THE LIGHTHOUSE De Robert EGGERS

” L’histoire se déroule sur une île lointaine et mystérieuse de Nouvelle-Angleterre en 1890 et met en scène un récit hypnotique et hallucinatoire de deux gardiens de phare “.

Premiers plans, des images en noir & blanc, elles scintillent de pureté, de beauté et de mystère, glaciales et lumineuses à la fois. Gros plan sur une mer démontée d’une raideur inquiétante, furieuse, électrisante, hypnotisante. La pluie cingle, elle bat le visage. Le vent empêche d’avancer, la tempête fait rage. Les sirènes et la corne de brume provoquent un boucan d’enfer, une ambiance d’une froideur implacable s’installe. L’humidité s’immisce jusque dans les sous-vêtements, la lumière sature, puis croît lentement laissant à peine entrevoir ce qui se passe, elle obstrue, brouille, falsifie la vue, mais l’œil est à l’affût, il s’écarquille pour ne pas louper une miette du spectacle angoissant qui s’annonce, l’attention est aux aguets, l’envoûtement agit immédiatement et la spectatrice que je suis est happée, emportée dans ces eaux hystériques et cette atmosphère glauque et nauséabonde.
L’histoire prend tout son temps, elle déroule son scénario avec parcimonie, minutieusement, afin de bien absorber toute l’énergie du spectateur. Après avoir survécu au déchaînement des flots, supporté un ciel très en colère, bravé le mauvais temps à travers la lande, on pénètre à pas retenus et hésitants dans un phallus géant.
À peine entrée, la perte de mes repères va opérer. L’atmosphère est de plus en plus étouffante, claustrophobe et terrifiante, le malaise fait vibrer l’échine, la terreur s’empare des sens et tout devient flou, le vacarme assourdissant produit par les sirènes broie les pensées et telle une automate, j’avance pas à pas, une main cachant parfois un de mes yeux. Il va falloir s’accrocher, car le récit ira crescendo pour aboutir à un final en apothéose apocalyptique.
Au phare, deux hommes accomplissent leurs tâches respectives, sans se croiser. Ils manœuvrent chacun à leur poste comme s’ils occultaient complètement la présence de l’un et de l’autre. Le vieux loup de mer aux commandes inflige les besognes les plus basses à son second que le métier n’a pas encore endurci. Un premier dîner se déroule dans un silence absolu et glaçant. Le vieux loup de mer invite alors son jeune coéquipier tout juste débarqué à fêter leur collaboration et lui offre en guise de breuvage de l’eau croupie remplie de saletés et à l’aspect immonde. Le vieux sournois, fier de son mauvais coup, éclate d’un rire à consonance caverneuse et tabagique. Il semble dévasté et aliéné par l’extrême solitude qui est sienne depuis trop longtemps. Le jeune loup venu rejoindre l’aventure pour la première fois, reste stoïque. Il semble perturbé, intrigué, parfois effrayé par ce vieux gardien de phare. Mais que nenni ! Ces êtres maléfiques, fous à lier et habités, vont finalement se rencontrer et nous entraîner dans un ballet macabre, un tourbillon mortuaire, particulièrement entraînant et jouissif.
L’intrigue est parsemée de coups bas, de violence, de bagarres, de rires, de secrets, de chansons, d’alcool, de luxure et de mauvais tabac. Les corps exultent, le vieux laisse aller ses travers physiologiques, le jeune marin se transforme en chien en rut allant jusqu’à abuser d’une sirène consciente, inconsciente, attirante et repoussante. Une pieuvre gigantesque fait une apparition fracassante et tétanisante.
Les cris stridents des oiseaux, les attaques incessantes d’une mouette à l’œil crevé effrayante sous ses allures de rapace, le vent soufflant à ne plus s’entendre, le bruit continu des sirènes, le claquement et le fracas des flots, l’emportement des vagues, la mer dangereuse et meurtrière, tous ces sons résonnent à s’en percer les tympans tout en traversant les paysages de désolation qui entourent le phare. Les effets sonores en cascade démesurément forts, ajoutent à ce thriller horrifique une dimension hallucinante et profondément dérangeante, mais captivante.
Ce huis clos désopilant, mené tambour battant par Willem Dafoe et Robert Pattinson, est follement déboussolant, mais aussi aliénant et fatigant. On ressort crevé de ce film époustouflant qui traite de la folie humaine dans toute sa grandeur, et parallèlement à ce constat, l’image est grandiose.
Les sensations sont décuplées, les odeurs poisseuses et poissonneuses collent à la peau, ça pue la mort et les écailles, les vieilles chaussettes, la mauvaise soupe, l’alcool frelaté, le mensonge, le tabac froid, la chique et la pisse. La rétine, quant à elle, n’obtient aucun répit.
Les quatre semaines que ces deux gardiens de phare vont devoir partager risquent d’être longues jusqu’à l’arrivée du bateau qui viendra les délivrer…

Je me souviendrai longtemps de cet ovni cinématographique, un thriller d’épouvante aux airs d’épopée mythologique et horrifique, un drame psychologique et pathologique sur les abysses ténébreux de la pourriture des relations humaines.
THE LIGHTHOUSE est un de mes coups de cœur de ces dernières semaines et j’en salue la singularité. La photographie magnifique, le traitement du noir & blanc parfaitement maîtrisé, un scénario original et exaltant, un jeu d’acteurs excellent et une mise en scène d’une lenteur assumée donnent à ce bijou une ampleur et une profondeur incontestables !
Je conclurai par quelques mots empruntés à Willem Dafoe à l’attention de son immense partenaire de jeu : « Dance Winslow, dance ! »
Bienvenus au phare, welcome to the devil’s house !

Robert EGGERS est un réalisateur et scénariste américain. Après l’excellent The Witch, son deuxième film The Lighthouse confirme le talent remarquable d’un réalisateur hors norme.
Willem DAFOE interprète Thomas Wake, un vieux loup de mer dégueulasse, solitaire, autoritaire et farceur machiavélique, il manie sa partition à la perfection.
Robert PATTINSON tient le rôle de Ephraim Winslow, un jeune gardien de phare en proie à des démons, hanté par des pulsions, possédé et sexuellement enragé. Je ne l’attendais pas dans ce genre qui lui sied à merveille.