Il y a, parfois, des coups de tête qui font du bien. Pas celui de Zidane lors de la Coupe du Monde ni celui de Jean-Jacques Annaud avec Patrick Dewaere (un verre, ça va, Dewaere…je sais, c’est plus fort que moi). Non, de ce coup de tête qui vous prend à la sortie d’un train de banlieue après une journée de travail et vous mène droit à votre cinéma de quartier. Critiques élogieuses, affiche intrigante, me voici dans une grande salle fort peu peuplée en cette fin de soirée. Au programme ? « Left Handed Girl », deuxième film taiwanais réalisé par Tsou Shih-ching en collaboration étroite avec Sean Baker, présent à l’écriture, au montage et à la production de ce dernier. Oui, ce même Sean Baker dont la Palme d’Or culottée électrisa le Festival de Cannes en 2024.
A l’écran et dès les premiers plans du film, nous retrouvons le rythme échevelé qui caractérise les films du cinéaste américain. Mais Tsou Shih-ching va plus loin et dope son long-métrage d’une photographie des plus éclatantes. Ainsi, dès l’ouverture, un kaléidoscope de couleurs explose à notre regard et se double d’une intention scénaristique, comme une promesse. « Left-Handed Girl » brillera de mille feux et explorera, sans manichéisme, les mille et une facettes émotionnelles d’une famille dysfonctionnelle. Shu-fen, mère courage dépassée par les désirs de sa plus grande fille adolescente (I-ann) et la candeur de sa plus petite (I-jing), tente de se « refaire » à Taipei au sein d’un marché de nuit. Elle loue, pour l’occasion, un emplacement propice à la restauration rapide et tente, tant bien que mal, de s’extirper d’une situation financière désastreuse. De son côté, I-ann s’embourbe (en cachette) dans la vente de noix de noix de bétel et une relation sexuelle toxique. De l’autre, I-jing, du haut de ses cinq ans, s’adonne au vol à l’étalage, persuadée que sa main gauche est sous l’emprise du diable. Une galerie de personnage hauts en couleurs pour un drame bien sombre, tant le secret qui unit ce trio mine leurs existences au quotidien. Top au Pathos ? Trop facile. D’une élégance folle quant à son sujet, notre cinéaste contrebalance le poids de sa tragédie en disséminant çà et là des scènes fabuleuses de drôlerie . Pour preuve, cette scène de beuverie/séduction entre Johnny, voisin camelot peroxydé, et Shu-fen ou bien plus loin, un anniversaire versant dans le règlement de comptes à la sauce aigre-douce. Un catalogue de vignettes, d’une grande véracité, offrant à son casting l’occasion de briller constamment. Nous songeons souvent aux élans technicolor de « Tempura » d’Akiko Oku dans la manière de traiter un sujet grave avec des artifices pop. Nous songeons aussi à la douce mélancolie graphique infusée dans le très beau « Millenium Mambo » de Hou Hsiao-Hsien en 2001 ou, encore, à « Betelnet Beauty » de Lin Cheng-shen dans le soin apporté à la psychologie des personnages et leur perméabilité au monde qui les entoure. Dans ce « Left-Handed Girl« , tout grouille, gueule et bouge au rythme de la ville, de ses protagonistes motorisés et de ses locaux. Il est, d’ailleurs, fortement conseillé de « vivre » ce film en Dolby Surround tant la restitution sonore de cette chronique urbaine vous submerge. Immersif, sensitif et cognitif, ce long-métrage impressionne dans sa volonté de nous tenir aux cotés de ses héroïnes sans nous lâcher d’une semelle. Mieux. Achevant un ouvrage déjà fort bien mené et cadré, le dernier plan symbolique nous étreint par sa simplicité et sa grâce.
Souris puisque c’est grave ? C’est cela et plus encore.
Ne loupez pas ce rendez-vous intime sur grand écran.
Délicat, survolté, intelligent et loin d’être « gauche » (haha), « Left Handed Girl » est un petit miracle de beauté et de maitrise formelle.
Il concourt naturellement pour le meilleur film en cette fin d’année 2025.
Et gagna, depuis hier, la première place dans mon cœur.
John Book.
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