47e Trans Musicales, Jour 3, douleurs fantômes et hallucinations heureuses

Vendredi, c’est le fameux troisième jour. Celui que tous les marathoniens espèrent autant qu’ils le redoutent. Les boîtes à images sont déjà bien pleines, l’envie toujours là, mais au vu de la liste hallucinante de performances qui nous tentent, il est audacieux d’en parler sans avoir jugé réellement la justesse de nos attentes au pied de la scène. Les oreilles sifflent légèrement au réveil, le cerveau fait déjà des calculs absurdes : « si je rentre pas trop tard, je garderai de l’énergie pour samedi ». Spoiler alerte : il n’en sera rien. 16 h, les cartes mémoire sont vidées et nous avons fait le plein d’énergie, retour au Liberté. Le chronomètre repart.

PHOTONS, belle remise en mouvement

Nous saluons les ami.e.s présent au premier rang et dans le crash, un débriefing rapide des meilleures choses vues hier et des immanquables d’aujourd’hui (ça fait partie des petits rituels amusants). PHOTONS, démarre, après une nuit courte, pas facile de reprendre une écoute complètement attentive, il y a toujours un petit temps de latence. Mais l’électro-jazz du Franco-Suisse Gauthier Toux, lumineuse, immersive, réparatrice fait son effet. Le combo qui incarne la nouvelle garde du jazz français, nous disait-on, et en effet on se laisse porter par cette techno ambiante vibrante. C’est une musique qui agit comme un étirement sonore : avec Photons on relance la machine sans trop forcer. Les corps entrent dans la danse, la magie continue.

LOFÁCIL, précision sensuelle

Avec Lofácil, duo mixte originaire d’Oviedo, dans les Asturies, on entre dans une section plus électro-pop, plus sensuelle. Les mélodies enveloppantes de Carlos et la voix chaude de María jouent avec nos émotions, offrant quelques beaux frissons en partage… Beats ciselés, textures fines, en osmose, c’est le moment où l’ascenseur émotionnel emporte le public, attentif, soudé. Une prestation sensible qui fait sensation.

GREGAILH, régularité exemplaire

Voilà un cocktail étonnant de musiques traditionnelles bretonnes et de noise underground. Le duo Gregailh déroule une électro organique, subtilement étrange. Déroutant. Leur musique est néanmoins dansante. Bienvenue dans une sorte de bal expérimental où on trouve ici une cadence ni trop rapide, ni trop lente. Pour nous c’est une vraie découverte atypique, plein de confiance…

KIMIA, premier coup de chaud

Avec Kimia, la température monte. Son univers afro-électro singulier est dense, met à l’honneur l’afrobeat tout en développant une scénographie impressionnante. Ses thèmes de prédilections émotionnelles dénotent un peu avec une présence frontale, elle danse, saute et harangue la foule avec vigueur. Faisant la démonstration d’un charisme pour le moins déroutant ! C’est pour mieux nous captiver, mon enfant. L’intensité scénique de Kimia agit comme un coach mental. On tient mais 20 h sonnent déjà. On attaque une zone de friction : si on veut continuer, il est temps de quitter le centre-ville.

Sans transition go Parc Expo, l’entrée dans la 1ere longue nuit

Navette, marches rapides, brouhaha infernal, bouchons, check point et bain de foule sous la pluie. Le Parc Expo apparaît comme un stade toujours aussi galvanisant. Ici, il est plus difficile de garder l’œil sur les horaires, tant les enchaînements et le changement de hall ajoutent à la complexité de l’exercice. La nuit promet d’être un ultratrail. Avouons qu’il faut être un peu maso, mais nous adorons année après année vivre cette expérience intensément.

