[Chronique] Mégadisq – « Venus Is Red »

Rennes n’en finit plus de produire des météores sonores, et Mégadisq pourrait bien être l’un de ceux qui marqueront durablement le ciel pop-rock français. Deux ans seulement après leur formation, le trio composé de Hugo (chant, guitare), Nikita (basse, claviers) et Marius (batterie) livre avec « Venus Is Red « , sorti le 17 octobre chez Le Cèpe Records et Foudrage, un premier album aussi brillant que conceptuel, étoilé d’une pop qui vient d’ailleurs…

Une bande-son pour la fin du monde ou son recommencement. Après un premier EP, Minidisq, qui posait les bases d’un univers rétro-futuriste et volontiers ironique, « Venus Is Red » en prolonge la danse dans une œuvre mélodique, cinématique, à la croisée des influences de Bowie, Pond et Kate Bush. Mégadisq mêle ses références en les digérant avec agilité pour façonner une esthétique atypique, entre glam cosmique et désillusion postmoderne, comme si la pop de 1985 rencontrait la conscience écologique et métaphysique de 2025.

Les six titres de l’album se déploient comme les chapitres d’une même odyssée, oscillant entre le tragique intime et une science-fiction plus existentielle. La production, organique mais constellée d’électronique, évoque aussi bien Beck que Gorillaz, dessinant un monde où la batterie rencontre la boîte à rythmes et où la voix, souvent transformée, devient personnage à part entière.

Track by TrackI’ll Be the Spoon ouvre le disque sur un climat psychédélique. Ce morceau est une sorte de porte d’entrée hallucinée : le monde y semble figé, les objets respirent, et la voix d’Hugo flotte dans un rêve suspendu. Un début qui évoque Pond autant que les expérimentations de Tame Impala, mais avec cette touche mélancolique très frenchy.

Avec Still Learning to Be a Boy, le titre suivant, Mégadisq aborde le sujet délicat de la violence morale et le rôle des témoins, dans une ballade synthétique d’une justesse frappante. Le morceau séduit par son écriture chorale et sa pudeur dans un fragile équilibre entre culpabilité et compassion.

Strange Disorder fait basculer l’album dans son coté pop science-fiction à la kraftwerk. Sur une rythmique jungle et des nappes de synthés cosmiques, le trio imagine la Terre happée par un corps céleste. Le morceau dure le temps d’un souffle avant l’impact, une transe apocalyptique aussi brève qu’intense.

Every Friend Is a Drink marque le retour sur Terre, ou plutôt dans la nuit terrestre. Sous ses dehors dansants et ses riffs façon new wave 80’s, la chanson dissèque notre rapport au plaisir social et à la fuite en avant. C’est le single évident, mais aussi une critique subtile du “soir après soir” qui use les corps et les esprits.

House by the Garden offre le moment le plus émotionnel de l’album. En deux parties, pop lumineuse puis rock déchiré, le morceau raconte le deuil comme une boucle infinie. On pense à Arcade Fire ou à Radiohead période Amnesiac, mais là encore, Mégadisq impose sa grammaire propre : des ruptures, des contrastes, une sincérité sans emphase.

Enfin, Venus Is Red, titre éponyme et clôture logique, imagine un astronaute russe perdu sur la planète sœur. L’atmosphère y est électrique, saturée de sons d’arcade et de signaux d’alerte. Le morceau résume tout le propos du disque : l’isolement, la communication impossible, et cette beauté triste de vouloir encore prévenir les autres avant la fin.

Un premier album ambitieux et cohérent. « Venus Is Red » est de ces premiers albums qui semblent déjà raconter toute une trajectoire. On y sent la maturité d’un groupe qui sait où il va, sans renier la fraîcheur de ses débuts. La production est soignée, la narration fluide, et la cohérence thématique impressionnante pour un trio encore jeune. En filigrane, l’album parle du monde moderne : de ses burn-out, de ses solitudes, de son urgence écologique, mais avec élégance, sans manifeste, en misant sur la puissance évocatrice du son. Chez Mégadisq, le politique est poétique, et la fin du monde a la couleur chaude d’un coucher de soleil sur Vénus.