[Interview] L’IMAGE PUBLIQUE 2023, un regard curieux sur la Photographie Contemporaine.

La 13e édition du festival photographique L’IMAGE PUBLIQUE se déroulera du 10 au 31 octobre à Rennes et dans la métropole, avec des expositions, des projections, des conférences, mais aussi des lectures musicales, des ateliers d’initiation ou de perfectionnement, sans oublier le marathon Rennes Photo Challenge. Autant d’actions qui exportent la photographie urbaine contemporaine de multiples manières, avec des auteurs locaux et internationaux, pour nous proposer une vraie réflexion sur notre monde. Nous avons rencontré Paul Vancassel (président de Photo à l’Ouest) pour qu’il nous parle de cet ambitieux Festival.

Bonjour Paul, est-ce que tu peux nous parler de cette nouvelle édition ?
Paul : Pour cette 13e édition, on la prépare depuis deux ans, avec huit associations du bassin de Rennes et de la métropole qui sont intéressées par la photographie tout au long de l’année et qui essayent de fédérer leurs énergies autour du mois d’octobre. Désormais, depuis deux, trois éditions, on a déjà le marathon Rennes Photo Challenge qui nous a rejoints, le festival Photo Folie à Thorigné-Fouillard, des associations comme Imag’in à Acigné, qui fait beaucoup de choses tout le reste de l’année. Et puis la société Photographique de Rennes qui apporte une aide un peu logistique, je dirais, avec d’autres associations de quartier cette année en plus, à Maurepas, à Cleunay, on essaye de vraiment créer une synergie autour de la photographie, de montrer que la photographie n’est pas morte, déjà, et puis de s’ouvrir à des rencontres autour des différentes formes photographiques, parce qu’il n’y a pas que de la photographie de rue ou de la photographie de studio, il y a plein d’expérimentations, c’est aussi riche que la musique, il y a plein de tendances photographiques.

Et quels sont les moments forts que vous préparez ?
Paul : On à mis en place des soirées sous forme de conférences, débats, et puis une soirée exceptionnelle qui allie une projection de plus de 1000 images de villes à travers le monde, et une soirée concert au 4 bis, avec le duo Blaine Reininger, (fondateur de Tuxedomoon) & Georgio Valentino, et le groupe rennais Lighthouse. Deux styles très différents, avec des univers à la fois poétiques et par moment trash, mais qui se marient totalement bien avec les photos qui seront projetées. Ils m’ont dit eux-mêmes que ça les excitait, ça les stimulait de travailler sur des images un peu diverses et variées comme ça.
Ça rejoint une inspiration contemporaine et ça permet de toucher d’autres personnes que simplement le public qui a l’habitude de fréquenter des galeries photographiques. 

 

Vous alliez justement la musique, la poésie et l’image, pour aussi donner une vision et un rythme différent à la photographie ?
Paul : Oui, ça permet de lire les images différemment, et puis je crois que les musiciens s’y retrouvent aussi parce que ça apporte un prolongement du côté de l’imaginaire, d’avoir des images projetées, c’est clair.

Après, les autres points forts, c’est un parcours en bus dans la métropole. En général, on fait ça depuis le début de la manifestation, depuis les années 2007. En général, les gens ressortent avec le grand sourire parce que non seulement il y a des pauses d’inauguration assez fréquentes, toutes les demi-heures, il y a un petit truc à déguster, mais en plus de ça, c’est l’occasion de discuter avec les photographes dans le bus, un côté Magical Mystery Tour, tu vois.


Une vraie immersion donc ?
Paul : Voilà, une immersion différente, où on va au contact des gens. Ça permet de voir différents lieux de la métropole, de prendre le temps de voir différentes facettes du festival. 