 

SSADCHARLIE, relance nerveuse

SSADCharlie arrive gonflé à bloc, Hall 4, dans une accélération fiévreuse, nerveuse. L’angle d’attaque du jeune Charlie, originaire de Bristol, est vif. L’énergie hip-hop, rap-punk, néo-soul est dingue. Le rythme cardiaque grimpe en flèche. C’est brutal mais nécessaire pour chauffer les premiers festivaliers du Parc. On sort du set du Britannique un peu abasourdi.

KARMA SHEEN, rétro fuzzy cool

Karma Sheen, c’est la longue ligne droite hypnotique, s’inspirant d’une esthétique rétro à la Led Zep ou Jimi Hendrix, sorte de cocktail à base de hindoustani chamanique, de rock fuzzy, de néo-psychédélique planant et d’indie-pop chaleureuse. Sous la direction de Sameer Khan, sitar, thérémine et guitares, forment des grooves circulaires aux ambiances multiples tout comme les influences, par moments trop évidentes, mais l’ensemble reste séduisant justement pour ce mélange de rock occidental et de musique traditionnelle. On pense forcément à Altın Gün ou King Gizzard. Qu’importe, l’ADN est cool et Hall 8 la communion avec le public est quasiment immédiate. On entre dans cette fameuse zone abstraite où il n’est pas toujours facile d’être objectif sans tomber dans une sorte de mécanique trop expéditive. Savoir savourer l’instant sans trop réfléchir, c’est important pour ne pas avoir le sentiment, à la fin, de ne rien ressentir vraiment intensément.

MARTHA DA’RO, néo-soul émotionnelle

Passage express par le Hall 5 pour découvrir la prestation de la chanteuse belge Martha Da’Ro. Breakbeats, voix magnétique et univers néo-soul émotionnel, c’est une performance sous tension entre fusion hip-hop profonde et groove poétique. Elle donne de sa personne, en parcourant, telle une lionne, de long en large l’immense scène pour un maximum d’interactivité avec le premier rang survolté. Ce n’est pas ce que nous retiendrons le plus, mais la maitrise de la jeune femme est totale et on se sent forcément un peu privilégié d’être au milieu de cet échange, façon ping-pong géant de passion électrique.

DESCARTES A KANT, mur du son

Puis retour Hall 4 pour l’onde de choc Descartes A Kant. Le combo mexicain, originaire de Guadalajara, c’est le fameux mur du son entre surf music, punk, metal, pop et shoegaze que nous espérions. Théâtral, aussi chaotique que calibré au millimètre, dans une esthétique rétro-futuriste, la performance scénique et physique est imparable, la charismatique Sandrushka Petrova en est un atout maitre indéniable. Néons fluo et  combinaisons spatiales, tout est top, surtout avec leurs mélodies pleines de fougue, de fantaisie et un peu de Sonic Youth, de St. Vincent, parfait pour tenir le cap. Hors de question d’abandonner en si bon chemin. 

MY FIRST TIME, second souffle

On passe encore un cran plus haut avec l’excellent quatuor anglais, My First Time. Du bon rock So British à la sauce Blur avec un soupçon de post-punk à la Shame, voilà un cocktail énergique et incandescent qui agit comme un second souffle aussi bienvenu qu’inattendu. Aucun doute, le jeune combo en a sous le capot et fait preuve d’une aisance surprenante sur la scène du hall 4. Sans vraiment réinventer le style, leurs titres sont d’une efficacité désarmante, le tube « Bodybag » est une arme fatale. Un petit bain de foule s’impose pour le leader, histoire de mettre tout le monde d’accord. Hyper galvanisante, leur énergie nous happe et trompe la fatigue par le même effet. Étonnamment à la fin du set, on repart plus léger.

 

MAQUINA, passage en force

Avec Maquina, pas de compromis. D’emblé la techno instrumentale du groupe portugaise, envoi du lourd même avec des bouchon d’oreilles le niveau sonore est stupéfiant. Brute, percussive et industrielle c’est la section rythmique qui tien l’ensemble dans une sorte de transe. Quasi sans éclairage le Hall 5 est plongé dans un brouillade définitif on est alors littéralement transpercer par cette ambiance furieuse proche d’une rave party. Le public vibre, les jambes suivent la cadence par réflexe. 

