Les amateurs de « Bernie » seront vernis ! Albert Dupontel abandonne l’adaptation filmique-et réussie- pour revenir à ses premiers amours, à savoir la comédie sociale trash. Bien entendu, « Adieu les Cons » possède un budget nettement plus confortable que son premier long-métrage culte. Mais qu’on se rassure, notre humoriste n’a rien perdu de son mordant ! Son mauvais esprit « gratte-poil là où ça fait mal » contre-attaque, à nouveau, pour notre plus grand bonheur. Et des petits bonheurs, bon sang, il y en a à la pelle (dans la gueule) dans cette course-poursuite déjantée et savoureuse! En premier lieu, la réalisation. Nous le savons, Mr Dupontel est un cinéphage absolu qui a ingurgité plus de films que le gotha des Césars. Il ne se prive, donc, pas et pigmente son objet cinématographique de plans absolument « bandants », évitant ainsi le téléfilm luxueux et plan-plan. Mieux, par la grâce de travellings élégants, de raccords malins et de caméras en plongée, il donne à sa satire une énergie revigorante. En comédie, tout est question de timing, de montage et de rythme. Notre réalisateur surdoué l’a très bien compris et démarre sur les chapeaux de roues, ne s’arrêtant sur le bas-côté que pour y laisser l’émotion des personnages s’exprimer.
Pour preuve, cette magnifique séquence où nos trois mousquetaires s’esbaudissent de la rencontre de deux tourtereaux coincés dans un ascenseur. Moment cocasse et pudique où la façade de l’immeuble devient un gigantesque terrain de jeu et où la figure maternelle se substitue à un Cyrano high-tech (terrain de « je »).
En deuxième lieu, le casting. Cette équipée sauvage est remarquable de justesse, même dans l’incongruité de certaines scènes surréalistes. Virginie Efira campe avec beaucoup de délicatesse une femme en quête de vérité et se love impeccablement dans cet univers barré, Nicolas Marié (ami fidèle et acteur récurrent) incarne un séducteur aveugle avec un aplomb confondant et Albert Dupontel (peu à l’aise avec l’acting, selon ses dires) joue avec entrain un fonctionnaire au bout du rouleau. Ce trio infernal croisera la route d’une galerie de personnages hauts en couleurs et habités par des acteurs visiblement heureux de se joindre à cette pantalonnade (Jackie Berroyer, Catherine Davenier, Michel Vuillermoz- autre brillant Cyrano- et Bouli Lanners, pour ne citer qu’eux). Enfin, la liberté de ton. On imagine très bien le scénariste du « Créateur » se camper devant son téléviseur, donner des noms d’oiseaux aux intervenants de POUBELLETV, s’arracher les cheveux devant les actualités et écrire d’un ton rageur le synopsis de son septième long-métrage. « Adieu les Cons » égratigne une société en perdition où certaines exactions de la police sont banalisées, où la surveillance et la reconnaissance faciale sont monnaies courantes et où la servitude liée à nos portables abêtit plus qu’elle n’élève.
Libertaire, le film l’est incontestablement. Dans son attitude kamikaze mais aussi dans son rapport poétique à la Vie. « Mala Vida » répète à l’envie Manu Chao et La Mano Negra. La Mauvaise Vie ? Plutôt la vie mauvaise. De celle qui vous met dans des cases, des chiffres et des codes numérisés. De celle qui phagocyte et vous réduit à peu de choses. Un élément trop vieux dans une entreprise ? Push the button & reset. Une mère jugée trop jeune pour garder un enfant ? Delete. Une seule voie possible, la poudre d’escampette. Se sortir de la norme. Se réveiller. L’Ailleurs dans l’attente de jours meilleurs.
Charlie Chaplin traversait subrepticement le décor d' »Au revoir là-Haut « et Buster Keaton infusait « Enfermés Dehors » et » Le Vilain ». Ici, c’est l’esprit de « Charlie Hebdo » et « Hara-Kiri » qui prédomine. La douce ironie d’un Cabu et l’humanité d’un Cavanna. Méchant mais pas chiant. L’humour est la politesse du désespoir ? La salle riait à gorge déployée, mon fiston de quatorze ans le premier.
Je me dois d’être objectif :
Dans une vie antérieure, j’ai eu l’occasion de travailler dans une grande enseigne culturelle au rayon DVD (je vous parle d’un temps…) et de croiser le réalisateur susnommé. Affable et d’une curiosité à toute épreuve, il me demanda l’édition en import US de « L’épouvantail » de Jerry Schatzberg. Une inspiration éventuelle pour un projet à venir ? Il eut la délicatesse de m’octroyer quelques minutes de son temps afin de répondre à mes questions, toujours avec le sourire. On dit qu’il ne faut jamais rencontrer ses idoles de peur d’être déçu. En cet instant précis et précieux, mon affection pour l’un des plus grands réalisateurs actuels dans notre hexagone (avec Jacques Audiard et Emmanuel Mouret) n’en fut que plus grande.
Alors? Si vous aimez les sales histoires, populaires et intelligentes, faites-vous du bien…
Dé confinez-vous des cons finis et ruez-vous dans la salle de cinoche la plus proche !
Albert Dupontel est un cinéaste rare, libre et totalement rock. La preuve ?
Il aime « The Hyènes »!
John Book.