La Fête de la musique est devenue un événement à retentissement mondial, « the place to be » dans une époque chamboulée tant par les conflits mondiaux que par la mondialisation. Reportage à Paris, dans la ville lumière, à l’Olympia d’abord puis dans les rues.
L’accès à l’Olympia se fait sur liste, des bracelets de couleur indiquent si l’on peut s’asseoir, à l’étage donc, ou si l’on doit rester debout, à l’orchestre.
Le bracelet noir vous permet d’accéder à l’étage en haut comme en bas. Chouette, on va pouvoir circuler et aussi se reposer un temps, apprécier les concerts dans de bonnes conditions. Mouais, enfin si le service d’ordre est d’accord. Et il ne l’est pas forcément.
Plusieurs allers-retours plus tard, nous voilà bien avancé : on est bloqué en bas, et il n’y a pas à discuter. Contrepartie appréciable, on peut filmer et photographier à loisir avec nos portables !
Yamê, jeune rappeur en devenir bien sous tous rapports, fait bien involontairement les frais de ces tout petits malentendus sans conséquence. Récipiendaire d’une Victoire de la musique cette année, il n’a de toutes façons pas besoin de nous pour émerger. Bonne nouvelle, l’Olympia, bien climatisé, n’est absolument pas l’étuve redoutée. Et l’on se déplace facilement dans une salle à moitié pleine seulement ! Confort inespéré pour voir les concerts.
Tout est réglé comme sur du papier à musique. Les prestations ont démarré à 20 heures, chaque artiste dispose d’une heure pour faire ses preuves, ou plutôt pour séduire un public musicalement très disparate. Il y a deux rappeurs et deux artistes de variété bien installés au programme, un mélange des genres et des codes à peine perturbé par un « ta mère la pute » lancé dans le public par un jeune homme vite exfiltré par l’efficace et impeccable service de sécurité. La bagarre est évitée, Yamê peut finir son show (case) avec les sons de son nouvel album tout juste sorti.
La superbe Benjamin Biolay
Pour nous, les choses sérieuses vont commencer. Nous sommes venus d’abord voir Benjamin Biolay avec l’espoir d’entendre ses nouveaux morceaux…
L’entrée sur scène de l’enfant chéri de la chanson française est majestueuse.
« La superbe » ouvre le bal, bientôt suivi d’un extrait de l’album Saint-Clair, le « De la beauté là où il n’y en a plus ». Surprise, alors que le concert prend finalement des allures de best-of (mais sans medley fourre-tout, ouf !) », Benjamin Biolay s’assoie au piano et sort de ses cartons « Le cerf volant », une chanson écrite par Vincent Delerm. Elle figure sur le premier album de Benjamin, « Rose Kennedy ». Ce fut même son premier 45t !
Joli, mais plombant quand même. Heureusement, « Comme une voiture volée », extrait de l’album « Grand prix », remet du groove dans l’Olympia. Face à un public pas si conquis, il alterne chansons rythmées et chansons douces. Il faut être consensuel tout en imposant sa personnalité. Les 4 artistes présents n’ont guère en commun à part d’être défendus par France Inter. Il faut jouer serrer pour séduire large. Pas si difficile tant l’ambiance est safe et bienveillante.
Conscient du risque pris d’avoir joué une ballade, « Le temps passe », au piano, Benjamin s’interroge à haute voix. « Ce n’était pas trop long ? » Ben si un peu. « Vous avez de beaux bracelets comme Coldplay ? Waouh ! » Enfin, relativisons, il s’agit juste d’une opération marketing du Crédit Mutuel…
Voilà « Juste avant de tomber », le nouveau titre de Benjamin Biolay, déjà joué en live la veille dans l’émission Quotidien avec une tout autre orchestration. Ce premier extrait du prometteur double album « Cercle bleu » à sortir le 17 novembre prochain.
