Il neige. Des flocons majestueux s’écrasent, sans un cri, contre ma fenêtre. Dans la rue, des personnes penchées marchent, d’un pas hésitant, comme des petits vieux. Des adolescents, hilares, courent les uns après les autres après avoir soigneusement découverts, de leur amas poudreux, le toit des voitures. Dehors, c’est le blizzard. Dans mon salon, c’est l' »Avalanche ». Cela fait de nombreuses années que je suis, avec assiduité et intérêt, la carrière de Rodolphe Burger. D’abord, au sein de son groupe mythique « Kat Onoma » puis en solo ou accompagné, au gré de ses nombreuses collaborations amicales. Qu’il soit producteur auprès des regrettés Françoise Hardy et Jacques Higelin ou « co-leader front » au sein du « Couscous Clan », admiratif je suis. C’est, donc, avec beaucoup d’excitation que je m’empare du livret de son septième album afin d’entrevoir où se situe musicalement mais aussi verbalement l’ami alsacien. En 2024, de quoi se nourrit Rodolphe Burger ?
PLAY.
Ecoute religieuse et l’on décortique ses cantiques.
« De vous à moi, qu’attendez-vous, au juste ? ».
Tels sont les premiers mots prononcés d’une voix suave et caverneuse en guise d’ouverture. Si nous pensions retrouver l’aspect pop-rock de son précédent album « Environs », le moins que l’on puisse dire, c’est que cette « avalanche » nous prend à rebrousse-poil. Aucun single si ce n’est » A Dean Martin » qui ferme cette parenthèse en chantier. Aucune volonté de verser dans la variété pseudo littéraire ou poseuse (les principaux con-cernés se reconnaitront). Mr Burger reste à la verticale de la chanson française et nous délivre un opus bien plus rêche et rugueux qu’à l’accoutumée.
Dès « L’inattendu », l’auteur-compositeur et interprète nous interroge : « Faut-il tenir la syncope ? Faut-il s’attendre à tout ? ». Pour cet album, oui, c’est le cas. Cette forêt noire regorge de trésors mais ses feuillages sont difficilement praticables pour qui voyage léger. Un bagage est nécessaire. Une appréhension du phrasé poétique, sans œillères ni clivage, des plus conseillés. Le crooner nous prévient : « Ici, tout est possible. » Dont acte.
« Nœuds ». Une voix filtrée par un mégaphone nous débite d’une voix blanche des échanges mentaux et autres chemins sinueux foutrement freudiens. Je pense que tu penses que je pense. Thérapie. Questions. Réponses. Anglais. Français. Ici, tout est saturé : d’informations, de compréhensions. Pensée en dedans. Guitare. Batterie qui claque. « I’m Lost ». Ce à quoi une voix répond : « You can’t always get what you want ». Dans le fond ? Velvetien en diable.
Puis, notre producteur érudit rend hommage au héros de son enfance en triturant le générique de « Zorro » à sa sauce. Le loup avance masquéet cette complainte de Mandrin/Malandrin ( le fondateur du Festival « C’est dans la Vallée » est des plus malin) étonne autant qu’elle désarçonne. Dans cet espace sonore immobile. Mister B. y chante comme feu son ami Christophe, d’une voix hésitante… et prompte à se remémorer des souvenirs lointains surgissant de la Nuit.
Je poursuis l’écoute, « Encore et encore ». « Que ces boucles sont monotones » susurre notre séducteur en apesanteur. Dans ce morceau, à écouter très fort au casque, les fantômes d’UNKLE et de l’album « Psyence Fiction » sont évoqués et se frottent aux plus belles heures de Kat Onoma. Voici un titre qui taraude dans l’enclos, un délice sonique qui se moque de la pop trafiquée via des aveux en Voice coder. Artisan ? Oui. Vendre son âme pour plaire aux majors ? Non. D’où ces dérapages crépusculaires en guise de pamphlet.
Déboule « Le bois lacté » où mes ressentis vont bon train. « La femme changée en renard » de David Garnett, « C’est beau une ville la Nuit » de Richard Bohringer, la verve de Jack London et les bidouillages d’Earthling en un seul morceau. Bravoure. Poésie pure, absolue et fantasmagorique. L’album passe la quatrième.
« Avalanche » en duo avec le regretté Pierre Alferi, à qui le LP est dédié. Les inspirations se bousculent. Bashung, Chloé Mons mais aussi The Doors, Pink Floyd, Diabologum ou Fauve. No limit. Et au centre du livret, le poème imprimé à la verticale.
Sur « Lenz III », Serge Teyssot-Gay et Bat for Lashes semblent batailler ferme avec Björk ou Dirty Three dans ce laboratoire labyrinthique. Et Georg Büchner ? En talk-over.
Dès lors, mon salon prend des airs d’escapade et je m’étourdis.
« Tranquille dans la Baleine » où Jonas -travesti en Gainsbourg métaphysique (et sans issue) – sert la pogne à Kraftwerk sur cette nouvelle plage. Plus loin, « Merci, merci » se pare d’un humour pince sans rire au pays de Matmos, The Aloof et Moon Diagrams.
Pause.
« En bleu adorable » -en compagnie de Jean-Luc Nancy- fait son tour de piste et tous les néons s’éteignent. Interlude pour inteslow (l’intello-slow). Burger y puise ses racines dans la phonétique et l’onomatopée, à savoir : « Welsh », Suicide, Vega et un zest d’All is full-FX- of love…
Puis, « Coplas » prend place et se love dans des parties de guitare nonchalantes. « No Sport » ? Jouvence éternelle ? Oui. Dans cette déferlante, Lou n’a pas pris une Reed.
Clap de fin. « A Dean Martin » emballe « Avalanche » sur une ritournelle italienne en demi-teinte et nous achève dans un râle fellinien.
Sonné. Rassasié.
Avalanche, Avalanche…
Moins calibré « France Inter » dans son approche, plus dramatique et théâtral dans ses monologues, le successeur d' »Environs » ne donne pas dans la facilité mais offre des richesses insoupçonnées. Organique. Sexy. Une seule écoute ne suffit pas pour définir cet objet musical non identifié et c’est bien là le plus grand cadeau qu’un artiste puisse offrir à un public exigeant. « J’ai été pris dans l’avalanche, j’y ai perdu mon âme » clamait Jean-Louis Murat dans l’album de reprises de Leonard Cohen : « I’m your Fan » en 1991. C’est cela. A présent Novembre 2024. Les lèvres gercées et le cœur saisi.
On ne doit jamais rencontrer son idole, selon certains. J’ai eu la chance de croiser Mr Burger de nombreuses fois…Sous les Voutes du 13ème arrondissement de Paris, à l’Espace 1789 de Saint-Ouen, lors d’un colloque au Centre Pompidou et d’une dédicace au sein de son label « Dernière Bande ». Imposante stature de Commandeur. Œil qui frise. Sourire en coin. Proximité et gentillesse. Immense. Hors norme.
Jeu de guitare aux riffs sensitifs et barbares. Discographie de Glace et de Feu.
Burger ? Définitivement au-dessus de la mêlée.
Burger ? Un Big Mec.
John Book.
PS: Je dédie cette chronique à mon Ami Jean-François Jacq qui, dans le courant des années 90, m’a ouvert les yeux (et les oreilles !) sur « Kat Onoma » et plus particulièrement « Billy the Kid ». Remerciements infinis, mon Jeff.