Et en parlant de l’origine de ce festival, qu’est-ce qui vous a motivé, à amener ces événements-là ? 
Paul : Au départ, on éditait un guide, ça s’appelait le guide de la photographie à l’Ouest, qui couvrait la Bretagne, la Normandie, les Pays de la Loire. Puis on s’est rendu compte qu’il y avait une richesse dans les styles photographiques assez étonnante, mais que les photographes étaient un peu en chapelle les uns par rapport aux autres. C’est-à-dire que d’un côté, on avait les photographes de studio, les photographes portraitistes, de l’autre côté, on avait les photographes de pub, de l’autre côté, on avait les photographes qui faisaient du reportage, de l’autre côté, on avait les plasticiens, et ces gens-là ne se mélangeaient pas. On s’est dit pourquoi pas créer un festival éclectique justement, en montrant toutes ces facettes de la photographie d’aujourd’hui. Et pourquoi pas utiliser ce vivier créatif qu’il y a dans la région Ouest. Il y a énormément de photographes, d’auteurs qui travaillent dans des styles avec des correspondants ou des réseaux complètement variés, aussi bien en noir et blanc, aussi bien en numérique, aussi bien à la chambre, tout nous intéresse, même le téléphone portable.

 

 

 

Justement j’allais y venir. La photographie s’est aussi énormément démocratisée via l’utilisation des téléphones portables. Quelle est votre position par rapport à cette évolution de la photographie ?
Paul : Il y a deux réponses si tu permets. La première, c’est le nombre de photographies qu’on affiche chaque jour sur les réseaux sociaux, qui n’est pas pour autant un nombre véritablement de photographies mais plutôt une série d’images. Toutes les images ne sont pas des photographies. Il faut faire un peu la part des choses. Mais d’un autre côté c’est très stimulant parce que, comme la majorité des gens j’ai toujours sur moi mon téléphone et ça permet d’être très réactif. Sur l’instant présent. Après il faut chercher quand même un peu la lumière, l’angle ou la composition qui va mettre en valeur le sujet. Mais je dirais que tout est possible. Et puis il y a un travail de post-production comme dans toutes les techniques. Que ce soit un musicien, un acteur de théâtre, il y a toujours un travail qui n’est jamais complètement improvisé. Donc même avec un téléphone portable, il y a toutes sortes de réglages, de traitements qui sont possibles.

Ça reste l’outil de départ mais ce n’est pas le seul outil qui est utilisé pour aboutir à l’image. Après on peut être limité dans certains cas avec certains capteurs qui ne permettent pas des agrandissements.

Après, c’est vrai que les selfies ne sont pas pour nous une forme photographique dominante. (rire)

 

Toi même, tu es aussi photographe. Dans ta pratique photographique, comment appréhendes-tu la photo ?
Paul : Ça dépend. J’ai une pratique où c’était plutôt le graphisme et la structure graphique de l’image qui m’intéressait. Maintenant, je suis beaucoup plus spontané, justement, depuis l’utilisation systématique du téléphone portable. Je cherche presque à me frotter à la lumière, à la situation, à rentrer dedans.

Il y a une partie presque physique, un contact physique avec la lumière. Je suis beaucoup attiré par les reflets, par les ombres, par des choses aussi un peu cramées, un peu plus rudes. Ce qui me permet, justement, le téléphone portable, on peut s’approcher très près.

J’ai même eu une expo dans le passé où il y avait la possibilité de tenir le téléphone dans une main, d’avoir une petite lampe torse dans l’autre main, d’éclairer des visages pour jouer avec des parties du corps. Créer des textures grâce à la lumière.

C’est beaucoup plus souple d’utilisation. On est beaucoup plus libre dans nos mouvements. Il ne faut pas oublier que derrière l’appareil photo, il y a les capteurs, mais il y a aussi le corps du photographe qui tient l’appareil et qui se penche, qui bouge avec.

C’est un prolongement de sa main. De son esprit aussi. Oui, de son esprit aussi. Il y a quelque chose de physique dans la pratique photographique. Il n’est pas figé, debout, avec un balai dans le dos.

 

La photo est souvent comparée à la peinture. Deux formes d’expressions artistiques qui s’inspirent d’objets du réel que l’on peut triturer, déformer pour en faire une œuvre à part. Est-ce que pour toi aussi, la photo et la peinture sont deux arts frères ? 
Paul : La peinture, oui, par rapport à l’image, la composition, c’est sûr.

Mais aussi la sculpture, par rapport à la matière, au volume, à la lumière. Aussi peut-être le théâtre, par rapport à la mise en scène. Aussi peut-être le cinéma, qui peut servir d’influence pour beaucoup de photographes aujourd’hui. La photo a bénéficié des techniques de l’image qu’il y avait avant elle.

