N’ENFERMEZ PAS PHILIPPE KATERINE, IL EST FOU !

J’étais jusqu’alors un peu passé à côté de Philippe Katerine, artiste longtemps resté underground, apparu en 1991 avec son album ‘’Les Mariages Chinois’’, écouté dès sa sortie au (feu) Virgin Megastore des Champs-Elysées.

Je suis somme toute resté à l’écoute de ses prestations télévisuelles, friand de ses réponses au cinquième degré en interview, dont les journalistes ne savent jamais vraiment si c’est du lard ou du cochon (ou, version végétarienne, du tofu ou de l’houmous), mais sans plus d’approfondissements.

Catapulté à la face du monde bien des années plus tard, en 2009, grâce au tubesque ‘’Louxor, J’Adore’’ et ses 150.000 albums vendus, Philippe Katerine reste malgré tout encore aujourd’hui un OVNI sur la scène française, inclassable, critiqué par certains qui crient comme des orfraies à l’imposture, et adulé par d’autres qui voient en lui un artiste sensible, intelligent et talentueux.

Si l’on devait illustrer le personnage en usant d’un terme politique, ‘’clivant’’ serait assurément le mot le plus approprié.

Philippe Katerine était en concert à la Ferme des Jeux de Vaux-le-Pénil le jeudi 9 mars, et sans le désistement de dernière minute d’une amie, me cédant sa place une heure avant le set, je serais sûrement à nouveau passé à côté de ‘’l’animal’’.

Katerine entre en scène en collant et veste médiévale de couleur verte, paré d’un énorme manteau de plumes tel qu’en portait Liberace entre les années 1950 et 1970.

Il est accompagné par Dana Ciocarlie, pianiste classique de tempérament, qui arbore une robe de soirée que n’aurait pas renié Jacqueline Maillan aux plus grandes heures d’‘’Au théâtre ce soir’’.

Katerine prend la pose façon Mime Marceau pendant de longues minutes, provoquant l’hilarité générale. On se dit à ce moment-là que ce type doit chaque semaine réunir dans son cerveau un colloque d’éminents énergumènes tout aussi ‘’barrés’’ que lui : Django Edwards, Pierre Richard, Pierre Desproges (Maître ès-détachement cynique), Jean Yanne (Maître ès-drôlerie), De Funes (Maître ès-mimiques) ou encore Patrick Robine (Maître ès-délire).

Les présentations se font rapidement… ‘’Bonjour, je suis la reine d’Angleterre et je vous chie à la raie’’. Le délire est en marche : ‘’Je vais vous compter l’histoire de Robert II le Pieux, mort au château de Melun en 1031, chasseur de vampires ; si vous avez peur des vampires, n’hésitez pas à le crier très fort car ils reviendront dans la nuit’’. Sur ‘’Louxor J’Adore’’Katerine ‘’coupe le son’’ (‘’C’est pénible n’est-ce-pas… c’est Vaux-le-Pénible’’) et ‘’remet le son’’, embarquant toute la salle. ‘’Une chanson à taux de pénibilité élevé’’.

Le Pierrot lunaire poursuit avec ‘’Bien mal’’‘’ADN’’ (poétique ballade au piano) et le cultissime ‘’Excuse-Moi’’ (‘’J’ai éjaculé dans tes cheveux à un moment inadéquat / Je ne croyais pas que ça partirait / Mais quand tu fais des trucs comme ça / Je ne peux pas m’en empêcher pourtant j’essayais de penser à autre chose’’… ‘’Parfois je pense à ma grand-mère qui est tout là-haut dans le ciel, et qui m’offrait des gâteaux tous les dimanches après-midi avec une drôle d’odeur…’’)

‘’Doudou’’ est une ‘’chanson sur l’addiction, qui débute par une ambiguïté sexuelle et je sais que vous en êtes friands à Vaux-le-Pénil’’. ‘’Passons du coq à l’âne, qui peut constituer le doudou de toute une vie ou des gens ; l’âne qui est le doudou de la carotte ; le doudou de la carotte qui est le lapin’’.

