Jean Louis Murat & The Last Shadow Puppets. Le Choc des Titans.

Quel rapport entre la Bourboule et la péninsule de Wirral ? Un savoir-faire culinaire ? Une autarcie bénie? Que nenni. Une haine farouche et commune pour les Parisiens ? Peut-être. 
Non, la liaison fatale se veut musicale. Quoi? Il existerait une connexion souterraine plus forte que le tunnel sous la Manche ? Un pacte secret “rosbeef-froggy’s” teinté de rock?
Une obscure collaboration ?
Plutôt une effraction.
Car cette passerelle entre l’Angleterre et l’Auvergne est un rapt. Un lien défait. Une trahison plus forte que les reprises yé-yé des innocentes années 60 pillées chez nos confrères.
Tout mal s’imbrique ?
Je m’explique.
Nous sommes en 1996 et Jean Louis Murat est au firmament de sa production. Pour preuve ce somptueux sixième album “Dolorès” et une collection de chansons à faire bramer un bucheron en rut. “Fort Alamo” (après “Cheyenne Autumn“, l’ami Jean Louis poursuit son évocation de cinéphile…), “Le Train Bleu“, “Le môme éternel” et plus particulièrement ce mystérieux “Perce- neige” sur lequel je vais m’attarder. “Dolorès“, la bien-nommée, est la chapelle où s’abritent les prières d’un amoureux solitaire. A l’écoute répétée de cet opus d’une beauté vertigineuse, la messe est prononcée. Ses poèmes s’inscrivent sinueusement dans notre cortex et les mélodies s’y développent comme autant d’aveux et de désirs. “Perce-neige” est l’incarnation parfaite de ce que l’artiste auvergnat souhaite promulguer en variété française. A savoir une exigence totale. La porte s’entrouvre sur un vocabulaire/ bestiaire faisant la part belle à l’imaginaire et les ballades semblent d’un tout autre temps. Ritournelle insidieuse et aveu d’échec. Clavecin tempéré sur des passions trempées. Murat traite de la séparation à maux cachés mais nous montre la voie. Ainsi, son album concept hurle à chaque morceau la déception d’avoir quitté l’être adoré. Et tutoie des sommets.

Nous sommes en 2006 à Sheffield. Une bande de jeunes lascars débarque sur les ondes et dans les bacs avec un premier album ébouriffant. “Watever People say i am, That’s what i’m not“. Alex Turner. Jamie Cook. Nick O’ Malley et Matt Helders. The Arctic Monkeys. Ou comment botter les fesses à Oasis, Sugababes et Robbie Williams en seulement 40:56 minutes et une semaine de ventes pharaoniques. Mercury Prize et nominations à foison. Le groupe se créé indubitablement un “nom”.
2008 et deux albums plus tard (dont l’explosif “ Favourite Worst Nightmare“) , le leader du pétaradant quatuor délaisse les guitares flamboyantes pour créer avec Miles Kane (ex-“Rascals“) la bande-son idéale d’un film d’espionnage Flemmingien.
Nom de code ? Last Shadow Puppets. Mot de passe ? “The Age of the Understatement“.

Et c’est là que cela se corse…avec leur single: ” My Mistakes were made for you“.
Car, il faut bien l’avouer, ces deux fortes têtes sont semblables à une Hydre cleptomane dont la soif de composition n’a d’égale que leur flagrante manque d’inspiration. Assaut sur le Bergheaud!
Massif Central? Massive Attack!
Rewind. Play.
Et, à présent, jetons une oreille experte sur ces deux titres : “Perce-neige” et “My Mistakes were made for you” (titre prémonitoire ?).
Oui, c’est bel et bien le même air et la même chanson au tempo plus enlevé !

Grogne.
Ils ne sont-et ne furent- pas les seuls à manier l’art de la subtilisation et de la poudre auditive. Bien avant eux, le grand Jacques Brel (que je vénère) piocha dans “Greensleeves” pour composer son “Port d’Amsterdam“, Dario Moreno traduisit à sa sauce “La lettre à Elise” et Rod Stewart cambriola, sans vergogne, Jorge Ben Jor et son “Taj Mahal“.
Mais cette appropriation me fait d’autant plus de peine qu’elle s’approprie la mélancolie originelle en y injectant une orchestration des plus réussies…Que choisir ? Qui défendre ?
Le bon ou les truands ?
Le troubadour ronchon ou les mauvais garçons ?
Time’s Up!
Je mise sur une cryptomnésie mondialisée. Des excroissances anthropophages se nourrissant les unes les autres et recyclant à l’envie d’inaltérables mélodies.
Je me prends, alors, à rêver d’une collaboration inédite entre le doux auverpin (souvenir d’un concert à Bobigny- pour la tournée “A Bird on A poire“- devant une poignée d’initiés puis le bonheur d’une conversation privée backstage…l’homme se révéla affable et courtois, aux antipodes de ses éclats télévisuels) et les deux éphèbes.
La verve rabelaisienne en blouson noir.
Baudelaire chez Oscar Wilde. John Keats ou double.
Auvergne. South Yorkshire. Hoylake. Col de la Croix Morand.
In fine?
Un mash-up fantasmé.
Ou une certaine idée de la pop rock dé-confinée…

John Book.

Photo de couv. (c) Julien Mignot