PORTRAIT DE PHOTOGRAPHE : KARINE BAUDOT

Amoureuse de la photo made in live, Karine se confronte à plusieurs scènes musicales depuis de nombreuses années et de multiples sonorités, sans aucun complexe, transmettant toujours par ses clichés une réelle fascination pour toutes ces énergies vibratoires. Mais pour elle, la photographie n’est pas qu’une figure de style, c’est une vision, un état d’esprit qui capte les failles des êtres en trans et les transcende black & white. Karine apprécie plus que tout photographier dans les petits clubs pour l’intimité humaine et transpirante qui s’en dégage… Valkyrie de l’image, elle fixe et définit les contours de cette passion dans différents fanzines et magazines, où elle écrit également avec l’amour d’une guerrière ! En donnant à ces visages le côté visuel et esthétique des géants et des inconnus, toujours à la recherche de nouvelles figures à photographier, elle ne cesse d’évoluer librement.
Karine évoque aujourd’hui avec nous cette chance qu’elle a vécue d’être là au bon moment et nous dévoile quelques uns de ses trésors.

Comment et à quel âge est venue la passion de la photographie ?
Je prends des photos depuis à peine dix ans. Mais la passion de l’image m’a toujours accompagnée. J’ai passé un bac A3 cinéma audiovisuel à Douarnenez. Puis, j’ai été rédactrice cinéma pendant 10 ans pour un bi-mensuel culturel rennais La Griffe. Avec une affection pour les films en noir et blanc contrastés. Du coup, quand j’ai commencé la photo, j’ai automatiquement basculé sur du monochrome. Ma passion pour l’image se concrétisait.

Qui étaient tes références à l’époque ?
Comme j’ai commencé tard, j’avais quelques références oui telles que Francesca Goodman, Michael Ackerman, Saul Leitter, Robert Frank pour les classiques du tout début. Puis rapidement le choc Nan Goldin. Et Diane Arbus, Alix Cléo Roubaud, Jane Evelyn Atwood, Mary Ellen Mark, Claude Cahun, Helena Almeida, Anders Petersen, Ed van der Elsken, Harry Gruyaert. Pour les concerts, Anton Korbijn et évidemment Richard Dumas.

Et avec quel type d’appareil as-tu commencé ?
Je n’avais pas du tout d’argent à l’époque alors j’ai commencé avec un Pentax KX dont j’ai très vite vu les limites (!). Ensuite un Canon 6D et le classique objectif couteau suisse 50 1.8 avec lequel tout le monde a débuté je pense.

Est-ce ton activité principale ? 
Mon activité principale en pause oui et qui, je l’espère, va redémarrer bientôt.

Pourrais-tu me dire ta séance photos la plus insolite ?
L’insolite s’inscrit parfois dans la banalité de l’instant présent. Par exemple lors d’une séance de dédicace de James Ellroy aux Champs Libres (Rennes), j’ai pointé mon objectif dans sa direction, il était en contre-jour, je pensais à ma photo à ce moment-là et à capter quelque chose de l’humain sous mes yeux, c’était un moment ordinaire. C’est en rentrant chez moi que je me suis dit que le type sur la photo se nommait James Ellroy et qu’il n’avait vraiment rien de banal.

La séance photos la plus chaotique ?
Sans hésitation, les Pixies au Liberté ! Avant le début du concert, un chargé de com peu aimable nous prévient que nous n’avons plus l’autorisation de prendre les photos. Après quelques appels téléphoniques, nous obtenons un accord sur trois morceaux, avec obligation de remettre ensuite nos appareils à l’accueil, sous la tutelle d’un vigile pour traverser la salle. Entre le ton rugueux de départ et la surveillance imposée, je me suis sentie dans la peau d’une paparazzi. Les photographes de concert travaillent la plupart du temps gratuitement. En aucun cas, Ils ne doivent subir ces réactions hostiles. D’autant moins que les artistes utilisent parfois leurs photos pour leur communication.

