PORTRAIT D’ÉCRIVAIN : LAURENCE JOLY

Entre ses collaborations bénévoles à des nombreux festivals et ses chroniques, c’est avec son livre “Sur le FIl” que nous avons découvert la plume inventive et sensible de Laurence Joly… Depuis elle a rejoint notre équipe de rédacteurs pour mettre en valeur les artistes qu’elle affectionne ou découvre pour notre plus grand plaisir. C’est à présent à elle d’être mise en avant aux yeux de nos lecteurs. Elle nous évoque ses souvenirs et nous dévoile comment son imagination débordante donne vie à ses récits et revient sur la publication de son premier roman, glossaire teinté de noir, empreint d’humour et de poésie avec l’amour des mots qu’elle affectionne particulièrement. Pour celle qui jalonne sa vie de notes virevoltantes, aux féminins, éprise de liberté et de création artistique, ce portrait, en instantané, était l’occasion rêvée de lui soumettre notre interview et nous répondre à livre ouvert…

Comment et à quel âge est venue la passion de la littérature et plus particulièrement le souhait d’écrire ?
J’ai toujours été attirée par l’objet livre. Ma mère répétait à qui voulait l’entendre que je savais lire en entrant au cours préparatoire, je ne m’en souviens pas. J’avais donc 5/6 ans. 
Vers l’âge de 9/10 ans, j’ai commencé à écrire. Je ne pensais pas que cela deviendrait une passion, mais j’ai très vite compris que j’aimais écouter et raconter des histoires aussi réelles ou insensées soient-elles.
D’abord, de petites historiettes se nichèrent dans un coin de ma tête, puis je développai un goût pour le genre épistolaire. Je ne connaissais pas encore « Lettres à un jeune poète » de Rainer Maria Rilke ou « Correspondance amoureuse » de George Sand et Alfred de Musset, mais voilà ce que j’essayais de mettre en place, inconsciemment. Je postais des lettres à des camarades, aux membres de ma famille pour m’enquérir de leur état ou leur souhaiter un événement, déclarer ma flamme à un amour platonique sans jamais l’avouer vraiment. Je n’eus pas toujours de répondant, mais suffisamment pour approfondir cette voie. L’avenir me dirait que j’écrirais chaque jour des missives pleines d’amour et d’espoir à un homme privé de liberté.
La découverte de la poésie me permit de développer un côté fleur bleu, celui qui fait le charme de l’adolescence, et de m’adonner aussi à ce style. Puis vint le moment où je me mis à aligner des mots, des phrases, mes maux dans mes journaux intimes, des histoires à dormir debout et/ou trash, mes affabulations, les envies d’ailleurs, des rêves éveillés, les fantasmes et les cauchemars.
Je suis captivée par tout ce qui est dramatique, tout ce qui fait flipper, même si je suis une fieffée trouillarde. Les histoires de famille me passionnent, la mort me fascine.