Notamment la peinture, la gravure. Mais elle bénéficie aussi d’un retour, même d’une inspiration venant de la vidéo, venant pourquoi pas des vidéosurveillance même, qui influencent certains photographes aujourd’hui. Donc elle est une caisse de résonance, un peu comme la musique, je dirais.

Elle peut être une caisse de résonance de plein d’autres arts.

 

Il y a aussi une résurgence de la photographie argentique, qui était devenue obsolète. Et qui maintenant, dans la pratique artistique et l’expérimentation de la photo, est redevenue à la mode !
Paul : Oui, une expérimentation et une pratique plus physique du laboratoire que celle qu’on trouve aujourd’hui.

Une pratique finalement plus corporelle. Parce que c’est vrai que quand on est en laboratoire, on utilise les mains pour atténuer la lumière. On met les mains dans les bains. Il y a quelque chose de beaucoup plus concret, beaucoup plus matériel. Un peu sensuel aussi.

Et je crois que les gens ont besoin de revenir à ça, face à des techniques qui sont devenues dématérialisées, comme on dit. Les gens ont besoin d’un rapport à l’objet, à la chose, à la matière. L’argentique, je compare ça un peu au retour qu’il y a eu par rapport au CD vers le vinyle.

On revient à quelque chose de plus riche au niveau de la sensibilité. 

En tout cas, il y a un réel intérêt maintenant pour l’argentique. Comme on peut l’avoir aussi, d’ailleurs, pour le vinyle, dans la musique. 

Votre festival, il est très contemporain en réalité !
Paul : Il est contemporain dans le fait que ce sont des expos, sauf quelques-unes qui ont été faites dans les deux dernières années. Voire qui ont abouti dans l’année en cours. C’est-à-dire qui n’ont jamais été présentées auparavant. Il est contemporain aussi dans la sélection qu’on a faite. Parce qu’il y a une sélection en amont par rapport à toutes les candidatures, tous les projets d’exposition qu’on a examinés pendant deux ans.

Une sélection pour trouver quelque chose qui parle de la vie ici, en France, en 2023. Mais aussi dans d’autres régions du monde. La question urbaine en général. Et il faudrait qu’on rattache ça à la philosophie urbaine d’ailleurs. Ou à la sociologie urbaine.

Parce que ce n’est pas que de l’art ou que de l’expression artistique. Il y a derrière un reportage sur le Caire la nuit qui est surprenant, qu’il faut absolument voir. Il y a un reportage sur les Anglais qui vivent à Londres post-Brexit aujourd’hui.

Il y a des mélanges entre architecture et portrait qui ont été faits à Rennes, qui permettent de voir Rennes sous un autre angle. Il y a vraiment des choses qui sont à la fois riches du point de vue d’inspiration artistique. Mais en même temps qui nous parlent d’une façon indirecte de notre société actuelle.

Que peut-être les mots n’arriveraient pas à exprimer. Je pense que la photo a sa place comme moyen à part entière pour parler du monde contemporain. Elle est vraiment à part par rapport au langage. Avec une résonance sur l’aspect contemporain des choses, un peu comme pour la musique. C’est un festival comme les Transmusicales, c’est un événement avec une vraie en prise sur le temps présent. Même si on ne va pas aller chercher forcément du côté de la photographie dite d’art contemporain. On essaye à chaque édition d’apporter des travaux inédits, des travaux qui sont actuels.

Même s’il n’y a rien autour du confinement. Mais bon, ce n’était pas indispensable. Il nous a semblé que c’était une parenthèse (rire).

 

Vous avez beaucoup d’intervenants avec des origine très variée ?
Paul : On aurait voulu faire mieux encore, mais on a été limité au niveau des moyens.

Alors là, on fonctionne de différentes façons. Soit on fait venir carrément le photographe avec ses photos. Soit il nous envoie des photos par des plateformes de transfert de gros fichiers et on les imprime et les encadre avec nos partenaires. Dans ces cas-là, il n’est pas forcément présent le jour J de l’inauguration ou de présentation de son travail. Mais ses œuvres sont là et on en parle à sa place. Après, on envisage des collaborations avec d’autres festivals de photo urbaine à travers le monde, notamment à Chicago.

