Ne pas évoquer l’artwork magnifique des albums de DENNER, à la fois classique et classieux, aurait été un oubli notoire tant il prend une place prépondérante et éclaire encore un peu plus chacun d’entre eux.
C’est ce que nous vous proposons d’évoquer ici pour le dernier volet de la saga DENNER.
‘’Les pochettes sont très importantes pour moi car pour chacune d’entre elles, tu racontes une histoire, tu plantes un décor, tu inventes ton propre mythe’’, nous précise d’entrée Gilles Le Guen. ‘’Je suis un amoureux de tous ces labels des années 80, surtout les pochettes de Factory Records et du label bruxellois Les Disques du Crépuscule, qui étaient merveilleuses’’.
‘’Les trois pochettes des albums de Denner – ‘’Nouvelle-Bretagne (2010)’’, ‘’Drifting Canticles (2017’’) et ‘’New York-Trebeurden-Minsk’’ (2018) – sont très liées. Ce n’était pas calculé. Mais au moment de la conception de la seconde, puis de la troisième à peine six mois plus tard, je m’en suis rendu compte. Et c’est là que j’ai réalisé qu’on avait une trilogie !?! Le point commun c’est la Nature – The Wild – qui revient dans mes textes. La force de la nature, son côté impérieux, qui s’impose à nous, qui était là avant nous. Chaque album est comme une contrée imaginaire’’.
NOUVELLE-BRETAGNE (2010)
La pochette est une peinture du XIXe siècle très classique de Albert Bierstadt (Hudson River School), qui veut montrer la grandeur des paysages américains. On trouve la dénomination Nouvelle Bretagne pour désigner le Nord-Est américain, plus particulièrement le Labrador et les régions voisines de la baie d’Hudson, sur les cartes du 19e siècle. ‘’J’avais vu ça dans un documentaire sur le Arte US. Je m’étais dit ‘’c’est l’pompon ! J’ai quitté la Bretagne pour me retrouver en Nouvelle-Bretagne !!?! Et avec cet emprunt visuel à l’Hudson River School – qui coule à l’ouest de l’île de Manhattan – je faisais une boucle’’.
Albert Bierstadt (7 janvier 1830 – 18 février 1902), estest un peintre américain d’origine allemande, connu pour ses paysages de l’Ouest américain. Bierstadt faisait partie de l’Hudson River School, le premier mouvement pictural né aux Etats-Unis au XIXe siècle, fondé par un groupe informel de peintres du paysage du XIXe siècle influencés par le romantisme.
‘’Certains me parlent de Caspar David Friedrich (*) mais je n’aime pas trop ce peintre… C’est quand même ultra-romantique.’’
DRIFTING CANTICLES (2017)
‘’Je voulais à l’origine utiliser une image extraite du film ‘’Finis Terrae’’ de Jean Epstein(1929) (NDLR : documentariste français), tourné à Balanec et Bannec, deux îlots d’Ouessant. Je voulais que quelqu’un redessine cette image. Puis un jour, je tombe sur la peinture de Guillaume Montier, peintre d’origine rouennaise, une huile sur toile de 50×50 datant de 2014. Et là, le flash !!!
J’avais tellement peur d’un refus, j’ai mis un an avant de le contacter par mail pour lui demander l’autorisation d’utiliser sa peinture. Sa réponse a été très rapide : ‘’Quelqu’un qui a choisi Albert Bierstadt pour son premier album, et qui choisit une de mes peintures pour le deuxième, j’en suis honoré, merci beaucoup !’’.
‘’La peinture se nomme ‘’Le Retour’’ et je ne sais toujours pas ce que Guillaume met derrière. Ce n’est pas important. Elle m’émeut. Et chacun en a son interprétation’’ confie Gilles.
‘’Comme pour le premier, les armoiries de Denner devaient figurer sur la pochette. C’est Marjolaine Sirieix qui les a dessinées. Je lui ai donné plusieurs exemples des années 1800 qui me plaisaient : celles de l’Équateur, de l’école militaire de WestPoint, dans la vallée de l’Hudson au nord de New York … Toujours en raccord avec mon idée de Nouvelle-Bretagne. On a modifié et élaboré la version de Denner avec ses symboles : le Manhattan Bridge – j’avais longtemps habité au pied – la vallée de l’Hudson, le personnage de Denner, et une ligne de texte à laquelle je tiens… ‘’Lifting every stone on my path/Retournant chaque pierre sur mon chemin’’. Du faux Sisyphe, ha !!?!
Tout en donnant une patine à l’ensemble pour donner l’impression que Denner avait une histoire. Lui inventer sa propre mythologie, à ce personnage-groupe-de-rock’’.
NEW YORK – TREBEURDEN – MINSK (2018)
‘’L’idée de départ était de reprendre le design de Deutsche Grammophon (**), avec son célèbre rectangle jaune. Et de prendre une photo d’un paysage naturel désertique non-identifiable, qui pourrait être en Ecosse, dans les Causses, ou la Nouvelle-Zélande ! Cette contrée pour l’imaginaire, elle existe. Elle est dans les Monts d’Arrée, un lieu fortement chargé qui me fascine. J’ai passé près de deux heures à faire des photos sur ce point culminant de la Bretagne. Je suis reparti de là-haut complètement vidé…. J’ai eu l’impression d’être marabouté !!?! Et Yves Bigot, un photographe graphiste rennais, a inventé un écrin. Il a filtré ma photo et repensé façon Art Déco le cerclage du rectangle Deutsche Grammophon vieillot.
Au recto, on trouve les crédits et une note d’intention d’Eric Voegelin.
Je voulais du N&B comme les disques de musique classique que j’ai beaucoup écoutés, avant même d’écouter du rock. C’est sûrement pour ça que je n’étais pas punk, j’écoutais France Musique dans les années 70. Je n’avais pas de grand frère qui me faisait écouter du rock’n’roll. J’ai acquis ma culture musicale seul, plus tard.
J’avais toujours en tête l’album ‘’Ravel : Boléro – Daphnis et Chloé, suite n°2 / Debussy : La mer – Prélude à l’après-midi d’un faune’’ et le troisième album électronique et dansant – parfois ambiente! – de Section 25, ‘’From The Hip’’ (1984).
Deux centres d’intérêt pour moi et deux époques : début de siècle français et début des années 80 à Manchester. Il n’y a aucune filiation musicale directe. Mais la tonalité des pochettes, leurs couleurs et ce paysage sont connectés au même univers en moi’’.
Alechinsky.
(*) Caspar David Friedrich (1774-1849) est un peintre et dessinateur allemand, considéré comme l’artiste le plus significatif et influent de la peinture romantique allemande du XIXe siècle. (**) LaDeutsche Grammophon Gesellschaft (‘’D.G.G.’’) est une société d’édition de disques de musique classique fondée en 1898 et le plus ancien éditeur de musique enregistrée encore en activité.
Remerciements :
Je tient à remercier vivement deux personnes sans qui cette saga n’aurait pu voir le jour : en premier lieu, Gilles Le Guen lui-même, pour le temps qu’il nous a consacré avec une infinie gentillesse et ces entretiens au long cours, riches et passionnants, qui nous ont permis de découvrir un être érudit, historien, passionné, doué et déterminé. En second lieu, mon très cher frère et ami rennais Stéphane Perraux, peintre, poète et entremetteur de génie.