Dans l’inconscient collectif, l’Islande s’apparente à des landes glacées (Ice-Land) et désertiques peuplées , ça et là, d’autochtones en doudounes polaires et d’élans mal contrôlés. D’aurores boréales nimbant des habitations lilliputiennes et enneigées. Et d’un dialecte guttural phonétiquement compliqué. Un monde extra-terrestre totalement givré qui a donné naissance à de nombreux artistes hors-normes tels que Björk, Gusgus ou encore Unun (et leur épatant album « Super Shiny Dream« ), battant à plate couture-originalité oblige- l’hégémonique brit-pop dans les 90’s. C’est vrai, en partie. Mais la réalité est tronquée.
Car à l’image du sublime clip de Gondry, ce cliché-partagé par bon nombre d’entre nous- offre une image d’Épinal bien éloignée des réalités sociales qui agitent le pays. Et le Monde.
Nous sommes tous pareils. Logés à la même enseigne (en saigne?). Et l’histoire la plus personnelle rejoint le drame universel. A savoir les dérives du capitalisme dans une économie malade gangrénée par le profit. Grimur Hakonarson l’a très bien cerné dans son excellent dernier film « MJOLK, La guerre du Lait » où des agriculteurs sont taxés quotidiennement par une coopérative mafieuse et tentaculaire. Impossible d’échapper à la Machine. Elle vous broie, vous avale puis vous recrache, exsangue et ruiné. A moins que vous ne décidiez de la prendre dans vos bras et de marcher aux pas, quitte à fermer les yeux sur ses exactions et à vous tourner vers la délation la plus infâme ?
Mais j’en dis trop…
Ce qui m’a énormément plu dans ce long-métrage à hauteur de Femme, c’est la simplicité avec laquelle le réalisateur filme ses personnages et déroule sa narration implacable. Pas de chichis, pas de fioritures. Le quotidien de ce couple de fermiers, leurs difficultés financières et la main mise de la Coopérative sur leur travail, nous est montré sans glamour ni condescendance. Proche du documentaire dans son approche toute « Bressoniènne« , cette Guerre du Lait nous interroge sur le sort de ces paysans courageux qui sacrifient leur couple sur l’autel de la rentabilité.Proche de « Léviathan » d’Andrey Zvyagintsev et de « C’est quoi la vie? » de François Dupeyron dans leur manière de faire jaillir des moments poétiques au sein même d’une existence ordinaire, ce pamphlet politique ne serait rien sans l’interprétation magistrale de sa protagoniste: Arndis Hrönn Egilsdottir. Dévouée corps et âme à l’interprétation sans faute d’Inga , guerrière terrienne et veuve vengeresse, cette dernière impressionne dans sa volonté de ne rien cacher de son état physique (elle est littéralement abattue et dévastée par la peine) ni de ses formes (abîmées par le travail). Une Erin Brockovich du Grand Nord, qui n’a pas le loisir de se maquiller mais chausse ses bottes et prend pour seule arme la parole.
Filmée au plus près, il faut voir cette actrice hors-norme, le regard -emprunt de ténacité- noyé sous les larmes. Une performance mémorable où tout est suggéré, susurré, souterrain … Et, surtout, une leçon d’acting que bon nombre d’actrices françaises devraient prendre en exemple, mais je m’emporte…
Pour toutes ces bonnes raisons, et plus encore, précipitez vous vers la salle d’Art et d’Essai la plus proche et prenez votre baffe!Une gifle utile et salutaire. Une « saine colère » pour reprendre Ségolène.
Mais surtout un constat sans équivoque sur le sort réservé à bon nombre d’ agriculteurs qui luttent quotidiennement et dignement pour une vie meilleure.
John Book.