On a aussi des liens avec Athènes et d’autres villes en Europe. Et on va essayer, autour de la soirée et des événements qu’on a créés, vraiment c’est une création pour cette année, plus de 1000 images encore une fois, de reproduire ce truc-là dans d’autres villes du Grand Ouest au moins, avec toujours la participation d’un groupe en live.

Il y a aussi des conférences que vous allez animer.

 Paul : Des conférences pour montrer que la photo a une histoire. Il y aura une histoire de la photo de rue, notamment depuis 10-20 ans. C’est-à-dire la photo contemporaine de rue. Et pas seulement la photo de rue classique qu’on connaît depuis les années 1930. Il y aura une conférence autour du graffiti à Alger, faite par une Marseillaise qui va venir spécialement, qui est une sociologue, qui va expliquer un peu le sens politique, social de toutes ces inscriptions qu’on trouve sur les murs.

Qui sont des fois à caractère politique, des fois de la provoque, des fois à caractère complètement anarchiste. Il y a un peu de tout.  

 


Le Festival se déroule sur trois semaines. C’est beaucoup d’investissement!
Paul : Oui, aussi bien au niveau de l’investissement des bénévoles, il y a quatre lieux dans lesquels on fait de la surveillance quotidienne. Donc il y aura les deux Orangerie du Thabor, l’Hôtel Pasteur, la Maison Internationale de Rennes. Et puis, il y a pas mal de lieux qui assurent eux-mêmes la surveillance.

Mais c’est vrai qu’il y a toute une logistique qui se met en place avec une trentaine de bénévoles pour la distribution des programmes au marché des Lices. Pour des interventions dans l’espace public. Pour la soirée événement. Pour filmer. Pour aussi accueillir ou accrocher avec les photographes dans les lieux, tout ça. 

Vous êtes combien de bénévoles en tout ?
Paul : Une trentaine sur toutes les trois semaines. Et ce qui est intéressant à noter, c’est que les deux premières semaines sont juste avant les vacances de Toussaint. Mais la dernière semaine est volontairement placée sur le début des vacances. Ce qui permet à un public extra-rennais ou extérieur à Rennes de voir aussi certaines expos.

Parce que toutes ne restent pas en place les trois semaines. Malheureusement, il y a des fois des lieux qui nous accueillent seulement pour une semaine.

On est obligé de composer avec des choses comme ça.


Ça vous permet aussi de programmer plusieurs rendez-vous qui s’enchaînent. Au niveau de la dynamique, c’est intéressant.
Paul : La première semaine est très chargée et la deuxième semaine, il y a un gros temps fort avec cet événement au 4 bis. Photos, concerts. Et la dernière semaine, c’est plutôt des stages d’initiation technique. Il y a un workshop qui est une vraie masterclass avec Stéphane Lorcy, un photographe rennais qui a fait le tour du monde. Un artiste qui a regard très exigeant au niveau de la compo en noir et blanc. Il mérite une vraie reconnaissance au niveau international à mon avis.

Sinon, il y a aussi des ateliers à la portée de toute initiation. De différentes techniques, comme le Sténopée, mais aussi des logiciels numériques, de l’éclairage studio (pour ceux qui veulent se mettre à faire de la photo avec de l’éclairage intérieur). 

On aurait aimé faire d’autres choses et proposer d’autres ateliers, mais on ne peut pas tout faire d’un coup. Et il y aura d’autres éditions.

 

L’IMAGE PUBLIQUE du 10 au 31 octobre 2023
-Programme complet ici  

-Billetterie pour la soirée concert + projections d’images de villes (plus de 20 villes à travers le monde), jeudi 19 oct à 20 h 30 au 4 bis à Rennes. Avec la venue exceptionnelle de Blaine Reininger (TUXEDOMOON) & Georgio Valentino (Athens), et Lighthouse  : https://www.helloasso.com/associations/photo-a-l-ouest/evenements/soiree-evenement-image-publique-2023

-Plus d’info ici : https://www.photoalouest.com/image-publique/le-festival