Quintette parisien emmené par Benjamin, compositeur et leader de la formation, le Brian’s Magic Tears s’est donné les moyens de ses ambitions. Le nouvel album, sorti en novembre 2024, marque un tournant plus électronique, mais les musiciens gardent toujours le nez dans leurs guitares shoegaze. Quelques minutes avant un concert au Kubb, la nouvelle salle rock d’Évreux, rencontre avec Benjamin, la tête pensante du groupe.
Benjamin, votre nouvel album, Smoke & Mirrors, le 4ᵉ, est sorti en novembre 2024. C’est peut-être le plus dansant de vos disques. Il a un côté Happy Mondays avec de grosses guitares ?
Cet album tranche avec les autres car nous avons utilisé beaucoup de machines électroniques. Ce n’était pas le cas avant. Nous utilisions auparavant des machines électroniques pour faire des gros beats, mais plus on avançait et plus je trouvais cela redondant. Mais il y a aussi une partie de l’album où l’on retourne aux grosses guitares et au shoegaze un peu plus planant. Chassez le naturel, il revient au galop…
C’est très dans l’air du temps de faire danser les gens avec de la redondance permanente ?
De toute façon, quand l’exécution est un peu honnête, cela prend avec les gens. C’est pour cela que nous sommes revenus aux guitares, car en faisant un truc électronique, c’est à sens unique. Comment défendre sur scène un album que nous n’avons pas validé en le jouant. C’est le même mélange qu’avant, mais en plus poussé encore.
Les morceaux durent de plus en plus longtemps ?
Il y a toujours des morceaux d’avant qui durent très longtemps, mais du fait des machines, c’est très timbré. Cela tire quand même un peu moins qu’avant, en tous cas sur les nouveaux morceaux.
« On a, hélas, une réputation de gens qui aiment bien la fête »
Vous êtes aujourd’hui des héritiers du Madchester des Happy Mondays et de tous ses excès ?
De base, on l’était. On a, hélas, une réputation là-dessus, de gens qui aiment bien la fête. Cela peut être dur à porter, mais maintenant nous faisons de plus grosses tournées. Nous choisissons les moments de fêtes où nous pouvons nous lâcher. L’important, c’est que sur scène cela soit une fête. Nous avons compris il y a quelques temps déjà que cela n’était pas vivable de faire ça tout le temps sur scène et tout le temps en dehors de la scène. On essaie d’espacer un peu plus ces moments-là.
La rencontre avec Bad Born Records vous a permis de sortir du lot. Comment cela se passe avec votre label ?
Cela se passe bien, car dans le monde de la musique indépendante, c’est un acteur assez important, quelqu’un qui donne les moyens aux groupes d’aller où ils veulent. Cela a transformé un peu notre dynamique, clairement.
« Bad Born Records nous paye des supers studios. »
Comment s’est passé l’enregistrement de l’album ?
Nous sommes allés en studio. Le label a financé. Depuis le début, Bad Born Records nous paye des supers studios. Le dernier, c’était en pleine forêt des Landes, un très beau studio, paumé dans la nature, celui du chanteur de Cheveu (un trio rock également signé chez Bad Born Records). J’y suis d’abord allé avec Marc, notre ingé son. Laurianne nous a rejoint une semaine plus tard et, les quatre derniers jours, le reste du groupe était là pour partager et peaufiner l’expérience ensemble.
C’est important de s’enfermer à cinq avec l’ingé son pour faire l’album ?
Cela permet surtout d’approfondir les choses. Après, moi, je maquette aussi en amont ailleurs, chez moi. Et quand tout est un peu défini, on va en studio.
« Je trouve le côté sombre des gens intéressant. »
Le titre Stalker est une référence au film ?
Non, plutôt aux gens qui stalk, qui suivent des gens dans la rue.
Tu aimes bien les ambiances un peu déviantes comme cela ?
C’est un truc dans lequel on peut retrouver les plus noirs de mes comportements. Je trouve le côté sombre des gens intéressant. C’est aussi une manière d’exorciser ces comportements-là en mettant des mots dessus.
Ce clip est rempli de références, notamment à Garbage ?
Dans les trucs un peu mainstream, Garbage, j’aime bien. Ce groupe a bercé mon enfance plus que des trucs pointus comme My Bloody Valentine que j’ai découvert plus tard. Il y a effectivement un côté rock indé 90 dans certaines chansons.
« Jésus and Mary Chain, mes idoles ultimes »
Dix titres dans cet album, tous en anglais ?
J’adore plein de trucs en rock français, mais je n’ai pas du tout un bon niveau pour écrire bien en français. Cela paraît un peu ridicule de dire cela, car j’écris en anglais alors que je ne suis pas anglais ! Cette langue a une poésie et une rythmique des mots plus facilement atteignables sans faire beaucoup d’efforts. En français, cela demande beaucoup plus de travail, pour moi en tout cas. Et puis aussi parce que j’écoute beaucoup de trucs en anglais. Mes références sont anglaises, avec des groupes comme Jésus and Mary Chain, mes idoles ultimes avec le Velvet Underground. Mais il y a aussi Chapter House, Happy Mondays…
Et en français ?