Le delirium tremens est à son summum : ‘’Robert II le Pieux a habité à Vaux-le-Pénil peu après les dinosaures qui reviennent parfois la nuit à Vaux-le-Pénil. Des ptéranodons qui viennent hanter vos rêves et vos cauchemars’’.

Un troisième larron au visage chabalesque, en robe de bure, vient tour à tour lui présenter un triangle (‘’J’aime bien le triangle, ça me donne envie de fouiller dans mes narines’’. Et joignant le geste à la parole, l’excentrique se fourre allègrement les index dans les naseaux), puis une flûte à coulisses (‘’C’est la flûte enchantée de Mozart, qui bien sûr, a vécu un peu après Robert II le Pieux’’) et enfin un saxophone qu’il délaisse soudainement car il est ‘’dégoûtant’’.

Puis vient ‘’Papa’’, chanson intime et cathartique, écrite après la disparition de son père et la douloureuse période qui s’en suivit. Une chanson pour retrouver ses ‘’re-pères’’. Katerine devient alors touchant : ‘’T’aimais pas les chanteurs qui bougent le cul / T’aimais pas les chanteurs qui chantent aigu / Mais tu m’en voulais pas, c’était bien comme ça / Si c’était bien pour moi…J’ai perdu mon papa, je le cherche partout / J’ai perdu mon papa, ça va me rendre fou / J’ai des désirs de meurtre / J’ai des désirs de meurtre’’.

Après ‘’La banane’’ (‘’Non mais laissez-moi manger ma banane tout nu sur la plage’’), Philippe Katerine vagabonde dans la salle, à la recherche de ‘’Bisoux’’. Il en récoltera finalement deux… ‘’Cet homme qui sentait très bon entre les doigts et cette femme que j’ai tant aimé serrer un instant, et un instant, c’est souvent une vie’’

‘’Philippe’’ est un sketch à deux voix avec Dana Ciocarlie‘’Je m’appelle Philippe. Comme Pétain. Beaucoup de Philippe ici ce soir dans la salle mais je ne les dénoncerai pas. Un clin d’oeil suffira’’.

Sur ‘’Marine Le Pen’’, Philippe Katerine ridiculise les extrêmes par la déconne sans limites. Façon Roberto Benigni qui avait singé le pouvoir fasciste avec son film « La vie est belle ».

Après nous avoir invité à un voyage nocturne sur ‘’Parivélib’’ (‘’Si je peux vous donner un conseil, faites du vélib’ la nuit sous ecstazy, la nuit à Paris’’), le délire est à nouveau à son apogée sur ‘’Poulet n°728120’’.

Le concert touche à sa fin. Dana Ciocarlie, emplumée, se retrouve seule sur scène pour interpréter une ‘’Arabesque’’ de Claude Debussy sur son Steinway And Sons. La salle est suspendue à chaque note émise par la virtuose d’origine roumaine.

Katerine revient débarrassé de son costume médiéval, pour interpréter le poème ‘’Montparnasse’’ de Guillaume Apollinaire, sur une mélodie de Fabrice Poulenc. Lumineux.

Le set s’achève sous les applaudissements fournis et prolongés d’un public conquis.

Un concert de Philippe Katerine est un théâtre aux confins du burlesque et de la poésie. Tour à tour hilarant et touchant, toujours décalé. Katerine n’est d’aucune obédience, libre comme l’air, détaché du jugement des autres.

Ce soir, il a conquis en deux heures les 500 signatures du public.

Philippe Katerine devrait être Président. Poutine et Trump chercheraient à imposer des sommets du G8 chaque mois pour se marrer à son contact et finiraient même par nous paraître sympathiques.

Nous ririons chaque jour et la vie serait plus fluide et moins fictive, sans pour autant se départir de sa profondeur.

N’enfermez jamais Philippe Katerine, il est fou !

Alechinsky.