« Hécatombe », une reprise de Brassens marque gentiment le début des hostilités politiques. On est en direct sur France Inter et Benjamin Biolay le précise, « C’est une chanson que Bruno Retailleau n’aime pas trop … Bisous Bruno… »
Sur scène, avec ses lunettes noires, son tee-shirt noir Adidas et son jean délavé, Benjamin Biolay respire la classe. Accompagné par de musiciens hors pair, dont le producteur multi-instrumentiste David Donatien, compagnon de Yaël Naïm, d’un guitariste, mais sans bassiste, il conclut avec de belle manière son set avec « Comment est ta peine. »
Poing levé face à un public debout, même au balcon, Benjamin Biolay a livré un concert de toute beauté, un moment unique, magique, magistral. « Éclatez-vous, c’est gratuit » lâche le chanteur avant de s’éclipser. Il n’y a pas de rappel mais une timeline à suivre à la lettre pour assurer un direct sans fautes notes.






Palestine et message de paix : « Indignez-vous ! »
Bientôt Georgio prend la scène d’assaut, drapeau palestinien sur les épaules.
Seul avec un DJ, Lucci, le rappeur des Lilas désormais parisien a toujours la verve, le flow impeccable, le mot juste. Il va sortir son sixième album avant la fin de l’année et s’adresse rapidement au public. « Je me suis fêlé une côte à la boxe, c’est mon premier concert de l’année. Je ne vais pas pouvoir trop sauter mais vous pourrez le faire pour moi.» La chanson « Je suis dans mon élément » donne le ton. Le message est totalement politique dans les paroles et assumé par le chanteur. Là encore, le public répond avec ferveur. Un classique cœur avec les mains de Georgio confirme la bonne entente entre le rappeur et la salle. Les titres défilent sans temps morts, les textes résonnent parfois avec violence, comme ce « Ta mère la pute » cette fois maîtrisé et assumé dans une chanson forcément provocatrice. « Je suis venu avec mon frérot Lucci qui fait presque 90% de ma musique. Le prochain morceau, on l’a fait ensemble, il s’appelle « Enfants sauvages ».
« Héra », le super succès de Georgio, s’impose avec brio. Le nouvel album est attendu à la rentrée. Et il sera sur scène à l’Adidas Arena le 31 janvier 2026 !
«En ce moment, il y a des libertés qui sont bafouées, n’hésitez pas à vous indigner, ne laissez rien passer … Ne laissez rien passer, des choses qu’on ne valide pas, des paroles racistes, des paroles homophobes, toutes ces conneries. Indignez-vous, c’est ça le plus important. Il faut aller vers la paix et l’amour» lance le rappeur, sûrement aussi en référence au célèbre essai de Stéphane Hessel publié en 2010. Il profite du direct pour assumer ses convictions. Et si le drapeau palestinien, toujours posé sur la console de Lucci, ne se voit pas à la radio, les paroles de Georgio résonnent avec force dans cette époque incertaine marqué par les guerres. « Concept flou » est joué avec Cœur de pirate. La canadienne n’est là, mais sa voix si. Avec sa version très rock (mais sans guitares évidemment) de « Je ne suis pas sûr de vouloir être un homme » Georgio la voix bien écorchée, voire éraillée, bouscule le public sans pour autant provoquer la grande transe espérée. « Non, non, non » répondent néanmoins, comme demandé, les plus attentifs.






Clara Luciani, la Femme de la soirée
La reine de la soirée sera forcément Clara Luciani. L’ancienne chanteuse de La Femme a fait bien du chemin depuis le morceau « Sur la planche ».
Élégante à souhait avec son pantalon en cuir moulant, son gilet à carreau noir et blanc avec son tee-shirt blanc, elle parle de ses bas de contentions … Elle arrive tout juste des Francos de Montréal… et rayonne malgré le jet lag en envoyant son dernier méga tube, « Courage », aussi addictif que dansant. Aïe, aïe, aïe, l’Olympia est en transe, le plancher tremble enfin et les succès s’enchaînent. La jeune maman, en couple avec le chanteur de Franz Ferdinand, vient d’accoucher de son premier enfant et semble totalement libérée. C’est impressionnant, elle n’a pas à se forcer pour enflammer un public totalement acquis à sa cause, mais elle le fait bien, très bien même. Bonne surprise, elle propose une reprise dédiée à Françoise Hardy. « Comment célébrer la musique sans la célébrer elle (Ndr : Françoise Hardy). Cette chanson (Ndr : « Tout pour moi ») était sa préférée de mon répertoire. »
Accompagnée de quatre musiciens et d’une choriste aux claviers, Clara Luciani peut compter sur une formation bien rock pour la soutenir même si finalement le son et l’attitude sont souvent disco lorsque la rythmique s’emballe.
