“The French Dispatch” de Wes Anderson. Quand t’es dans le désert…

Annoncé. Reporté. Annulé puis reprogrammé. Le voici, enfin, ce “French Dispatch” tant attendu, s’extirpant (non sans mal) d’une année cinématographique anarchique. Je ne fus jamais déçu par les films de Wes Anderson. Depuis la découverte, en 2001, de “La Famille Tenenbaum” (souvenir inoubliable du jour de la sortie et d’une salle de projection gigantesque au public très clairsemé), sa science du cadre n’a cessé de m’époustoufler. Petites vignettes dignes d’une maison de poupées, plans en “découpe” d’un sous-marin, le réalisateur ne cesse de convoquer l’enfant qui est en nous tout en saupoudrant son scénario d’un zest dramatique. Son goût pour les couleurs pastel et les chapitres d’un livre pour tout décorum prouvent à quel point notre moviemaker texan n’a cessé de se démarquer de ses confrères américains tout en bénéficiant d’un budget confortable et d’un casting régulièrement “haut de gamme“.
Ainsi, nous pourrions comparer son œuvre à du blockbuster dans un mouchoir de poche. Ou du Rohmer produit par Fox Searchlight Pictures. Originalité et malice dans l’emploi des personnages.
Passéisme et précision mathématique des plans.
Travellings pour Protagoniste statique.
Tout s’enchâsse, avec équilibre, pour notre plus grand plaisir de cinéphile !

Depuis deux décennies, Notre Hexagone aime Mister Anderson et ce dernier le lui rend bien. Ce “French Dispatch” sonnait, donc, comme l’hommage appuyé d’un cinéaste amoureux à tout un pan de l’histoire du Cinéma Français (le réalisme poétique, la Nouvelle Vague, etc…). Tournage à Angoulême. Histoire jalousement gardée et distribution distillée au compte-gouttes. L’envie. L’attente. Le désir. Puis le visionnage inespéré en ce mois de Novembre 2021.
Les images défilent et l’incompréhension est de taille : Wes Anderson ne semble avoir plus rien à dire ni à défendre. Comme toujours, la maitrise formelle de son œuvre est indéniable et sa brochette d’acteurs impeccable.
Mais cette succession d’articles journalistiques mis bout à bout ne donne ni à réfléchir ni à s’émouvoir. Cela commence plutôt bien avec “The Cycling Reporter” et un Owen Wilson toujours versé dans l’humour pince-sans-rire. Puis ce dixième opus décolle littéralement avec un deuxième segment galvanisant : “The Concrete Masterpiece“.

Portés par les talents conjugués de Tilda Swinton (déchainée) et Benicio del Toro (mutique), cette pochade brocardant le monde de l’Art est un délicieux bonbon au poivre. ENFIN ! Nous retrouvons toute la truculence du “Budapest Hotel“… engoncée dans un univers carcéral.
Adrien Brody confirme ses talents de Pierrot Lunaire et ses deux pieds-nickelés (Henry Winkler, l’inoubliable Fonzy d'”Happy Days” et Bob Balaban, un fidèle du “Anderson Pack“) incarnent avec placidité des ersatz de Buster Keaton.
Seule Léa Saintdoux semble détachée de ce brûlot comique, plus encline à ausculter son anatomie que son répertoire dramatique.
Les rires feutrés fusent dans la salle. Puis le long-métrage change de registre et d’article.
Revisions to a Manifesto“. Frances Mc Dormand et Thimotée Chalamet ont beau s’escrimer dans cette chronique soixante-huitarde insipide, le duel vire au téléfilm soporifique.
Je me tourne vers la droite et constate que mon fiston dort du sommeil du juste. Trop de conversations nocturnes avec ses potes via SMS ? Ou un ennui se muant en sieste réparatrice. A moins que mon rejeton ne fasse un malaise ?Je le secoue gentiment. Ses paupières s’entrouvrent puis se referment. Non, le malaise se situe à l’écran.
Je m’imagine quittant la salle rapidement afin de chercher un flan dans la boulangerie la plus proche.
Le flan, c’est déjà une idée du bonheur. Mais je m’accroche face au supplice. Bon sang, voilà que nos deux amoureux se voient propulsés en motocyclette dans les airs sur fond de poème mal digéré.
Finalement, le flan était une mauvaise idée. Aucun regret.
Nouveau chapitre : “The Private Dining Room of the Police Comissioner” avec un casting en partie frenchy. L’ami Wes s’inspire des polars d’après-guerre mais ses “Cinq dernières minutes” s’étirent dans une parenthèse superfétatoire. La machine ronronne, cahote par moments, se réveille puis s’épuise dans un film d’animation (procédé masquant un manque de moyen économique évident et précédemment utilisé par Takashi Miike dans son percutant :” First Love. Le dernier Yakuza“) sans relief.
Ils sont venus, ils sont tous là : Mathieu Amalric, Steve Park, Edward Norton, Saoirse Ronan, Hippolyte Girardot, Gilles Gaston-Dreyfus et Willem Dafoe. Ils ne servent qu’à alimenter ras-la-gueule une affiche de cinéma prestigieuse sans que leur contribution ne soit véritablement remarquée. Seuls Jeffrey Wright et Liev Schreiber tirent leur épingle du “JE“. Et le papier peint ? Il est bien.
On emballe le tout dans un épilogue poussif et le générique annonce, enfin, notre libération.
Que retenir de cette expérience ? A part une classe ultra- américaine incarnée en toute circonstance par Bill Murray, peu de choses.

Mister Anderson préfère les chemins de traverses aux grands axes. La paraphrase au périph’.  Quitte à se vautrer dans l’onanisme cinématographique et l’étalage de copinages. Après tant d’années et de rendez-vous sporadiques mais habités, mon Ami m’a quitté.
Je patienterai jusqu’à “Asteroid City”.
Qui sait ?
Peut-être retrouverai-je l’Ami Wes en personne ?
John Book.