À cette époque, qui étaient tes références, tes maîtres-penseurs ?
J’en ai plein. Comme dans la musique, le cinéma, le théâtre, la photographie, la peinture, mes goûts sont très éclectiques. J’apprécie des artistes, musiciens, réalisateurs, metteurs en scène complètement opposés dans leurs choix ou qui se ressemblent. 
Je vais citer mes premières lectures, car c’est là que tout a commencé.
Il y eut La Comtesse de Ségur, Enid Blyton et Georges Chaulet que je découvris très jeune grâce à « La bibliothèque rose »,  je persistai avec Le club des cinq et « La bibliothèque verte ». J’adorais me plonger dans les romans à intrigues ou devenir une héroïne comme Fantômette.
J’ai été très marquée par Les contes rouges du chat perché de Marcel Aymé, c’est le livre que mon institutrice choisit pour monter un spectacle à la fin de l’année scolaire. Je devais avoir 8 ou 9 ans, c’était la première fois que je montais sur une scène et que je jouais du théâtre. J’étais Delphine et je pleurais en épluchant des patates avec ma meilleure copine qui jouait Marinette, je me souviens de ça et des animaux qui parlaient et se comportaient comme les humains.
Puis j’ai été enchantée par la poésie de Jacques Prévert et de bien d’autres poètes. La Petite Fadette et La Mare au diable de George Sand doivent être mes premières vraies révélations littéraires. 
En ce qui concerne les auteurs qui m’accompagnent, je vais commencer par les femmes, mais plus particulièrement par un titre de leur œuvre : Harper Lee/Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Mary W. Shelley/Frankenstein, Virginia Woolf/Une chambre à soi, Françoise Sagan/Bonjour tristesse, Toni Morrisson/L’Œil le plus bleu, Katarina Mazetti/Le Caveau de famille, Donna Tartt/Le Chardonneret, Virginie Despentes/King Kong Théorie, Yôko Ogawa/La Piscine, Colette/Le Blé en Herbe, Simone de Beauvoir/Une mort très douce.
Parmi les écrivains que j’admire, il y a Raymond Carver/Les Trois Roses Jaunes, Michael Cunningham/Les Heures, Jim Harrison/Dalva, American Psycho/Breat Easton Ellis, Russell Banks/Un membre permanent de la famille, William S. Burroughs/Les Garçons Sauvages, Jack Kerouac/Sur La Route, Paul Auster/Mr Vertigo, Cormac McCarthy/La Route, Truman Capote/De sang-froid, Tom Sharpe/La Conjuration des Imbéciles, Les Chroniques de San Francisco/Armistead Maupin, Donald Ray Pollock/Le Diable, tout le temps, John Fante/Demande à la poussière, Haruki Murakami/Kafka sur le rivage, Franz Kafka/La Métamorphose, Charles Baudelaire/Les Fleurs du mal, Arthur Rimbaud/Poèmes, William Shakespeare/Le Songe d’une nuit d’été, Œuvres/H. P. Lovecraft, Histoires Extraordinaires/Edgar Allan Poe, Gustave Flaubert/Madame Bovary, Guy de Maupassant/Une Vie, Ernest Hemingway/Paris est une fête, Victor Hugo/Les Misérables, Eugène Ionesco/Journal en miettes, Fernando Pessoa/Le Marin, Anton Pavlovitch Tchekhov/La Mouette, Samuel Beckett/En attendant Godot, Tennessee Williams/La Chatte sur un toit brûlant, Stefan Sweig/Le Joueur d’échecs…
Toutes ces œuvres ont imprégné ma mémoire et m’ont visée en plein cœur. Ce n’est qu’une infime partie des écrivains qui ont influencé et le font encore, mes goûts et ma passion. Malheureusement, je ne peux pas tous les citer. J’ai nommé ceux qui me venaient à l’esprit.

Est-ce ton activité principale ? 
Oui, j’ai décidé de me consacrer exclusivement à l’écriture en 2015, et non, parce que je n’en vis pas pour le moment. J’ai donc quelques jobs alimentaires que je choisis en fonction de la charge mentale imposée et du temps qu’il me reste pour user de ma plume. Je ne serai plus jamais un zombie métro/boulot/dodo. Évidemment je fais des sacrifices, mais ils ne sont que purement matériels. 