LA NIÑA, éclaircie mystique

Changement de hall et d’ambiance. C’est un voyage en terre napolitaine que nous propose La Niña. La chanteuse, Carola Moccia, au charme magnétique, apporte avec elle une lumière folk étrange où la puissance d’une tradition est réinventée dans un univers émotionnel plus contemporain. Les nappes sonores du quatuor qui l’accompagne (claviers, batteries et percussions) ajoutent à cette parenthèse ensorcelante un vrai flow enveloppant. On ralentit sans pour autant perdre en intensité, comme si notre parcours nocturne s’ouvrait soudain sur un paysage plus sensible que sensationnel.

L.A. SAGNE, maintien coûte que coûte

Retour au punk rock et à la cavalcade sonore avec le groupe néerlandais L.A. Sagne. D’emblée, la chanteuse Tara Wilts en impose par son chant hyperpuissant. Ajoutons la maestria mélodique du combo guitare, basse, batterie et les hymnes « I’m a Girl » et « I Paint Walls » font des ravages… Justement, son vaillant guitariste joue de son instrument avec fougue et pour ajouter un striptease à la performance. L’effet est discutable pour certains, remarquable pour d’autres (pour ma part le combo baskets All Star et chaussettes blanches est une faute de goût dommageable… ahah!) mais passons cet effet de manchette. C’est de la pure vibe. Vivement leur premier album, dont la sortie est prévue en avril 2026…

ETUK UBONG  transe collective

Le trompettiste nigérian Etuk Ubong et son collectif, un cocktail militant de jazz, d’afrobeat et de rythmiques ekombi effrénées. Cette « Earth Music », comme il aime à la nommer, est à l’évidence hyper fédératrice et ses morceaux « Africa Today » empreinte de bienveillance, de paix et d’amour sonnent le moment idéal où la fête empêche la nuit de nous mordre trop profondément. Rythmes cuivrés en spirale cosmique : cette afro-groove contemporaine envahit le Hall 8, et le public en apesanteur devient un seul corps en mouvement. On est ensemble, on danse ensemble, on tient ensemble jusqu’au final.

DEBASEMENT, expérience finale

Sur les rotules, nous achèverons cette journée avec la sulfureuse Alli Logout (frontwoman de Special Interest) et son nouveau projet DéBasement. La techno lourde de Margo XS, qui l’accompagne dans cette aventure, est sombre et explosive, et la cadence est infernale. Sous le coup des beats hyperpuissants (limite violents), le Hall 5 se transforme rapidement en un gigantesque club techno trans. La scène, quant à elle, est plongée dans une abondance de fumée et une économie de lumières vraiment insupportable au point que nous ne pouvons réellement apercevoir le duo que par intermittence. Heureusement, Alli, en parfaite bête de scène exubérante, use de l’avancée du plateau pour entamer une pole dance langoureuse sur le monsieur de la sécu en utilisant au passage son SM58 (micro) en guise de phallus érectile avant de bondir dans la foule pour le plaisir des festivaliers déjà complètement surexcités. C’est une performance XXL et une expérience pour le moins bluffante que nous vivons là en direct. Un show étourdissant qui valait bien le coup d’attendre 3 h du mat. La course est éprouvante et le corps en apnée, l’esprit flottant un peu… Et même si on aime ça, force est de constater que les batteries de l’appareil sont aussi HS que nous. Un peu avant 4 h, nous laissons DéBasement jouer avec son public. En espérant revoir le duo bientôt.

Vendredi se termine dans cet état étrange propre aux Trans : épuisement auditif extrême et bonheur pur. On sort du Parc Expo en titubant légèrement, ivres de tant de déferlantes créatives, convaincus que samedi sera encore riche en émotions.

 

Stéphane Perraux / Photos Bruno Bamdé