” Juliet Naked” de Jesse Peretz. “I’m Nuthin'”.

Le cinéma sur le petit écran, est-ce toujours du Cinéma ? Si l’on en croit Scorsese, oui. Si l’on en croit Spielberg, non. Vaste débat lorsque l’on sait que bon nombre de productions sortent en salle dans leur pays d’origine et directement en DVD ou sur des plateformes dès qu’elles traversent les frontières. C’est le cas de ce réjouissant “Juliet Naked” qui n’a pas connu les joies d’une exploitation dans nos contrées mais bel et bien aux USA.
Et l’on se demande, alors, ce qui se trame dans la tête des distributeurs et/ou acheteurs potentiels (Amazon Prime France est coproducteur…ceci expliquant cela?) tant cette adaptation d’un roman de Nick Hornby tutoie les meilleures comédies douces-amères du moment !?

Car l’auteur britannique excelle dans l’art d’ausculter nos joies passéistes et nos adolescences en berne. Pour son huitième roman, il pointe du doigt la “fan mania” (digne d’une psychothérapie) de Duncan, admirateur sans bornes et borné d’un album culte. Annie, sa compagne, rêve d’un enfant mais l’adulescence prolongée du géniteur potentiel remet aux calendes grecques son désir d’être mère. L’arrivée inopinée dans leur existence du créateur de “Juliet Naked” va mettre à mal les certitudes de leur couple et donner à Annie une nouvelle raison de vivre.

Parlons “film” et revenons à ce qui fait la moelle substantielle de cette comédie dramatique remarquable : son casting.
A la lecture du roman homonyme du journaliste/essayiste anglais, je m’imaginais des personnages autrement plus truculents. Je voyais en Tucker Crowne une sorte de Robert Wyatt croisé avec un Morrissey grisonnant et en Annie et Duncan un couple typiquement (trop?) british. Allais-je retrouver ces caractères en chair et en os? L’humour décapant de l’auteur d'”Haute Fidélité” est-il soluble dans une production Judd Apatow?
Le scénario proposé par Tamara Jenkins, Jim Taylor et Evgenia Peretz tord gentiment le cou à nos attentes : Rose Byrne et Chris O’ Dowd forment un tandem universel, actuel et dysfonctionnel et Ethan Hawke campe avec talent un rocker quinquagénaire d’exception. Père largué (proche de son personnage dans “BoyHood” de Richard Linklater) , grand-père dépassé (!) et accusant les passages du temps via des tempes grisonnantes, ce loser magnifique est incarné avec brio par l’un des meilleurs acteurs américains de sa génération. Et lorsque j’évoque le mot “génération”, je ne peux que m’amuser devant le clin d’œil appuyé du réalisateur à “Génération 90” de Ben Stiller. Ethan Hawke y interprétait, déjà, un amoureux instable et grunge. Troy Dyer. Et puisait dans les ballades acoustiques de Pearl Jam ou “Alice in Chains” afin d’interpréter “I’m Nuthin'” en t-shirt relâché et chemise à carreaux. Effet miroir. Troy aurait pu enregistrer l’album “Juliet Naked” en 1994 et vieillir à l’abri des regards. Puis reprendre contact avec le Monde bien des années plus tard sous le pseudonyme de Tucker…
J’avais évoqué dans une ancienne chronique ma rencontre avec l’interprète de la trilogie “Before” et de “Training Day”. Electrisé à l’idée de rencontrer l’une de mes idoles, mon cœur battait la chamade. Il me tendit une poignée de main franche. Regard bienveillant. Simplicité et magnétisme au quotidien. Ethan Hawke est de la trempe des plus grands. Son jeu naturel et son talent crèvent l’écran. Sa générosité envers ses partenaires et la douce alchimie qu’il partage avec Rosie Byrne sont d’une élégance folle. Incontestablement, leur duo rappelle les grandes heures de l’âge d’or hollywoodien.
Pour le reste, la réalisation en pointillé de Jesse Peretz alterne mouvements de caméra maitrisés et accalmie… et nous retrouvons tout le fiel de l’auteur par le truchement de dialogues enlevés et ciselés !
Bel ouvrage.

Nous avons toutes et tous connu un amour inconsidéré pour un artiste, un album ou même une chanson.
Des rimes qui séduisent et nous remplissent. Un refrain qui nous résume si bien.
20 ans. Possibilités infinies.
50 ans. Contours définis.
A présent, nous chantons inlassablement “Forever Young” d’Alphaville. Nous voulons cristalliser notre jeunesse dans un élan de poésie mal contrôlé.
Car nos existences ne se réduisent pas à des chairs qui s’affaissent ou des problèmes de santé.
La sève de la Vie irrigue nos pensées et notre volonté de nous surpasser.
Nous survolter.
Incandescents.
On n’est pas sérieux quand on a 17 ans.
Ce long-métrage résolument optimiste dresse un portrait sans fard des nostalgiques et des grands enfants que nous sommes.
Qu’importe si nos progénitures ont pris, depuis longtemps, le relais.
Nous rêvons.
La tête en arrière et l’âme en quête de lointain.
Au Pays des merveilles de Juliette.

John Book.