Ce concert des Pixies m’a conforté dans l’idée que les photos de scène à grande échelle ne m’intéressaient pas. Je n’ai jamais été attirée par les gros festivals par exemple. Les conditions drastiques de prise de vue, la cohue des photographes et les images à la chaine ne répondent pas à mes envies. Je préfère les salles, les scènes et les bars à taille humaine. J’ai besoin d’une rencontre, de capter quelque chose des artistes dans mon coin, de raconter une histoire qui n’arrive souvent que dans la promiscuité d’un lieu et dans la durée d’un concert.


Ta plus grande fierté ?
Ma plus grande fierté réside dans l’émotion que peut provoquer une image dans le regard de l’autre. Et ma plus grande sensation en photo de concert, sans hésiter, les images du retour de Marquis de Sade au Liberté en septembre 2017 et l’incroyable alchimie entre le charisme de Philippe Pascal et l’appareil photo. J’ai rarement croisé un être de l’ombre qui attirait ainsi la lumière. Je voulais retranscrire à l’image l’émotion éprouvée ce soir-là, ce frisson dans la pénombre des cœurs battants à cette phrase « Bonsoir Rennes, nous sommes les Marquis de Sade ».

Ton plus grand rêve serait de photographier qui ?
Nick Cave mais à l’UBU puisque tu me demandes un rêve. Avec accès photo au backstage tant qu’à bien faire ! (rires) et des portraits de Kae Tempest, Virginie Despentes, Lola Lafon pour les artistes. Et toutes les personnes du quotidien pas encore rencontrées.

Qu’est-ce qui te plaît dans cet Art ?
La rencontre. L’autre. L’humain. Les failles. L’abandon. L’inattention. Les accidents. Les regards. Les corps. Les mains. Les cicatrices. La réparation. L’insolite. Les marges. La respiration. La disparition. Les naufrages. Les lumières. L’écriture. Je cherche de plus en plus à lier la photographie et les mots. Créer une image c’est aussi écrire une histoire. Le matériel n’est qu’un outil pour y parvenir pas une finalité.

Qui sont les photographes contemporains dont tu apprécies le travail ?
En plus de certains et certaines citées plus haut toujours d’actualité, Dieter Apelt, Julien Magre, Justine Kurland, Vincent Gouriou, Sophie Calle… Je m’intéresse aussi beaucoup aux jeunes photographes, notamment Emilie Arfeuil, Bérangère Fromont, Julie Hascoët, Anouk Deville et les rennaises Louise Quignon, Adèle Ensior, Paulin.e Goasmat (qui exposent au Roof jusqu’au 23 juin avec trois autres photographes). J’ai aussi aimé découvrir dernièrement le travail radical de Jo Spence (décédée en 1994).

Ton actualité du moment, et tes projets ?
Pour l’actualité, le bel ouvrage « Femmes de lettres en Bretagne »  sur le matrimoine breton qui vient de sortir aux éditions Goater avec quelques-unes de mes images d’autrices prises au fil des salons. Toujours des chroniques pour l’Imprimerie Nocturne qui édite un nouveau livre sur le thème de la  répression et une revue en ligne Miroir avec des textes rédigés dans le cadre d’un atelier d’écriture mené par la talentueuse autrice Laura Vasquez. 
Quant aux projets, je m’extirpe de deux années compliquées, j’ai besoin de mieux définir mes priorités. Le féminisme m’aide à retrouver une quiétude, une vitalité, une énergie. D’ailleurs, je vais davantage axer mon travail photographique sur les femmes et l’idée de réparation et prendre des photos de concerts et d’artistes occasionnellement.  L’écriture va également occuper de plus en plus de place. La littérature a toujours été centrale, je vis entre les pages des livres, j’ai peu d’aptitudes pour le réel/quotidien. Je préfère me consacrer aux territoires intimes avec des mots et des images. 






Stef’Arzak