Souvenirs : Quand les bérets rouges tombent dans le rock: 1er RCP

Pau 1982.
J’ai été incorporé au premier régiment de parachutistes à Pau. Vu mon cursus scolaire et universitaire je suis considéré comme une tête pensante, aussi après les classes, après avoir obtenu mon diplôme d’infirmier militaire et mon brevet parachutiste, je suis nommé sergent et en charge de l’infirmerie du camp. Mon boulot consiste à gérer les gars sous mes ordres (ils sont dix) les malades et blessés séjournant à l’infirmerie et ceux attendant la décision de réforme ou autre affectation. Je gère également le planning des deux médecins titulaires et des 4 médecins aspirants. Ça c’est pour le travail au quotidien. Les gars de mon équipe sont majoritairement issus de la classe populaire à très populaire, j’ai même un mec qui a passé quasiment plus de temps en taule et maison de redressement qu’en liberté (il deviendra vite mon garde du corps et ange gardien). J’en ai un autre à qui j’ai appris à lire et écrire (vous avez bien lu et nous sommes en 1982). De ma vie civile j’ai emporté bien évidemment de la musique qui à cette époque pouvait voyager facilement sous forme de cassettes. C’était le plus pratique. Du punk bien sûr et ce que les journalistes appellent #newwave, mais aussi des #doors, #hendrix et #RoxyMusic.
J’écoute ces k7 la plupart du temps dans ma chambre (oui j’ai une chambre individuelle au quartier des sous off) la nuit. Un jour, par le plus grand des hasards, alors que j’accompagne des gars à l’hôpital militaire de Pau, j’aperçois placardée une affiche indiquant le prochain concert de Cure au casino de Pau, le 1er juin. C’est la tournée #pornography. Je suis dans un état d’excitation extrême. Dans une semaine je vais (re-re-re) voir cure en live et… tout ce qui va avec.
J’en parle à mes gars à l’infirmerie. Aucun n’a jamais assisté à un concert live qui plus est de rock. Deux font état du prix qui est élevé par rapport à leur solde, je leur paierai les billets. Et nous voilà le jour J à l’entrée du casino de Pau. La file et longue et je vais directement voir les mecs de la sécurité. Les deux mots qu’il faut, quelques minutes d’attente et le tour manager de cure vient nous chercher et nous fait entrer dans les lieux avant l’ouverture, direction backstage. Mes camarades d’infortune de conscription sont émerveillés. Ce qui s’est passé alors et après le concert fera peut être l’objet d’un autre post souvenirs. Le propos n’est pas là aujourd’hui. Le concert de cure est juste grandiose, les albums #pornography et #faith y sont principalement présentés et de quelle manière. Des versions punks et démentielles de 3 imaginery boys, 10:15 et killing an Arab laissent le public pantois. Mes copains sont époustouflés, émerveillés, ne cessent de me donner des tapes dans le dos avec des sourires radieux qui font plaisir à voir. Une soirée restée dans les mémoires avec un groupe au plus bas psychologiquement mais au sommet de son art techniquement et émotionnellement.

Retour à Idron (le camp de base du régiment). Mon équipe n’a de cesse que de vouloir assister à un autre concert et de réentendre cette musique qu’ils n’avaient jamais eu l’occasion d’entendre. Deux ont appelés exprès chez eux (en 82 une communication téléphonique coûte cher) pour expliquer à leurs parents ce qu’ils ont vécu.
Et dans la journée c’est: « sergent, vous nous faites écouter ça? Sergent on peut mettre une de vos cassettes? »
Oui, j’ai beau leur dire de m’appeler par mon prénom et de me tutoyer, la plupart m’appelle par mon grade (mon image comme on disait) et me vouvoient.

Et c’est ainsi que quiconque entrait à l’infirmerie du 2 juin au 30 novembre 1982 avait l’impression d’entrer dans un club new wave. #Cure, les 4 premiers albums, #depechemode, essentiellement le second #abrokenframe, #southerndeathcult #bauhaus et quelques autres que je rapportais dès que je pouvais partir en permission. Il faut juste vous imaginer un lieu où écouter du rock, était considéré comme une désobéissance grave et une dégénérescence, transformé en un lieu de DJ sets à longueur de journée. Ça chantait à tue-tête, ça criait joyeusement, et tous se sentaient faire partie d’un groupe à part et privilégié. J’ai toujours eu le soutien de mes deux chefs (les 2 médecins titulaires) tant que, m’avaient ils dit, il n’y avait aucun trouble et que l’infirmerie était gérée correctement.

Ces gamins avaient été tellement fascinés par ce concert que nous sommes allés voir #theopposition en septembre toujours au Casino de Pau et #telephone au palais des sports. Trois jours après le régiment étant d’alerte, 6 d’entre nous embarquerions pour une mission d’une semaine sur un théâtre d’opérations. Deux d’entre nous y mourrons quasiment un an plus tard jour pour jour. Ils y étaient retournés car ils avaient aimé l’ambiance la première fois, pas moi.

JACQUES