“La nuit du 12” de Dominik Moll. Rue Barbare

Dominik Moll tape dans le dur ! Après nous avoir gratifié d’une chronique sociale matinée de polar avec son excellent “Seules les Bêtes”, le scénariste-producteur creuse un peu plus dans notre société malade et en extirpe une œuvre dense et crépusculaire. “La nuit du 12” narre le quotidien mouvementé d’une équipe de policiers confrontés à un crime abject. Nous sommes au sein de la PJ de Grenoble. Départ en retraite, changement de direction et groupe soudé. L’ambiance est à la fête et l’émotion n’est pas loin. Quelques heures plus tard, à quelques kilomètres de là, une jeune fille sort d’une soirée et se fait brûler vive, en pleine rue pavillonnaire, par un mystérieux tortionnaire. Dès lors, le capitaine Yohan Vivès, Marceau et leurs équipiers ne cesseront de défricher le terrain afin de trouver une piste, un indice ou un semblant de réponse à cet acte ignoble. Hélas, en dépit d’une collection d’amants/coupables potentiels évoluant dans la sphère de la défunte, rien n’émergera, laissant nos protagonistes en plein brouillard durant de longues années d’investigation.
“La nuit du 12″ est l’histoire d’un échec, comme il en existe tant au sein de la police judiciaire. C’est avec beaucoup de distance et de recul que Dominik Moll filme ses héros. Point de coup d’éclat ou de réalisation sensationnelle. Le crime sera filmé sans frime. Les flics seront décrits comme des êtres de chair et de sang, confrontés à des ruptures sentimentales, la solitude ou plongés dans un travail obsessionnel. Point de bande-son démonstratives, dégoulinante de bons sentiments. Le silence comble l’espace. Le comprime. Nous étouffe. Point de dérapages contrôlés ou de courses-poursuites. Point de bagnoles renversées mais des aveux renversants. Ici, les Hommes sont montrés comme des prédateurs sexuels inconséquents, de jeunes cons suffisants dont la disparition de leur maitresse sonne comme une anecdote sans relief. Une passade. Clara Royer est morte ? Elle l’a mérité. C’était une chaudasse qui aimait les bad-boys. Une pensée partagée par la plupart de ses amants mais aussi d’une certaine frange de la profession. Le réalisateur d'”Harry, un ami qui vous veut du bien” défonce les mâles. De ceux qui confondent leur intelligence présumée avec leurs testicules. Comme le dit si bien Marceau, “Mais c’est quoi, cette manie chez les mecs de toujours vouloir enflammer les filles ?”. Gilles Marchand et son compère d’écriture ont la grande intelligence de ne pas verser dans l’essai manichéen, avec des trous du c…d’un côté et des policiers incorruptibles de l’autre. L’Homme est friable. Les scénaristes le savent pertinemment.  Nous serons, donc, en immersion dans une (en)quête de sens où les clichés et les aprioris jouent des coudes. Et au milieu ? La douleur de la perte, la rage au ventre et la bêtise.
A l’image de ce plan symbolique où le capitaine Vivès fait des tours de pistes concentriques à vélo, l’enquête tourne en rond et ne soulève aucune piste raisonnable. 
Et le long-métrage de dérouler les nombreuses étapes ( les interrogatoires, les planques, les recoupements d’appels téléphoniques, les aveux, etc…) sur fond de néant et d’effarement.
Dominik Moll n’est pas le fruit d’une production Besson.
Son adaptation du roman de Pauline Guéna se veut rigoureuse et pudique. Certains y verront la marque d’un téléfilm au budget confortable. J’y vois la présence d’un cinéaste misant sur les faits et la véracité. 
Pour emmener le public aux Enfers sans l’ombre d’un bâillement (L’ennui du 12 ?), il fallait une distribution solide sur laquelle s’appuyer. Mission réussie.
Bastien Bouillon, lunaire, campe un flic mutique et désarmé avec beaucoup de tact tandis que l’épatant  Bouli Lanners lui répond par un jeu beaucoup plus physique.
Déséquilibre mais connivence.
Leur duo, ainsi que le reste du casting (Charline Paul et Anouk Grinberg sont impressionnantes), fait des étincelles sans en mettre plein la vue.
Je ne suis pas un adepte du Cinéma Français, que je trouve souvent mollasson.
Depuis la fin des années 70, mes plaisirs à l’écran sont sporadiques dans notre Hexagone.
Mais quand un bijou d’écriture et de direction d’acteurs flamboie au milieu de productions formatées, ma joie n’en est que plus conséquente.
C’est le cas de ce polar hors-norme (hors-Hommes?) et absolument brillant.
Pamphlet féministe, état des lieux nihiliste ou film français de l’Année, à vous de juger.
Mais ne passez pas à côté de cette expérience inoubliable.
En pointillé et sans forcer le trait, Dominik Moll enchaine les fictions exigeantes et populaires, exhibe nos travers (de porc) et compose une allégorie du pire fort bien documentée.
Pour notre plus grand bonheur de cinéphile et notre plus grand malheur de citoyen.
Dark Moll?
Assurément.
 
John Book.