efficacité redoutable…

Comparé à Postindustrial Hometown Blues (2024), le groupe gagne en groove et en épaisseur. Les lignes de basse suintent la sueur et la nuit, tandis que l’énergie reste brûlante, jamais assagie. Même si la cohérence vire parfois à la redondance sur certains titres et se ressemblent peut-être un peu trop. Mais aucun doute, la ferveur, elle, ne faiblit pas et puis notons le fabuleux titre « Thin Horses » avec Rachel Goswell (Slowdive). Magique et aérienne collaboration d’une vulnérabilité inattendue, qui ressemble à une brume douce après l’orage.

On sort de l’écoute attentive de « National Average » bien secoué, mais aussi galvanisé par cette intensité. Le combo réussit à condenser dans douze morceaux les contradictions de l’époque, mélange de violence et de tendresse, de colère et d’ironie, de désespoir et de vitalité. Alors, est-ce le grand disque de l’année ? Peut-être pas. Est-ce un disque nécessaire ? Sans aucun doute.

Et si vous en doutiez, il ne vous reste qu’une chose à faire : tendre l’oreille, plonger dans 45 mn de matière dense, riche en nuances et en rugosité.