FEU ! CHATTERTON, TOUJOURS INCANDESCENTS

Mercredi 5 juillet 2017. J’avais coché de longue date deux concerts ce soir-là : Spoon @La Maroquinerie et la Soirée Hexagone#2 – Festival Days Off @La Philarmonie de Paris (avec Julie Armanet, Faire, Jacques, Requin Chagrin et Sônge). Pas de places réservées à l’avance, le choix se portera comme souvent au dernier moment vers l’un ou l’autre.
Et puis, hasard des Réseaux Sociaux, le partage d’un événement par Juliette D., jeune et talentueuse chroniqueuse Songazine, bouleverse mes plans initiaux : Feu ! Chatterton est ce soir en concert @L’Amour au 24 de la rue Molière à Bagnolet (M° ligne 11, arrêt Mairie des Lilas, Bus 115) !
Un concert solidaire organisé par l’association noctambule Les Eveillés, où 100% des bénéfices (entrées + bar) seront reversés à des assos qui viennent en aide aux exilés. Places limitées (1000) nous informe-t-on, il faut arriver dès 19h pour choper le graal de l’entrée pour 7 balles modiques.

Adieu Spoon et La Philarmonie, ce sera pour une autre fois.
19h15. La rue Molière sous le cagnard est bondée. J’ai bien fait d’arriver tôt.
L’Amour est un entrepôt désaffecté depuis plus de 20 ans, investi et retapé par un groupe de dix jeunes artistes bénévoles du collectif artistique associatif de l’Ourcq, sous la houlette de Alexandre Gain, auto-proclamé ‘’ouvreur de squats professionnel’’ (il est aussi à l’origine du collectif ‘’Point G’’ et du ‘’Wonder’’) et de l’artiste Jacques Auberger dit ‘’Jacques’’.

Créé en 2015, L’Amour est ‘’une galerie d’art, un théâtre, un bal populaire, un cinéma, un atelier, un lieu de vie, un collectif d’artistes, un lieu d’échange (les ‘’repas de quartier’’ proposent aux voisins de venir partager un plat de leur préparation) et de création’’, en permanence sous l’épée de Damoclès de l’expulsion.
On pensait d’ailleurs l’endroit définitivement fermé depuis cet hiver mais il n’en est rien. La précision se trouve sur leur Facebook : ‘’On vous avait un peu mytho cet hiver pour que les gens nous laissent tranquilles pendant qu’on hébergeait des mineurs isolés. On est pas désolés, c’était pour une meilleure cause que l’art contentpourrien. On a hâte de vous revoir’’.
Le hangar est (très) loin du clinquant de L’Elysée Montmartre ou de La Philarmonie. L’élément de déco central est un palan de marque Yale and Towne© Triplex datant de 1915, ‘’dans son jus’’ comme dirait le magnat immobilier et cathodique Stéphane Plaza.

Les enduits des murs n’ont pas été repris récemment, des palettes en bois font office de sièges un peu ‘’roots’’ (les canapés moelleux Hugues Chevalier sont envisagés dans les 50 prochaines années), la climatisation est inexistante et la moiteur est intense (me serais-je trompé de lieu… Bagnolet ou Bangalore ?).
Sans compter l’électricité, chopée par un réseau, qui n’est pas vraiment à la norme de référence électrique NF C 15-100 ! Arthur Teboul, le chanteur leader du groupe, le vérifiera tout au long de la soirée, victime de ‘’coups de jus’’ à travers tout le corps. ‘’Ce soir, nous sommes les Electriques ! Chatterton’’ plaisante-t-il, mi-amusé mi-inquiet, le micro enroulé de ouate papier pour s’éviter de prendre une nouvelle décharge.
L’Amour avait quelque chose d’électrique ce soir. Entre Feu ! Chatterton et son public, « le courant passe », le « coup de foudre » est toujours vivace et les ‘’atomes crochus » sont forts ! Il est amusant de noter qu’à l’issue du concert, une ’’after party’’ est proposée… au Cirque électrique !!!
Dans ce lieu de ‘’décloisonnement’’, improbable et décalé, on mesure au fil de la soirée la chance que nous avons d’être là, de faire partie d’un millier d’happy few qui relateront pendant longtemps autour d’eux cette soirée incroyable du 5 juillet 2017 et ponctueront leur récit par l’éternel ‘’J’y étais !’’.
Car le concert de ce soir est le seul et unique en 2017, le groupe ayant annoncé ‘’ne plus rejouer avant janvier 2018’’.
Après une année 2016 ponctué de nombreuses scènes où ils ont joué les morceaux de leur 1er album, ‘’Ici Le Jour (A Tout Enseveli) (2015)’’, le groupe au line-up inchangé – Arthur Teboul (chant), Sébastien Wolf (guitare, claviers), Clément Doumic (guitare, claviers), Raphaël De Pressigny (batterie) et Antoine Wilson (basse) -, est parti en Colombie et en Equateur fin mars 2017 pour une mini-tournée ‘’Fuego Chatterton Tour’’ de 6 dates.
Le groupe est ensuite rentré en studio le 24 avril 2017 @Manoir de Léon (anciennement Studio du Manoir entre 1980 et 2010), au cœur de la forêt landaise, pour préparer et enregistrer un second album très attendu. L’endroit a vu défiler Siouxie & The Banshees, Noir Désir et Etienne Daho et, depuis sa réouverture à l’hiver 2015, Indochine et Les Wampas. De bon augure…

Aucune chanson du prochain album n’a été jouée hier soir ; l’exclusivité d’un nouveau morceau aurait été ‘’The Cherry On The Cake’’. Durant les 1h30 de concert, Arthur nous emmène en voyage, nous raconte une histoire, un cheminement entre chaque morceau. ‘’Ophélie’’, ‘’Fou à lier’’, ‘’Côte Concorde’’ (tragique et hypnotique), ‘’Boeing’’ et ‘’La Malinche’’ (dansants…. ‘’Oh oui !’’), ‘’La Mort dans la Pinède’’ (‘’Profitons de cette ardeur pour aller plus loin et faisons l’amour tous ensemble’’), nous auront encore une fois ravis et transcendés.
Arthur est toujours ce dandy charismatique, habité, à la présence lyrique et à la gestuelle unique ; Clément et Stéphane sont des guitaristes hors normes ; Raphaël, venant du jazz, est un des meilleurs batteurs français et les lignes de basse d’Antoine sont gigantesques.
Le set se termine par ‘’Je t’ai toujours aimée’’, cover de Polyphonic Size, qui sublime la version originale, celle avec Jean-Jacques Burnel des Stranglers au chant et à la basse.
Le groupe fait monter roadies et ingé son sur la scène pour une dernière acclamation intense d’un public totalement conquis depuis longtemps.
Les cinq se fraient un passage dans la foule (il n’y a pas de backstage @L’Amour) et s’évaporent…
Je n’avais jamais vu Bagnolet sous cet angle auparavant. Elle est belle notre banlieue ce soir…

Alechinsky.