Julian Sands. Jude the obscure…

Il est des carrières cinématographiques qui traversent notre mémoire comme autant de comètes fugitives en pleine atmosphère. A la faveur d’une séance de cinéma au printemps 1989, (“Warlock” de Steve Miner, honnête série B ficelée par un habitué du genre) je tombe sous le charme d’un comédien à la beauté atypique : Julian Sands. Profil féminin, faciès digne d’un rapace, tignasse moyenâgeuse et regard perçant, cet acteur britannique impose un physique étrange aux antipodes des “canons” de l’époque. Point de Johnny Belle gueule dans “Cry Baby”. Point de coolitude à la Mighty Bruce. A l’instar d’Alan Rickman dans le romantique “Robin des Bois, Prince des Voleurs” de Kevin Reynolds, Mister Sands opte pour la retenue grandiloquente et un jeu “so british”. Nous attendions un déchainement de cabotinage dans l’incarnation de ce sorcier ? Il n’en est rien. Warlock se permettra quelques écarts “humoristiques” mais rien de plus. Rigidité et présence. Noirceur. Julian Sands impressionne les cinéphages sans se forcer.


Rembobinage sur une carrière tumultueuse :
Dès 1985, James Ivory fait appel à ce jeune premier intriguant pour sa “Chambre avec Vue”. Le box-office s’affole et Hollywood le courtise (à moins que ce ne soit le contraire ?).Ce sera, donc, “Gothic” de Ken Russell et son romantisme fiévreux. Le premier pas vers un univers fantastique qu’il ne cessera d’arpenter par le biais de personnages sulfureux et/ou ambigus.
Quelques années plus tard, c’est dans la peau d’un entomologiste -fasciné par les monstres à huit pattes- qu’il rayonne dans le terrifiant “Arachnophobie” de Frank Marshall. Etant cinéphile mais peu enclin à croiser un arachnide dans ma salle de bains, je peux vous assurer que mon expérience cinématographique au feu “Forum Horizon” des Halles de Paris est gravée, pour toujours, dans mes souvenirs !

En 1991, Chris Walas lui donne les traits d’un amant/insecte géant en pleine copulation dans le psychédélique et flamboyant “Festin Nu” de David Cronenberg mais il faudra attendre 1995 pour que cet acteur singulier imprime la pellicule via l’un des plus beaux films au monde : l’inoubliable “Leaving Las Vegas“.
Dans ce chant du cygne bukowskien, Mike Figgis lui offre le rôle d’un proxénète toxique et souligne le large éventail de jeu de cet artiste protéiforme. Dès lors, leurs nombreuses collaborations prendront le chemin d’une amitié au long cours jusqu’en 2012 et feront de Mr Sands un second rôle de premier choix dans moult séries (“Stargate“, “New York Unité Spéciale“, “ 24 Heures Chrono“, “Dexter” ou encore “Gotham“…).A l’amorce d’un nouveau millénaire, il rejoint Mel Gibson et Wim Wenders à l’ombre du poétique ” Million Dollar Hotel” sans convaincre réellement et croise la route de Johnny Hallyday dans l’ovni “Love Me” de Laetitia Masson.
Sept ans plus tard, c’est entouré de treize salopards qu’il se démarque dans le superflu “Ocean’s Thirtheen” de Steven Soderbergh mais peine à retrouver une place centrale dans les films à gros budgets.
Enfin, caprice ou exigence, David Fincher le convoque rapidement dans son remake copié-collé de “Millenium” en 2013 et il faudra attendre 2019 pour que son nom flamboie durablement aux cotés de celui d’Harvey Keitel.Si nous devions comparer cette carrière capricieuse à une autre, ce serait-sans conteste- celle de Rutger Hauer. Une présence extraordinaire à l’écran et quelques films emblématiques dans le CV… mais des séries B à foison qui finissent par écorner l’image d’un monstre sacré.
Carrière au point mort. Caméos en tous genres.

Heureusement, l’avenir de la pellicule semble se nicher dans des saillies filmiques modestes ou en terre européenne. 
Ce fut le cas de “Bruegel, le Moulin et la Croix” de Lech Majewski pour Mr Hauer  et “The Painted Bird” de Vaclav Marhoul pour Mr Sands.
Et l’ensemble des critiques de se pâmer devant un talent intact….
Dans le bonus du DVD de “The Addiction” d’Abel Ferrara, sorti il y a quelques mois, Christopher Walken relevait l’absence d’appels téléphoniques des studios lorsque vous dépassiez les 70 ans (ou un peu moins).
Qu’est-ce qu’être “bankable”? Le privilège d’être plus connu que reconnu ? Où se situe l’Art ? Dans le désert des Tartares ou dans Fort Knox ?  Que chercher dans une incarnation ? Stanislavski ou Vivendi ? Films d’auteur ou blockbuster ?
Invoquons les Dieux ! Susurrons les noms de James Mangold, Jane Campion, Chloé Zhao et Denis Villeneuve aux Cieux. Mobilisons-nous pour le retour en fanfare d’un acteur-phare !Et si Monsieur Sands a le loisir de tomber sur ces lignes (!?) qu’il sache que nous jugeons- chez Lust4Live-son absence dans le paysage cinématographique mondial incompréhensible et injuste.
Fuck! What a Shame!Seriously?
“Hey, Jude, Get Back! Don’t let me down!”

John Book.


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