Après « Pas Fragile » et « Barje Endurance« , l’autrice-compositrice-interprète Buridane fait son grand retour avec un troisième album intitulé « Colette Fantôme » réalisé par Féloche. Poétique et chamanique cet album aux allures de dialogue temporel, explore le reflet chimérique d’un miroir aux amulettes ectoplasmiques. Dans un geste lent, aérien, elle enlace l’intime conviction d’un besoin d’exprimer les ardeurs d’un cœur gonflé de sentiment rougissant, où ce disque, tel un trésor enfouit sous la poussière des années, se révèle à elle comme une évidence. Sans bruit, en chanson, Buridane, brave l’interdit, subtilise aux ombres les cicatrices d’hier, dans une résonance bel et bien contemporaine. Affable résilience où la beauté est partout, subtil, sensible, sublime prégnance qui vibre à l’intérieur. Elle a accepté de répondre, à distance, entre deux concerts, à nos indiscrétions. Interview….
Après tes deux précédents albums, « Pas fragile » (2012) et « Barje Endurance » (2017), aux succès émérites, tu reviens avec « Colette Fantôme » (disponible depuis le 12 mai). Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?
Je ne suis pas sûre que le verbe « attendre » soit le plus approprié 🙂 D’abord la vie est arrivée, avec tout ce qu’elle a de merveilleux et de difficile : j’ai eu un enfant, je me suis séparée du père de mon fils, j’ai -comme nous tous- traversé une pandémie, j’ai aussi monté mon label pour pouvoir produire Colette Fantôme, lancé une campagne de crowdfounding pour donner le coup de pouce financier nécessaire au démarrage d’une telle entreprise, j’ai déménagé à Paris, entamé l’écriture d’un livre… À vrai dire, je suis même étonnée de ne pas avoir mis plus de temps ! haha.
Énigmatique et toujours profondément poétique, quelle approche as-tu souhaité mettre en avant cette fois ?
J’ai toujours un grand besoin de poésie, mais j’ai essayé cette fois-ci d’écrire des textes plus « directs ». Je voulais aussi qu’il y ait plus de lumière et de joie musicalement.
Qui est cette fameuse Colette qui donne le nom de ton album ?
Colette est une tante que je n’ai pas connue. Je sais cependant qu’elle était religieuse et qu’elle est morte prématurément dans un accident de voiture, aux côtés de sa meilleure amie, religieuse également. Un peu façon Thelma et Louise avant l’heure. Je sais aussi qu’elle faisait de la guitare et qu’elle écrivait des poèmes. C’est la seule personne de ma famille à ma connaissance qui ait eu une fibre artistique. Je me suis sentie comme une filiation avec elle. Cette question de la transmission m’obsédait. Qu’est-ce qu’on se lègue quand on ne s’est pas connu ? Bien sûr, mis à part la guitare et les poèmes, je pouvais faire de nombreux rapprochements entre sa vie et la mienne. C’était ça qui m’obsédait et m’inquiétait à la fois. Quelque chose me liait à elle, me hantait ou me guidait… Sa vie était un mystère. Pour quelles raisons, pour quels motifs les jeunes filles entraient-elles au couvent dans les années cinquante ? Quel genre de femmes ? Quelle place pour les moches, les handicapées, les folles, les célibataires, les dépressives ? Quelle place pour les homosexuelles dans un monde qui sortait à peine des atrocités de la Seconde Guerre Mondiale ? Colette aurait-elle pu être homosexuelle ? Aurait-elle eu, dans son milieu rural, les ressources pour le comprendre et pouvoir le vivre ? En aurait-elle eu le courage quand tout juste quelques années en arrière, la mémoire de celles qui s’étaient faites tondre, humilier et pendre sous les yeux de tous en guise d’exemple dissuasif allait hanter les esprits pour l’éternité ? Le couvent pouvait-il être un refuge ? Un refuge à l’asile, au mariage obligatoire, au devoir conjugal forcé, à l’exclusion d’une société ? Etait-ce une façon de s’en émanciper ? S’émanciper par l’enfermement. Drôle de slogan. L’oxymore de la liberté (l’occit-mort ? deux fois mourir pour la liberté plutôt qu’une !). Bref, je digresse. Elle a donc été le moteur, le point de départ, le fil rouge du disque, pour aborder des thématiques qui me sont personnels : les fiascos sentimentaux, la filiation, la transgénéalogie, le désir, la liberté impossible à saisir…
Pour cet album, tu as notamment travaillé avec Féloche, comment cette collaboration est-elle née et avec qui d’autre as-tu travaillé ?
Nous nous sommes rencontrés sur un dispositif de co-création avec d’autres artistes (Chansons Primeurs, fondé par Ignatus), dont Laura Cahen et Pauline Croze qui ont participé à ce disque. Humainement, le courant passait facile. Féloche est quelqu’un de très solaire, qui aime la joie et fait en sorte qu’elle soit partout. Lors de cette résidence, j’ai appris qu’il était le fils de Hugues Le Bars, un grand compositeur pour la danse contemporaine (Béjart, etc…) que j’admire par dessus-tout, ayant dansé pendant toutes mon enfance et mon adolescence sur ces disques. Comme on n’écoutait pas de musique à la maison, Hugues Le Bars était ma première culture musical, via la danse. Je me suis alors mise à écouter avec beaucoup d’attention la discographie de Féloche, et j’y ai retrouvé une telle inventivité, une telle liberté, quelque chose qui exulte, que j’ai très vite eu envie de lui confier les arrangements des mes chansons.
Tu abordes un choix (un grain) esthétique et graphique particulier dans tes clips. Est-ce une façon aussi de souligner et même d’amplifier ton approche romantique/dramatique ?
L’utilisation du super 8 pour les clips amène une proximité, une intimité, un peu comme un film de famille. Il évoque aussi tout de suite le passé. Il donne une impression de réalisme. Et puis techniquement, c’est presque une performance. Etant donné le prix des pellicules, nous nous fixions un maximum de 6 pellicules de 2’30 par clip. D’un seul coup, chaque prise prend une valeur très forte, demande une présence intense, génère de l’adrénaline, c’est presque du live, du one shot. C’était chouette aussi de pousser la création avec Féloche à son paroxysme. Je faisais les chansons, il faisait les arrangements. Il filmait, je faisais le montage. Comme une œuvre totale.
Tu as eu l’occasion de monter sur la scène du Café de la Danse pour le défendre. Comment as tu vécu ce concert ?
C’était un moment redouté ! Jouer à Paris n’est jamais léger. Le public sera t-il là ? Serons-nous prêts (avec Jean-Baptiste Soulard, le musicien qui m’accompagne, nous sortions tout juste de résidence) ? Les jours d’avant, on est plein de doutes. Une release party c’est tellement symbolique qu’on peut parfois en attendre beaucoup sans trop savoir quoi exactement. Et puis le jour J, tous les gens qui nous ont aidé de près ou de loin sont présents, le travail de scénographie fait en résidence prend forme sous nos yeux et sublime le Café de la Danse (des petits bosquets de fleurs suspendus, amenant poésie et mystère, comme je les aime), le public est là, et nous aussi.
Quels sont tes prochains projets ?
Peut-être que parfois, il n’y a momentanément pas d’autres projets. Vivre et faire vivre celui-ci qui vient à peine de naître, c’est déjà pas mal. Mais bon. 🙂 Il y a quand même ce projet de livre dont je parlais au tout début de l’interview, qui est une aventure littéraire autour de l’histoire de Colette, le disque ne m’ayant pas suffit.
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Photo de couv. (c) Frank Loriou