« No Rain No Flowers » des Black Keys. Deux Flics à Miami.

Il fut un temps où les « Black Keys » n’existaient pas… ou si peu. Nous sommes en 2002 et les grandes enseignes culturelles semblent étrangères à l’éclosion d’un curieux pas de deux venant de l’Ohio. Signés sur l’excellent label indépendant américain Alive Records, notre « groupe » délivre un premier album surpuissant en mode bricolo. Pas de chichis, pas de producteur manipulateur. Chez ces Black Knights, les enceintes saignent, les pantoufles rangées près des santiags. Peu d’effets de manche si ce n’est à la guitare. Furibards, nos deux compères chauffent à blanc leurs compositions squelettiques, hurlent leur mal être… et pour la comparaison avec « The White Stripes », on repassera. Non, on ne roule pas sur l’or et on fait avec les moyens du bord. Le glamour ? Dans la voix de son jeune interprète, Dan Auerbach. La frappe ? Dans les poignets de son frère d’armes, Patrick Carney. Pas de costumes. Pas de pose. Pas de rouge carmin. Pas de Ripolin.

A l’image de sa pochette énigmatique, le « dynamic duo » mise sur sa musique. Ici, le son grésille, sature, mais Bon Dieu que ça tourne. Cela tourne même grave. Révélation et coup de maitre nostalgique, « The Big Come Up » réveille le fantôme de Jimi Hendrix dans un sabbat blues-rock incantatoire.  Reprend les Beatles, à poil. Joue au poker avec « Screamin’Jay Hawkin‘ et rafle la mise.

Oui, en 2002, le « blues-rock lo-fi » signe son grand come-back et certains canards spécialisés en font, heureusement, leurs choux gras.

Votre serviteur, heureux d’avoir trouvé le Saint Graal par l’entremise d’un ami, se la joue Moïse en soirée. « Quoi ? Tu ne connais pas les Black Keys ?« . Frime un peu avec son t-shirt du groupe, déniché dans une boutique du 18ème arrondissement de Paris, et réitère : « Les Black Keys, mec ! Tu ne connais pas ?« . Fait de l’épat’ en pleine « Route du Rock » et croise un jumeau vestimentaire… Mais pour la com’, rien. Nada. Peau de balle.
« Tu ne connais pas ? ». Non. Vraiment pas.

Jusqu’à ce saut dans le temps.

Nous sommes en 2010 et notre binôme est à l’orée d’un succès foudroyant. Notoriété oblige, « Les notes noires » sont depuis 2006 sur le label Nonesuch Records et enchaînent les A+ avec rigueur et panache. Les hommages à leurs pairs sont nombreux (Junior Kimbrough, Robert Pete Williams ou encore Ray Davies) et leur intégrité intacte. Mieux, leur récente collaboration avec Danger Mouse pour « Attack & Release » sonne comme l’avènement d’une composition plus « cool » et plus décomplexée. Une attitude entraperçue en 2009 pour leur album concept « Blakroc » où la crème des rappeurs se bousculait à l’entrée du studio d’enregistrement afin de faire rimer « riffs » et « kiffe ». Question : à quand remonte ce fabuleux mélange des genres, si ce n’est dans l’impeccable soundtrack de « Judgment Night » en 1993 ? Je ne vois pas.  Mais je me disperse. Les Black Keys, eux, sont partout.

Au centre de toutes les attentions.

Crédibles.  Authentiques. Adulés par la critique.  Ils passent, donc, en hyper espace avec « Brothers » où leur patine « soul » contemporaine le dispute aux tubes bulldozer. Ce jukebox est un jackpot et « Brothers » dégueule un million de copies de par le monde. Suivent « El Camino« , « Turn Blue« , « Let’s rock« , « Dropout Boogie, « Ohio Players » et, depuis ce mois d’Août, « No Rain No Flowers  » chez Easy eye sound/ Warner Records.

Pause.

Pourquoi cette ellipse volontaire ente  » The Big Come Up« , « Brothers » et leur dernier opus ?

Les voyages organisés en bus climatisé, c’est bien. L’excursion sauvage, un opinel dans la poche, c’est mieux. Je trouve que depuis une décennie, notre power band californien bande un peu moins. Et souffrirait de ce que j’appellerais le « syndrome Radiohead« .
Souvenez-vous. En 1993, « Pablo Honey » déboule dans les bacs, guitares folles et complaintes en bandoulière. « Creep » n’est pas encore sur toutes les lèvres et il faudra attendre la sortie de « The Bends » deux ans plus tard pour que Parlophone et Tran Anh Hung (via son magnifique thriller « Cyclo« ) remettent leur tube au goût du jour. Deux brûlots pour deux classiques instantanés. Et puis « Ok Computer« …

L’inaccessible étoile. L’album de transition. Avé césure.

Contrairement à ses prédécesseurs, « Ok Computer » aura l’ambition de conjuguer mélodies entêtantes, rock progressif et musique électronique sans oublier d’être accessible. Charts sur un toit brulant. Dès lors, les albums qui suivront verseront dans une pop transfigurée par les machines, aux refrains abîmés et aux nappes (synthétiques) dressées. Le nouveau Radiohead ? Vachement bien. Identique au précédent. 

Voilà où se situent précisément nos deux frangins. Dans un savoir-faire indéniable mais plan-plan. Les singles se font du coude pour partager une hypothétique présence dans une B.O. et les têtes de gondole sont bien alignées au rayon CD.

CQFD.

Paradoxe. Nos lascars savent où se situent leurs comptes en banque mais produisent, via leur label Easy Eye Sound, la crème des folk-singers sans se soucier d’une quelconque retombée financière ! Leur vocation en tant que producteurs/distributeurs ? Ouvrir au plus grand nombre un catalogue d’artistes peu (re)connus mais doués.
Alors, que vaut  » No Rain no Flowers » dans ce paysage ? Un paquet de thunes. La Ferrari du label. Sonny Crockett et Ricardo Tubbs assis sur la carlingue, vestes Armani (l’art/la manière) sur l’épaule et gros flingues dans le falzar.

Bref, la maréchaussée sapée comme jamais.

Mais Auerbach (office) et Carney (de bifs) se font aussi paresseux et un tantinet cambrioleurs. Pour preuve, ces accords volés à « You keep me hangin’on » des Supremes (sublimé divinement par Rod Stewart, je ferme la parenthèse) et « I love Rock N’ Roll » de Joan Jett & The Blackhearts. Une tentation de facilité pour notre « Bat’ duo » teintée de déception pour tous leurs fans.

So ?  » No pain no gain » ? « No Rain No Flowers« . Pile entre les Fun Lovin’ Criminals et les Sons of a Beach Boys, ce nouveau LP balisé n’en demeure pas moins un crû de haute tenue. Idéal sur la route et identifiable dès ses premières mesures. Mais, à mon sens, bien trop lounge pour nos loups garous quadragénaires.

Désolé, les mecs. J’attendais trop intensément un retour à la sauvagerie…

« Deux flics à Miami » ?

File-moi la télécommande.

Que je zappe sur « Les Têtes Brûlées ».

 
John Book.