« Drunk » de Thomas Vinterberg. Intoxicated Man.

Nous le savons, Thomas Vinterberg est un vrai rocker doublé d’un cinéaste d’exception. Toutefois, depuis son dernier biopic historique et emphatique, je me posais de légitimes questions. Avait-il vendu son âme au Diable ? S’était-il fourvoyé pour toujours dans des budgets colossaux au détriment de projets plus personnels ? Renouerait-il avec l’acidité de ses premières saillies cinématographiques ?
 
Son nouveau long-métrage « Drunk » augurait du meilleur. Un possible retour en grâce avec Mads (gnétique) Mikkelsen en tête d’affiche et les ravages d’une addiction pour toile de fond .
 On se masque, on se dirige vers une salle de cinoche. Moteur. Action.
En costume de cinéphile, me voici dégrisé. Moi qui m’attendais à une bourrasque, me voici en présence d’une liqueur fadasse. Par Jupiler! La bande -annonce semblait alléchante et ce film ne pouvait qu’emporter mon adhésion. Mais non. Le concept ne dépasse jamais une idée de base un peu chiche et le réalisateur de « Festen » peine à transcender son sujet ou à le magnifier. Nous nous accrochons à une narration anémique, espérant en vain un sursaut scénaristique, loin des clichés vus et revus sur l’alcool (à la fois catalyseur et révélateur chez nos quatre professeurs quinquas, il met en exergue leurs failles familiales et leurs échecs respectifs plus qu’il ne les extirpe d’un quotidien morne et balisé. Il est surtout ce que l’on en fait. Un réconfort ponctuel et suave, un vecteur de fêtes irradiées et sporadiques ou un poison quotidien). Nous attendons d’être extirpé d’une langueur passive durant deux heures. En v(a)in.
Tommy, je ne sais pas ce qu’il y avait dans ta fiole mais ça s’étiole.
 
Ce long-métrage aurait mérité un brin de folie et des lendemains de cuite panoramiques, des élans poétiques et des dialogues enlevés ( voir « Un Singe en Hiver »). De plus, l’interprète d’ Hannibal, habitué des compositions magistrales, semble bridé et n’accède jamais au rang des incarnations inoubliables (au choix, Nicolas Cage dans « Leaving Las Vegas », Mickey Rourke dans « Barfly » ou Matt Dillon dans « Factotum »). Toute tentative semble esquissée et réprimée. A l’image de ce « Kursk-Kursk » indigeste au casting hétéroclite (non, ce n’est pas une préférence sexuelle), étalonné pour les dimanches en prime time et bien loin des incandescents  » Loin de la foule déchainée » ou « La Chasse ».
En tant que cinéphage, ça me dézingue.
Quitte à voir un blockbuster subaquatique, plongez vous dans le glacial « K 19 » de l’immense Kathryn Bigelow (avec Harrison Ford à contre-emploi et l’impérial Liam Neeson) ou l’efficace « U 571 » de Jonathan Mostow!  Tiens, j’ose une disgression ! Puisque l’on parle de boissons, voici, selon Harrison Ford, les clefs d’une bonne soirée : Un(e) Ami(e), un bon whisky et une bonne blague. 
Mais la bonne blague, elle est sur l’écran, face à moi.
Gueule de bois.
J’aurais opté pour une charge vindicative et sociétale ou un twist infernal. Un discours immoral, des divagations divines. Des corps qui exultent et se percutent, des escales de mezcal.
Une expérience de cinéma un peu plus « la Terre tourne t’elle? » que Tourtel.
Mais non.
« Drunk » se la joue film d’auteur fédérateur sans dé-skol-ler vraiment. Pire, il s’enlise et nous avec.
Fuck!
 Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark.
 
Rien à sauver?
Si, indéniablement une « patte ». Comme souvent, chez le concepteur du brillant clip de Blur (« No distance left to run », c’est lui!) la réalisation est toujours alerte, surprenante, sur le « qui -vive ». Sa photographie privilégie les couleurs chaudes et sa caméra à l’épaule (des relents du Dogme95?) virevolte avec les vicissitudes des protagonistes. Mais dans ce douzième long-métrage, ces derniers sont désincarnés, plaqués sur la pellicule… nous ôtant ainsi toute empathie.
Pire, les personnages féminins (joués à la perfection par Maria Bonnevie et Helene Reingaard Neumann) se résument à des mères castratrices ou à des femmes infidèles. Seconds couteaux émoussés et sacrifiés sur l’autel de la masculinité ambiante. T’aurais voulu « Conte de la Folie ordinaire », tu te tapes « Le Cœur des Hommes » en mode alka seltzer. Quatre bassets pour un Danois. Sans les nanas.
 Les alcooliques brâment entre mâles?
En tant que « mec », cela me fait mal.
Ce gâchis est d’autant plus inconcevable que la distribution (Thomas Bo Larsen, Magnus Millang et Lars Ranthe en totale harmonie) de par son implication tire le film vers une véracité, parfois, proche du documentaire. 
En tant que spectateurs, on trinque sévère. 
 
Je ne retiendrai rien de ce « Drunk » pas du tout « punk » ni « funk ». Black Out. Coma éthylique. Un Very bad trip à la mode de « Quand? ».
Dans le plan final, le personnage principal particulièrement imbibé, se « jette à l’eau »… au sens propre comme au figuré.
Pour sa prochaine fable morale, je conseille humblement à Thomas Vinterberg d’en faire de même.
 
 
John Book.