John Cale “POPtical Illusion”

Patchwork aussi multiforme et captivant que tout ce qu’il a fait jusqu’à présent, cet album est fantastiquement déroutant.


La carrière de John Cale ne mérite pas d’être rappelée ici, mais quelques moments forts ne seraient pas superflus. Celui qui en 1967 faisait partie du The Velvet Underground, célèbre formation new-yorkaise, bananesque, qui a réalisé sûrement le meilleur album de tous les temps, en forgeant un ADN unique que les punks, les post-punks, les noise rockers et musiciens tous poils utilisent encore aujourd’hui. On retrouve encore des échos de The Gift chez des sommités modernes comme Dry Cleaning. Entre 1969 et 1976, il a produit The Stooges, Patti Smith, Nico, Sham 69, The Modern Lovers et Nick Drake

En 2012, le légendaire multi-instrumentiste gallois sortait le surprenant “Shifty Adventures Of Nookie Wood” avec la collaboration du DJ américain Danger Mouse. Puis en 2023, il sortait “Mercy“, un disque résolument moderne et une musique hautement collaborative dans le genre rock arty qu’il a toujours aimé façonner. Cette année, il sort un nouveau disque solo, “POPtical Illusion”, qui le ramène musicalement à ces fondamentaux tout en prenant le challenge de se débarrasser de l’approche collaborative qui lui a valu tant de succès. Produit par John Cale et Nita Scott, partenaire artistique de longue date,  dans son studio de Los Angeles, cet opus incarne les idées souvent tranchantes de l’octogénaire sur la vie moderne, le monde, pendant la pandémie, dans une forme plutôt mélodieuse.

Outre le fait que l’album soit vraiment captivant, le plus surprenant est son intemporalité, presque intrigante, avec cette façon de prendre la juxtaposition de styles dans une sorte de patchworks, multifaces, multicolores, partenaire artistique de longue date et pourtant intimement lié par une étrange magie à l’image de l’artwork. L’album parvient à fusionner à la fois l’esthétisme du début des années 70, à celui des années 80, puis dans les années 90, et ainsi de suite, jusqu’à prendre progressivement un pouls musical complètement contemporain. À la première écoute, ce n’est pas vraiment cohérent et même carrément déroutant. Il s’apprivoise au bout de plusieurs passages sur la platine pour mieux vous hypnotiser à la fin.

Le morceau d’ouverture “God Made Me Do It” est d’une grande délicatesse, sobre et suave. Il est immédiatement suivi par un morceau enjoué “Davies and Wales“. Le titre explosif Edge Of Reason” dans un style trap hip-hop qui rappelle “The Collective” de Kim Gordon, une autre légende du rock, “I’m Angry” avec cette instrumentation cotonneuse, est presque vaporeux dans sa légèreté. “How We See The Light ” est quant à lui plus sombre et tranchant, et “Shark-Shark” un autre des points forts de l’album et peut-être même le meilleur.

 
C’est un superbe album, sans artifice superfétatoire, panthéon déconcertant de sensibilité, légèrement au-dessus de “Mercy“, moins sombre que “Slow Dazzle“, moins conceptuel que “Vintage Violence“, aussi séduisant que “Shifty Adventures in Nooky Wood“, mais bien plus surprenant que ce que nous pouvions attendre. C’est un retour triomphant du John Cale, orné de vagues successives de rudesses et de tendresse fracassantes. C’est aussi une fantastique preuve que la musique faite par un artiste d’hier peut encore avoir sa place dans la musique contemporaine en gardant une marque bien à lui.