« La Grenade » provoque l’hystérie des fans et des jeunes filles en transe. Tout sourire, enchaînant les poses suggestives et lascives, la voilà seule à la guitare une reprise en français d’Abba. Ah bon ? Quelle drôle d’idée, tant qu’à faire, on aurait préféré « Dancing Queen », en VO dans le texte …
« France Inter est la première radio où j’ai entendu l’une de mes chansons, rien que pour ça je la porte dans mon cœur pour toujours, » révèle Clara Luciani.
Féminine mais pas trop, sensuelle et convaincante, proche de son public comme de ses musiciens, le sourire permanent et sincère, pas de doute, c’est elle la reine de la soirée ! « Respire », encore un méga tube, le confirme pour un final de folie face à un public déchaîné, enthousiaste mais aussi sympa et discipliné.
Il est bientôt minuit, le bar de l’Olympia est déjà fermé. Bonne nuit les petits.






Dans les rues, c’est la même …
Fidèle au poste au Café Caumartin, Isa, toujours très rock’n’roll dans son Café Caumartin, monte le son de sa sono intérieure pour couvrir l’incessant (insupportable ?) karaoké venu de l’extérieur et sur lequel s’éclate sans finir quelques asiatiques en goguette. La rue de Caumartin semble pourtant calme. On prend le temps de savourer un verre avant de rentrer. On ne savait pas à quoi on allait s’exposer. La violence du choc est d’autant plus rude … Une fois arrivé boulevard des Capucines, des attroupements partout, ça chante, ça danse, ça fait n’importe quoi mais l’ambiance parait bon enfant.
Et si ces quatre concerts Olympiens n’étaient qu’un amuse-gueule ? Et si la fête de la musique ne faisait finalement que commencer ! On est vite fixé sur l’étendue du problème lorsque l’on tente de prendre le métro. Lignes saturées, filles ivres et provocantes chantant à tue-tête dans des wagons surchargés. Minuit, c’est visiblement l’heure de pointe de la teuf prévue. On étouffe, on change de ligne, on s’échappe et on retrouve l’air libre du côté de Bastille, notre destination finale. La faim commence à se faire sentir. Las, tous les restos sont bondés, les files d’attente devant le moindre kebab (ou tous autres restaurants cosmopolites) sont dissuasives, partout des déchets, des gens couchés sur des bancs, allongés par terre. Les soiffards se mêlent aux clochards et aux sans-abris … Bonne surprise, les toilettes (gratuites) fonctionnent et ne semblent pas saturées. Mais où urinent donc tous ces gens ivres ?
Par contre pour manger, on repassera. Alors on se laisse porter par le chaleur ambiance. Dans la moiteur de la nuit, on se croirait dans le sud de l’Europe, à Barcelone, Madrid, Rome ou même Naples. Aller, on accélère, enfin pas trop quand même, toutes les rues sont saturées de piétons et de cyclistes. Et si l’on mangeait une pizza place Bastille. Ça va sûrement être cher et dégueulasse mais on a vraiment faim. Deux colosses sont positionnés à l’entrée. On demande un table pour deux, le retour est sans appel : on est complet. Ce n’est pas comme s’il n’y avait pas justement un table de libre sous nos yeux et que des personnes étaient justement en train de sortir. On insiste gentiment, le ton commence à être vraiment désagréable. Les videurs jouent les physio, allez, on se casse, on connaît un chinois planqué dans une petite rue. C’est cette fois bon, pas cher, servi avec le sourire et en plus il n’y a personne !
Il est temps d’aller dormir. Comme le chantait Benjamin Biolay il y a déjà quelques heures, Quelle aventure … cette fête de la musique. Il est 2h30 du matin, encore une cuillère de riz cantonais, la musique environnante s’arrête enfin et les bras de Morphée nous emportent. Ben oui, c’était juste génial !
Texte : Patrick Auffret. Photos et vidéos : Fred Huiban
Podcast de la soirée France Inter à l’Olympia.