La légende lo-fi revisitée, entre collage sonore et fiction documentaire
En 2024, Alex Ross Perry, le plus « indie rock-compatible » des cinéastes américains, s’est attaqué à l’un des groupes les plus insaisissables des années 90 : Pavement. Mais il ne l’a pas fait en bon élève. Pavements (avec un « s ») n’est pas un documentaire classique. C’est un kaléidoscope étrange, où exposition immersive, biopic fictif et comédie musicale cohabitent dans une forme volontairement dissonante. En guise de bande-son officielle : une compilation au titre trompeur, Original Motion Picture Soundtrack, qui n’est pas plus une B.O. qu’un best-of. C’est un manifeste, un puzzle. Et peut-être, la meilleure façon de résumer Pavement.
Fondé à la fin des années 80 dans une Californie loin des plages et du soleil, Pavement s’est toujours tenu en équilibre entre éclat et sabotage. Leur premier album, Slanted and Enchanted (1992), est une explosion lo-fi désinvolte, pleine de feedbacks, de fausses notes magnifiques et de textes volontairement flous. C’est l’anti-Nirvana. Pas de cris, pas de revendication, juste une langueur désaccordée, un génie sous Prozac.
Avec Crooked Rain, Crooked Rain (1994), le groupe flirte brièvement avec les charts (Cut Your Hair, Gold Soundz), avant de prendre une tangente expérimentale avec Wowee Zowee (1995), peut-être leur chef-d’œuvre secret, où se croisent country tordue, noise cérébrale et balades interstellaires. Le groupe refuse toujours d’être là où on l’attend.
Pavement, c’est du Velvet Underground sous cannabis light, un Dinosaur Jr. qui ne voudrait surtout pas se prendre au sérieux. Et pourtant, les chansons sont là, brillantes, émouvantes, parfois déchirantes.
Un film à la hauteur du mythe !
Dans Pavements, Alex Ross Perry refuse de trier. Il propose quatre films en un : une reformation réelle filmée comme un making-of, une fiction biographique hallucinée (Range Life, où Joe Keery joue un Malkmus spectral), une comédie musicale façon off-Broadway, et une exposition virtuelle truffée de faux souvenirs. Le résultat est labyrinthique, déroutant, souvent hilarant. Le film devient une extension du groupe : insaisissable, moqueur, ultra-référencé.
Le projet pourrait être prétentieux — il ne l’est jamais. Il est trop amoureux du chaos pour chercher la pureté narrative. Ce n’est pas un hommage, c’est une reconstitution impossible. Comme si Perry disait : « Voici toutes les versions de Pavement. Choisissez la vôtre. »
Original Motion Picture Soundtrack
La compilation qui accompagne le film n’est pas un simple collage. C’est un miroir brisé. On y retrouve des classiques (Stereo, Spit on a Stranger), des raretés devenues cultes (Harness Your Hopes, ressuscité par TikTok), mais aussi des ballades oubliées et des bizarreries brillantes. La tracklist défie toute logique chronologique ou commerciale : elle privilégie l’atmosphère à la narration.
Écouter Original Motion Picture Soundtrack, c’est redécouvrir Pavement comme un langage à part entière, où chaque dissonance est une ponctuation, chaque fade-out un clin d’œil. On comprend soudain que le groupe n’a jamais été “brouillon par négligence”, mais maître dans l’art de l’ellipse, du faux raté, du déséquilibre contrôlé.
Pourquoi Pavement revient maintenant ? Parce qu’ils n’ont jamais été aussi pertinents. Dans un paysage musical saturé de postures et d’algorithmes, Pavement rappelle la beauté du désordre, la possibilité du flou. Ils sont le contre-modèle à toute narration marketing. À l’heure où les documentaires rock se ressemblent tous, Perry les dynamite ; à l’heure où les compilations sont calibrées, Matador sort un objet qui ressemble plus à un fanzine sonore qu’à une anthologie officielle.
Pavement n’a jamais voulu qu’on les comprenne. Ce n’est pas une posture, c’est leur essence. Et cette compilation, comme le film, nous le rappelle avec tendresse et bizarrerie.