C’est plus des choses que j’aime écouter, mais qui ne sont pas des influences pour moi. J’adore Étienne Daho, Gainsbourg, Bashung…
Tu parles du groupe à la première personne. C’est ton groupe, c’est toi qui le portes ?
Je compose tout seul et j’enregistre principalement tout avec l’aide de March, notre ingénieur du son. Il a produit l’album. J’ai tendance à dire je, car c’est mon projet, mais il est incarné sur scène par tout le monde tant chacun apporte un peu sa façon d’exécuter ce que j’ai écrit. Je ne suis pas non plus un tortionnaire.
L’ensemble crée l’osmose ?
C’est ça. Nous avons commencé en 2016, cela va au-delà du backing-band.
« Crystal Palace, notre groupe d’adolescents »
Toi et Laurianne, vous êtes de Rouen ?
Oui, et Paul, notre batteur, est Marseillais. Sinon, les autres sont de la banlieue parisienne.
Et vous avez créé tous les deux le groupe Crystal Palace, déjà porté sur les nappes de guitares. Il a eu sa petite heure de gloire à Rouen ?
Oui, c’était marrant. Et Laurianne était plus en avant avec une autre personne que nous avons perdue de vue et qui composait. C’était notre groupe d’adolescents.
Mais à l’époque, pour percer, il ne fallait pas rester à Rouen. Vous vous êtes donc expatrié ?
Crystal Palace s’est arrêté car nous nous sommes tous dispatchés à droite, à gauche. Et puis, nous n’avions pas du tout une vision professionnelle des choses. Il y avait, à cette époque, beaucoup moins de SMAC (salle des musiques actuelles) et d’aides au développement de groupes. Nous étions encore dans un truc très punk de sous-réseaux. Des tournées dans les bars… Nous avions fait les sélections du Printemps de Bourges, mais nous n’avions pas du tout une idée de développement derrière la tête. C’est venu une dizaine d’années plus tard, après avoir fait plein de musiques à droite et à gauche.
Paris était alors the place to be ?
À cette époque, oui. Mais ce qui est marrant, c’est que là, nous sommes allés faire une résidence à Rouen, au 106. Pendant une semaine, nous étions dans cette ville alors que j’y retourne très peu. Nous l’avons redécouverte car elle a beaucoup changé. (NDR : le groupe jouera au 106, la SMAC rouennaise, le 9 octobre prochain avec le groupe Pogo Car Crash Control.)
« Lorsque l’on se professionnalise un peu trop, on perd un peu l’étincelle »
Le métier aussi a changé, mais déjà, est-ce que le mot métier pour parler de ta musique, cela te parle ?
Cela fait presque dix ans maintenant avec Brian Magic’s Tear. Alors oui. Au début, c’est vrai, nous avions tous gardé un peu nos professions à côté. Cela restait plus ou moins en rapport avec la création. Je faisais de la musique pour des films et de la pub. Cela permet aussi de garder l’intermittence, même si certains en profitent pour plutôt créer un autre album. Moi, j’ai besoin d’être toujours un peu occupé, c’était cool d’avoir une autre activité.
Tu disais dans une interview assez ancienne que faire de la musique n’était justement pas un métier pour toi ?
Possible, je veux surtout dire que cela doit rester une passion pour garder l’effervescence de ce truc, que cela ne devienne pas non plus un truc du genre métro, boulot, dodo. Lorsque l’on se professionnalise un peu trop, on perd un peu l’étincelle à faire toujours le même concert tous les soirs. Certains arrivent très bien à donner la même énergie tous les soirs ; moi, j’ai besoin de faire autre chose pour considérer le groupe comme mon souffle et m’y consacrer à fond quand je suis dedans.
Justement, vous présentez le même concert à chaque fois ou la setlist change ?
Pour cet album, on est un peu obligé, car il y a pas mal de machines sur scène. On ne peut donc pas trop partir en jam comme on pouvait le faire avant. Là, tout est séquencé, donc on ne peut pas trop sortir du circuit.
C’est une bonne chose, la professionnalisation de la musique à travers les SMAC, même si cela reste un milieu très fermé et pas donné à tous les groupes ?
Il y a des plus et des moins, mais en vrai tu joues toujours dans de superbes conditions, le son est là. On peut défendre l’album d’une façon très fidèle. Et comme on a évolué dans le son aussi, ce serait dommage d’aller faire ça dans un bar. Cela n’aurait d’ailleurs aucun sens. Alors oui, c’est une bonne chose. On est très contents.























Label Born Bad Records : https://www.bornbadrecords.net/artists/bryans-magic-tears/
Bandcamp : https://bryanmagictears.bandcamp.com/album/smoke-and-mirrors
Concert : https://www.infoconcert.com/artiste/bryans-magic-tears-156324/concerts.html
Textes et photos : Patrick Auffret