TOURNEZ AVEC LES FLESHTONES ! DANSEZ AVEC LES FLESHTONES !

La journée du 7 novembre 2019 s’était déroulée en ondes Bêta, avec une charge mentale élevée. Un éveil de tous les instants et une pleine activité physique, cognitive et intellectuelle qui m’avait permis d’aligner, assez subtilement dois-je vous l’avouer, analyses chiffrées et plans d’actions pertinents.

La seule vision du directeur financier, croisé dans les couloirs en milieu d’après-midi, m’avait affecté. Pour lui. Sa mine grisâtre et son teint nauséeux confirmaient à l’envi que le méchant actionnaire, un fonds d’investissement anglo-saxon froid, sans âme et sans Telos, devait lui mettre une pression terrible : les insuffisants 8,9% d’ebitda devaient le tirailler de l’intérieur (l’objectif d’operating profit avait été fixé à 10% à fin décembre et préfigurait d’une probable cession prochaine. En clair, selon l’expression française née au XVIIème siècle, il fallait « rendre la mariée plus belle »). Le temps était compté désormais, tout autant que sa propre pérennité au sein du Groupe. Il s’apprêtait à jouer les deux mois les plus cruciaux de sa brillante carrière avec, au bout du couloir, soit la prime mirifique dont il se servirait pour soigner son ulcère au soleil, soit la porte de sortie définitive et l’octroi de congés prolongés.

Faisant fi de cet avenir aléatoire et comme une défiance à ces ondes Bêta supérieur, je projetai de passer la soirée au Ninkasi Gerland / KAO qui programmait ce soir-là des légendes du rock underground : Jon Spencer & The Hitmakers, venu défendre son premier album solo « Spencer sings the hits » sorti le 2 novembre et The Fleshtones, en ondes Alpha depuis 1976, plus rien à défendre mais venus exprimer leur joie communicative et leurs délires scéniques tout en énergie. L’histoire du rock ne le retiendra sûrement pas mais, preuve de mon amour pour ce groupe, je m’aperçus bien plus tard que mon billet portait le n°000001 !

Le légendaire quatuor new-yorkais, qui fit les belles heures du CBGB’s et du Max’s Kansas City aux côtés d’autres légendes (les Ramones, Johnny Thunders, Suicide, Blondie, Television, Talking Heads… à qui ils rendront hommage ce soir) et des night-clubs incontournables (Pyramid , Danceteria, Club 57…), affiche une complicité sans pareille, à l’image des Stranglers, présents sur cette même scène le 23 novembre 2017.

Peter Zaremba (chant, claviers) et Keith Streng (guitare), co-fondateurs du band (1976), Bill Milhizer (batterie, depuis 1980) – « le plus sauvage d’entre nous » m’avait avoué Zaremba lors de leur passage au Petit Bain le 30 novembre 2017, alors que Bill s’était évaporé dans la nuit parisienne à l’issue du concert sans que les trois autres ne sachent précisément où et sans qu’ils s’en inquiètent outre mesure – et Ken Fox (basse, depuis 1990) jouent (très bien) à l’unisson, entre garage rock, protopunk et surf music.

Insufflant des chorégraphies singulières dans lesquelles s’engouffrent immédiatement ses compères complices, le « comte psychédélique » et kinesthésique Zaremba lance le traditionnel  « Tournez avec les Fleshtones », invitant le public à tourner sur lui-même, bientôt suivi par le « Dansez avec les Fleshtones », laissant alternativement le chant à Keith Streng (dont on sent le background hard-rock) et Ken Fox.

A contrario de l’introspectif Nick Cave, les Fleshtones font depuis toujours dans l’introfestif ! Vous ne trouverez aucun hit commercial dans leur discographie fournie (24 albums studio) mais des titres qui engagent à la bonne humeur, preuve que le rock’n’roll n’est pas qu’une affaire noire et sombre parsemée d’alcool et de drogues.

Il est 22h46 subitement lorsque les quatre quittent la scène après plus d’une heure de concert, pour se diriger vers la sortie au fond de la salle. Fausse alerte ! « We’ve a pint to catch ! » lance Zaremba avant de s’enfiler une bière salvatrice.

Cette facétie plus tard, ils sont à nouveau sur la scène, peut-être moins sauvages que dans les années 80 mais plus dingues et fun que jamais !

Le concert se termine, les visages dans le public sont ouverts et souriants. Le cerveau droit en éveil, je télécharge soudainement l’idée que, lorsque l’ebitda est en berne, la meilleure des stratégies serait d’ordonner dans un même élan à ses collaborateurs : « Tournez avec les Fleshtones, Dansez avec les Fleshtones ! ? ».

 

Alechinsky. 

P.S. : Après avoir dîné dans le quartier de Gerland à l’issue du concert, de retour vers mes pénates hôteliers, j’aperçois Peter Zaremba qui semble en faire de même, marchant seul dans la rue vêtu de sa cape noire. J’ose l’aborder pour le remercier, le féliciter de sa prestation du soir et lui dire tout le bonheur qu’il m’apporte à chaque fois. Nous échangeons des banalités… le concert du Petit Bain fin 2017 (avec les brillants The Norvins, aujourd’hui dissous en première partie), le nouveau son prometteur du Secret Place à Saint-Jean-de-Védas où ils joueront bientôt, la longue route vers l’Alsace où ils joueront demain… J’ose encore un « Would you accept to take a picture or is it too late ? » suivi d’une réponse immédiate : « Yes of course » ; Peter réajuste sa cape et s’amuse d’une dernière grimace. Il fait du rock comme il vit : en s’amusant de chaque instant…

Concerts à venir :

17/11 Secret Place @Saint-Jean-de-Vedas (34) (avec The Sonic Preachers). 19/11 L’antonnoir @Besançon (25). 20/11 Gibus Live @Paris. 21/11 Mondo Bizarro @Rennes. 22/11 Le Sans Réserve @Périgueux (ex-Réservoir) (24). 3/12 Secret Place @Saint-Jean-de-Vedas (34) (avec Zoldier Noiz)

Crédit photo de Une : Jacopo Benessi. De gauche à droite : Keith Streng, Ken Fox, Peter Zaremba et Bill Milhizer. 

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