Qui sont les écrivains contemporains dont tu apprécies le travail ?
Je n’en ai pas et j’en ai plein. Je m’arrête parfois sur une couverture, j’aime les surprises, bonnes ou mauvaises, car il en ressort toujours quelque chose de bénéfique et de positif. Je suis de très près les nouveautés. 
Actuellement, je lis Betty de Tiffany McDaniel, un roman qui a déjà reçu une kyrielle de prix. Il est paru récemment aux éditions Gallmeister dont j’apprécie beaucoup les auteurs et la collection TOTEM. Étés Anglais d’Elizabeth Jane Howard attend que je soulève sa couverture.
Par ailleurs, je lis beaucoup de romans d’un éditeur indépendant – Monsieur Toussaint Louverture – dont j’aime énormément les choix hors normes. J’ai pu y trouver des merveilles comme le roman de Mariam Petrosyan/La Maison dans laquelle, un récit qui m’a littéralement collée à mon siège, je comprends qu’elle ait mis dix ans à l’écrire, une claque monumentale. Chez ce même éditeur, j’ai pu également dévorer le récit passionnant de Ken Kesey/Et quelquefois j’ai comme une grande idée – l’auteur de Vol au-dessus d’un nid de coucou, mais aussi Mailman de J. Robert Lennon et Le dernier stade de la soif de Frederick Exley. 

Un autre éditeur me vient à l’esprit Agullo. J’y trouve de très bons auteurs de toutes les nationalités. Le dernier en date était « La crête des damnés » de Joe Meno, l’histoire d’un ado qui découvre le punk dans les années 1990, un très bon bouquin que j’ai d’ailleurs acheté pour son titre...  Ce qui m’a permis de croiser le chemin de cette maison d’édition si atypique.
Mes derniers coups de cœur : Delia Owens et Là où chantent les écrevisses, un roman sublimement beau relatant une série de faits dévastateurs, Le bal des folles de Victoria Mas, un récit bien écrit et tiré d’une histoire vraie qui glace le sang, Miniaturiste de Jessie Burton, un livre plein de finesse comme son titre grouillant de secrets de famille, Girls Rock de Sophie Rosemont raconte les femmes dans le rock. J’aime beaucoup les livres qui honorent la musique et les musiciens.

Ton premier recueil de nouvelles est sorti en 2013. Quel regard poses-tu sur celui-ci aujourd’hui ?
Il a plein de défauts, mais il m’a servi d’essai pour me lancer et savoir ce que les gens pensaient de mon style particulier, j’en conviens. Les retours ont été bons en général, ça m’a donné envie d’écrire le second. Finalement, il a une place importante. J’avais pris le parti à l’époque d’écrire un bouquin d’une traite et sans relecture, c’était casse-gueule, mais je l’ai fait !

Dans tes récits, tu adoptes souvent un côté relativement déjanté. Pourquoi cette ligne directrice là ?
Parce que je le suis, mais je ne suis pas que ça. Je me vois comme une poétesse des temps modernes, tantôt transporteuse de good vibes, d’autres fois nostalgique et possédée par un very bad mood obsessionnel, j’erre sur le fil comme le titre de mon second recueil. On me dit hippie-punk, même si certains vont s’arracher les cheveux en lisant ça, c’est la définition qui me correspond le mieux. D’un côté, je porte des couronnes de fleurs et j’évite d’écraser les insectes, et de l’autre, je pisse entre deux bagnoles une bière à la main en gueulant « I am an anarchist ». 
Cela vient aussi de l’enfance. J’ai vécu des situations hardcore avec des parents trop jeunes. Ce qui était cool, c’est qu’ils avaient plein de potes et aimaient la bringue, ça a forcément déclenché chez moi une furieuse envie de me lâcher !
Les milieux artistiques dans lesquels j’ai pu officier m’ont permis aussi de rencontrer des gens singuliers ou déjantés, je n’ai pas choisi ça par hasard. J’ai travaillé dans la publicité à la grande époque, j’ai enchaîné avec la production musicale et des maisons prestigieuses comme Virgin France, Sony Music et Polygram où j’ai rencontré bon nombre d’artistes, enfin, avant de me consacrer à l’écriture, j’ai donné de mon temps pendant 14 ans dans le dessin animé après un passage à l’École de l’Image, Les Gobelins. Alors, des gens atypiques j’en ai rencontré pléthore.
J’ai également joué au théâtre pendant quelques années avec le même metteur en scène, des pièces classiques et contemporaines revisitées et complètement décalées, so rock’n’roll ! Finalement, il me suit partout ce côté relativement déjanté…   

