« Un parfait inconnu » de James Mangold. Lettre à un jeune poète.

Ni Dylan, ni Chalamet. La seule motivation qui m’enjoignit à rejoindre l’excellente salle de cinéma le « Max Linder » de Paris se résume en deux mots : James Mangold. Comme il me tardait de retrouver le réalisateur de « Logan », « Le Mans 66 » et de l’inexplicablement mésestimé « Indiana Jones et le Cadran de la destinée ». Qu’allait, donc, choisir ce digne descendant de John Ford pour combler un palmarès de films ô combien inoubliables ? A nouveau un biopic sur un folk-singer ? La belle affaire ! Après l’impeccable « Walk the Line », ce projet fleurait bon la redite. Pourquoi diable se fourvoyer dans une énième relecture d’une icône rock ? Pourquoi ne pas laisser en place la fabuleuse odyssée kaléidoscopique sur Bob Dylan (« I’m not there ») troussée par Todd Haynes en 2006, sachant que rien ne détrônera cet objet filmique non identifié ? Qu’on se rassure, la proposition de James Mangold se situe ailleurs. Ce fabuleux conteur opte pour un long-métrage beaucoup plus « mainstream » que son collègue tout en y apportant une patine historique des plus savoureuses. Ausculter Bob Dylan, du début de sa carrière jusqu’à l’explosion électrique qui bouleversa sa discographie de manière homérique est juste un alibi. Un simple ticket pour un voyage de 2h20 (le film s’ouvre sur un road trip en mode hobo) sur grand écran. Non, la vérité est ailleurs. Dans les interstices d’une nation en pleine mutation.  

Inégalités raciales, Baie des cochons, menace nucléaire et Cuba en toile de fond. L’URSS à nos portes. La menace communiste. Meurtre de Kennedy. Disparition de Malcolm X. L’Amérique a peur et le fait entendre par la voix de ses protest-singers.  Ces thématiques furent, effectivement, déjà effleurées dans le cinquième opus du plus célèbre des aventuriers mais, genre oblige, ne devaient en aucun cas voler la vedette au divertissement familial.

Pour ce « Parfait inconnu », Mangold enfonce, donc, une seconde fois le clou et convoque tous les matériaux des futures chansons de l’ami Zimmerman. C’est la grande force de ce film, tant les échos entre les soubresauts d’une société au bord du gouffre et les lyrics d’un poète en devenir résonnent en nous -de manière évidente- durant toute la projection.

Voilà pour le fond. Et la forme ? La réalisation est d’une élégance absolue (parfois un peu sage) et se conforme à la trajectoire stratosphérique d’un chanteur, alternant scènes intimistes en huis clos et moments « live » habités. N’attendez pas la fièvre d’un « Ford versus Ferrari » ou les trépidantes séquences d’un « Wolverine ». Ici, tout est chatoyant et la photographie de Phedon Papamichael y est pour beaucoup dans cette opération de séduction. La distribution ? Absolument parfaite ! Timothée Chalamet trouve dans cette incarnation le rôle de sa vie. Que ce soit à la guitare ou dans cette voix trainante et nasillarde si identifiable, le mimétisme est troublant. Enivrant. Proche de celui de Val Kilmer dans les « Doors » d’Oliver Stone. Tour à tour charmeur ou connard de première, Bobby fascine autant qu’il exaspère. En ce sens, Mangold ne tombe jamais dans le piège de l’adoration bornée. On lui en sera reconnaissant. Voici pour le tableau. Pour l’entourer, la crème des interprètes s’est donnée rendez-vous : Elle Fanning campe une Sylvie Russo à fleur de peau, Edward Norton remplace Benedict Cumberbatch au pied levé et dévoile une facette de son jeu (empathique et sensible) peu vue à l’écran, Monica Barbaro (dont je prédis une filmographie étincelante) envoie sévèrement du bois-dans les cordes- en Joan Baez ( dans mon jargon de quinqua, on dit : « Quelle nana ! ») , Boyd Holbrook est littéralement métamorphosé en Johnny Cash, transcendant cette sombre figure emblématique sans jamais singer Joaquin Phoenix, et Scoot McNairy nous sert la gorge à chacune de ses apparitions. 

Enfin, je terminerai par la musique qui suinte par tous les pores cette entreprise amoureusement vacharde. Tous les standards balbutiés près d’une table de nuit puis affirmés en studio sont sur cette set-list de rêve.
Aucune faute de goût. Aucun dérapage mal contrôlé. Il est difficile, pour votre serviteur, d’aborder en profondeur les chansons, leurs sens cachés ou leurs compositions, d’un auteur dont je ne connais rien. Dylan n’a jamais été ma came… Certes, je suis touché par sa poésie et sa diction reconnaissable entre mille mais je ne vous ferai pas l’affront de critiques fumeuses venant d’un néophyte peu averti. En revanche, culte oblige, certains de ses putains d’ albums trainent chez moi et squattent ma platine. « The Freewheelin’ Bob Dylan », « Highway 61 Revisited », « Infidels » et « Modern Times ». Quatuor gagnant qui me suffit amplement. Qui sait ? A l’aube d’une retraite bien méritée d’ici dix ans, je savourerai ses autres pépites, un whisky à la main et un sourire en coin ?

Après des mois d’abstinence dans les salles obscures, ce long-métrage vintage et terriblement moderne m’a redonné foi dans le Cinéma.

Hollywood produit, encore, de bons films et Mangold en est son artisan le plus précieux.

Ne loupez pas ce futur classique !

Bobby, Jimmy, encore « merci ! »…et Folk you very much.
 
John Book.