“The Works” de Nik Kershaw. Les Temps Modernes.

Certaines nouvelles papillonnent en nous comme des promesses d’avenir. Nik Kershaw reprend la route des tournées dès ce mois de Mai 2021 à travers l’Europe et c’est tout un pan de ma jeunesse qui ressurgit à cette incroyable annonce! Nik Kershaw. L’interprète inoubliable de ” Wouldn’t It Be Good”. Time Machine. En 1983, un farfadet aux cheveux hirsutes signe chez MCA Records & caracole dès 1984 au sommet du Top Britannique.

Sorte d’Elton John avant-gardiste, ce dernier étonne la planète entière avec des vêtements-écrans dont l’incrustation d’images permettait toutes les audaces. Clip d’une modernité totale pour l’époque et totalement dans l’air du temps (les vidéos alliant trouvailles visuelles et puissance de la composition furent souvent, depuis un certain “Thriller”, gages de ventes immédiates), ce deuxième single mixe avec aisance rupture sentimentale et film d’espionnage. Bogart (figure aimée) affublé d’un complet protéiforme, l’ami Nick dénonce-alors-  la paranoïa mondiale instaurée par Ronald Reagan (via son discours en mars 1983 prônant la “Guerre des étoiles”). L’habit se veut, ici, révélateur des pensées et des sentiments. Un prisme évoc-acteur. Le protagoniste EST la mémoire vivante de sa propre histoire. Sa quête nombriliste tourne autour de sa propre personne mais aussi des personnages qu’il croise.  A l’instar du personnage de Mickey Rourke dans le terrifiant : “Angel Heart”, le détective s’enfonce dans sa propre matière charnelle pour mieux englober l’univers…puis s’y perdre. Ou comment mettre en application le terme : “Je t’ai dans la peau”…  Fort du succès de cette brillante démonstration graphique, Warner Music et A-ha puiseront, l’année suivante, dans ce gadget impressionniste pour un “Take On Me” d’anthologie…Dès Novembre 1984 (deux LP en une seule année !), ce sont les fantômes d’Alice au Pays des Merveilles et de Batman-version sixties- qui sont conviés afin d’illustrer un tube ravageur : “The Riddle”. A nouveau, Nik Kershaw mène l’enquête . Bien plus proche, dans son approche, du futur long-métrage de Jim Henson “Labyrinthe” ou des élucubrations de l’Homme-Mystère au sein d’une série culte, le court-métrage multiplie les jeux de pistes et les plans psychédéliques afin de nous perdre dans un dédale mental. Regret. En dépit de paroles faisant allusion au documentaire “L’Homme d’Aran” de Robert Flaherty, aucun décorum irlandais n’est utilisé. Aucun noir et blanc magnifié. Moyens limités? Coup de Maitre. Le clip (réalisé en studio) marque les esprits et le hit s’envole, finalement, à la crête des charts.

Cette réussite commerciale ne sera que de courte durée. Les années suivantes seront, inexplicablement, synonymes de traversée du désert pour notre auteur compositeur et interprète d’outre-manche.
Et pourtant !Je passerai la main sur “Radio Musicola”, n’ayant pas eu le loisir de l’écouter et m’attarderai sur ce “The Works” d’orfèvre. Ne cédant aucunement aux sirènes du plan marketing, notre multi-instrumentiste (et guitariste de talent) élabore un album personnel sans sombrer dans la répétition. Mieux, de nombreuses écoutes sont nécessaires afin de mieux appréhender la richesse de chaque titre. Equation étrange. Avare en tubes, cet album n’en demeure pas moins efficace ! Comme toujours, les synthétiseurs sont de la partie et un voile romantique drape la majeure partie des compositions. Mais l’on décèle, ici et là, une urgence peu commune. Le Sieur Kershaw veut en découdre avec le Monde (et plus particulièrement les producteurs américains, ces derniers ayant effectué un travail de sape sur son quatrième album !). 

Notre songwriter ose, ainsi, une approche plus frontale et enrobe sa New Wave d’une basse funky, de guitares expressives et d’une fine couche “métallique” dans ses arrangements. “The Works”, album cold sous influence Level 42? Bande-son fantasmée d’ un “Top Gun” alternatif? La rigueur d’un Peter Gabriel alliée à la douce folie d’un Kajagoogoo? Oui. La part d’ombre en plus. Dans l’univers de Nik Kershaw, les paroles se veulent mystérieuses et sources de multiples interprétations. Elles prennent racine dans une certaine forme de dévotion et se doublent de l’usage du “name-dropping” hollywoodien comme une ultime pirouette amusée. Format hybride mais classique pour crise mystique? C’est encore plus le cas pour cette collection de chansons intenses (“Take my Place”, “Don’t Ask Me”, “Elisabeth’s Eyes”, etc..) où la liberté de ton employée semble être le maitre-mot.
“The Works” est une œuvre au noir maudite et méconnue. Un trésor mélodique.En 1989, les Pixies, The Cure et les Stones Roses inondaient les bacs des disquaires, laissant peu de place pour la concurrence.
A l’heure où “Fontaines DC” et “Molchat Doma” revisitent avec force le patrimoine des années 80, la possibilité d’entendre sur scène ce recueil de vignettes rétro-futuristes n’en est que plus jouissive .
Et annonce, enfin, des lendemains qui chantent.

John Book.