Sharon Van Etten & The Attachment Theory. Une femme sous influence.

La pochette de son précédent album « We’ve been going about this all wrong » annonçait déjà la couleur. Adieu, le folk tourmenté et nimbé de soyeux atours. Sharon Van Etten, perdue dans un décor orangé, faisait, donc, feu de tout bois et amorçait un virage électro déroutant.  Dans une discographie plutôt versée dans l’acoustique et les confidences sur l’oreiller, cette petite révolution privilégiait, alors, de nombreuses écoutes tant les compositions se dérobaient à notre compréhension immédiate. Sans jamais renier l’inamovible recette du couplet/refrain/couplet, la Belle paraissait consumée par ce LP audacieux. Prémonitoire ?  A l’image d’un Los Angeles encore dévoré par les flammes et à l’instar de Noir Désir via son « Grand Incendie », Sharon se fit prêtresse en sa paroisse. Oui, le Monde basculait et sa musique prenait la même tangente. Cette quête de transformation (nappes, échos, superposition, réverbérations, évanescence, lévitation, etc.…) semblait marquer une étape sans retour possible doublée d’une exigence des plus remarquables. Politique de la Terre brûlée ? Une chanson déjà entendue ? Oui et c’est la marque des plus grands. Faire fi de l’autoroute, des péages et des périphériques. Rouler de nuit. Donner sa confiance au public et à son intelligence. Remember Bob Dylan qui, vers le milieu des années 60, provoqua la foudre (sur scène et du public) à coups de guitares saturés. Les amplis prirent d’assaut ses protest songs feutrées et sauvèrent notre parolier de la soupe en boite (voir l’excellent et récent film de James Mangold). A l’identique, en 2022, Sharon Van Etten, libre de toutes contraintes, s’éleva pour rejoindre des contrées peuplées, à parts égales, de roses et de ronces. 
 
Trois ans plus tard, la chrysalide n’en finit plus de se réinventer et c’est sous la forme d’un quatuor que la native du New Jersey revient nous hanter.
 
Lassée de la création en solitaire, notre actrice en herbe s’offre, à présent, les services de musiciens portés sur la portée mais aussi les paroles. The Attachment Theory- nom du groupe et titre éponyme- se définit, donc, comme un collectif bohème galvanisé par les trous noirs. 
 
Ainsi, tels les protagonistes du classique Disney de 1979, nos passagers se lancent vers le néant sans aucunes attaches.  Jam. Essais. Des saynètes musicales voient le jour l’été dernier, secouant les habitudes monomaniaques de notre songwriter. Puis, se substituant à l’USS Cygnus, c’est le désert de Joshua Tree qui sert de décors aux répétitions de ce jeune groupe pour accoucher d’un monstre insaisissable et sexy.
 
Autour du berceau ?
Devra Hoff et sa basse ondoyante, Teeny Lieberson et ses claviers peu tempérés et Jorge Balbi à la batterie.
Uni(e)s.
En son centre ? Notre charmeuse de « serpents », toute de noire vêtue. Attirante en diable. Sade, Sade Adu, Suzie Q.
Puis direction The Church, cela ne s’invente pas, l’ancien studio des Eurythmics pour un ultime baroud. Effervescence. Urgence.
Enfants terribles pour un Rosemary’s Baby. Et quand le groupe avance à l’aveuglette, Sharon tâte. 
Malaxe. Expérimente.
LP! I need somebody! LP! Not just anybody!
Les bonnes fées s’activent, dé(i)fient leur Hippie Queen puis se penchent sur leur progéniture…
 
7 février, le septième album de ma sorcière bien-aimée éclot sous les rayons.
Première écoute et Premiers pas : « Live Forever ». « Afterlife ». « Idiot Box ». « Trouble ». Entamant une danse de Saint Gui, à sa guise, Sha(ron) ronne feule, griffe et nous hypnotise. Chatte sur un toit brûlant. 
L’accroche est immédiate. Le début prometteur.
Débarquent quatre titres qui ne sont pas sans rappeler « Hounds of Love » de Kate Bush, « Autobahn » de Kraftwerk, « Seven the hard way » de Pat Benatar, « So » de Peter Gabriel, « Blackstar » de David Bowie et le ténébreux « Gone Again » de Patti Smith.
Quatre morceaux pour méditer, faire l’amour et faire la route. En totale introspection. 
Sharon Van Etten ou une certaine vision de l’Americana(na). 
Puis l’amie américaine se rêve Joan (Baez, of Arc ou As Police Woman), entend des voix et vire guedin. Non loin, ses acolytes déballent le Dr Maboul et secouent les fondations de singles en perdition : « Indio ». « I can’t imagine (Why you feel this way) ». « Somethin’ ain’t right ». « Southern Life » ( What It Must Be Like). « Fading Beauty ». « I want you here ». Voix élastique qui implore, accuse, s’étire et se contracte. Poèmes sur le fil du rasoir. Basse qui tabasse. Claviers 80’s et batterie mesurée. Nappes, boucles et transe chamanique digne d’un Morrison.
Six balles dans le barillet qui contrastent avec leurs prédécesseures.  Six balles composites mais compactes.
Constat ?
In fine, Sharon Van Etten & the Attachment Theory, c’est Dora l’exploratrice en pays Cold Wave. Mi Raider mi Tombe. Un Gang Big Band Theory aux sé(r)vices de sa Majesté. Surprenant. Bouleversant. Inclassable.
Pour preuve, ce chant incantatoire déchirant qui clôt cette odyssée intime, aux antipodes des canons de la pop.
Dieu, quel album.
Descente en spirale.
De l’autre côté du miroir et submergé par un cosmos bienveillant, l’équipage semble, à présent, à même de jauger la matière, l’espace et le temps. L’avenir nous dira si cette embarcation gardera le cap face aux champs gravitationnels.
En attendant ?
Le changement, c’est maintenant.
 
John Book.