Où trouves-tu l’inspiration de tes intrigues, aux multiples portraits ? Il y a forcément une part de réalisme ?
Je regarde les gens partout, dans le métro, dans les lieux communs, les concerts, le cinéma, le théâtre, dans leurs attitudes, leurs tics, et je leur invente une vie que j’associe avec des éléments de la mienne. J’utilise aussi les réseaux sociaux, les faits divers, la vie sociale, l’actualité, des événements marquants ou qui m’ont marquée, tout ce que j’entends, ce que je lis et visualise, devient un patchwork que je brode au fil des pages dès que j’attrape mon clavier, un crayon, mon téléphone ou un stylo. Ma façon d’écrire est assez fluide, je ne m’arrête plus dès que je suis lancée. Je n’ai pas le syndrome de la page blanche, si je ne suis pas inspirée, je passe à autre chose.
Oui, il y a une part de réalisme, sauf que je ne suis pas encore devenue un tissu violet et que je n’ai pas rencontré de meunier qui enterre les enfants sous des sacs de farine. Rires. Mais les portraits et les tranches de vie qui les rassemblent, viennent la plupart du temps d’un vécu, j’adore mélanger la fiction, le réel, le romantisme et le fantastique. Dans une nouvelle, il peut y avoir trois histoires différentes, une partie que j’ai pu vivre et d’autres qui sont complètement sorties de mon imagination comme ça en écrivant ! C’est ma marque de fabrication, celle de créer des cocktails on the rock !

Je sais que tu es une grande fan de musique. La bande-son qui accompagne tes séances d’écriture, on en parle ?
Bien sûr. J’écoute de la musique dès que je peux, parfois même la nuit avec mon casque quand Morphée m’envoie balader.
L’idée m’est venue alors que je participais à un concours de nouvelles qui titrait : 
– Si toi aussi, tu penses comme Neil Young que le rock’n’roll n’est pas mort, éclate-toi ! 
Et j’ai joué le jeu. J’ai inventé l’histoire d’un type/musicien qui s’appelle Neil, car ses parents sont fans de Neil Young, mais en réalité on ne sait pas si ce mec un peu paumé et qui picole pas mal est vraiment celui qu’il croit être. J’ai commencé à écrire en chantant Hey hey my my, rock’n’roll can never die et en l’écoutant en boucle, ce titre  devait forcément illustrer cette nouvelle, ce fut une évidence ! J’aime dire que mes histoires s’habillent ou se déshabillent en musique. J’insère des extraits de chansons dans tous mes écrits, c’est ma particularité. 

Qu’est-ce qui te plaît dans ce mode d’expression artistique ?
Le plaisir et la curiosité que j’éprouve à chercher un titre pendant des heures/des jours, un leitmotiv qui épousera une histoire au point de s’enchaîner à elle afin d’en devenir inséparable. Cette chanson a-t-elle été choisie à la fin ou en amont de cette nouvelle ? That is the question… Voilà ce qui m’intéresse précisément dans ce mode d’expression artistique. C’est ma façon de rendre hommage à la musique et aux mots, car j’adore les entendre jongler, vibrer, chanter, swinguer, se battre ou s’accorder parfaitement, mais aussi de proposer quelque chose qui sorte du lot, quitte à déplaire. 

Ton actualité du moment, et/ou tes projets ?
Je suis en pleine relecture de mon troisième livre : un roman, et en recherche d’un nouvel éditeur. Mes projets… Un autre recueil de nouvelles, un second roman, j’improvise, on ne sait pas ce qui nous attend demain ! Peut-être une révolte des animaux enfermés dans des usines à viande, des cages, des containers, des animaux trop longtemps brimés et maltraités qui briseraient leurs chaînes, deviendraient mutants et nous dévoreraient vivants… Who knows ? 

« This is the end, beautiful friend
This is the end, my only friend, the end » !
(Quelques notes de The End, chanson écrite par Jim Morrison).