[Interviews] Juniore – Anna Jean et Samy Osta – Festival Mythos 2025

Le 3 avril dernier, le festival Mythos recevait un des groupes les plus singuliers de la scène pop-rock française. Junior. Mais vous connaissez sûrement ? Le trio sortait « TROIS DEUX UN » l’année dernière, suite logique de « UN DEUX TROIS » opus coupé dans son élan par une pandémie mondiale, nous privant ainsi du plaisir de les voir sur scène. Mais loin de s’avouer vaincu, il continue d’affiner sa signature sonore avec un nouveau disque et une tournée tambour battant. Savant mélange de réverbérations vintage, de rythmiques yéyés motorik et de refrains solaires entêtants où chaque morceau semble sortir d’un juke-box hanté par l’esprit bienveillant de Françoise Hardy et d’Ennio Morricone.
Les textes d’Anna Jean, mélancoliques et doux avec une ironie mordante, portés par des mélodies qui accrochent dès la première note. Avec cet album, Juniore fait danser les fantômes d’hier dans une fête résolument moderne, entre yéyé fantomatique, surf music psychédélique et pop solaire hypnotique. Rencontre avec Anna, chanteuse et parolière, dont la voix envoûtante semble tout droit sortie d’un film d’Éric Rohmer, et Samy Osta, architecte de cette esthétique rétro-futuriste qui fait vibrer les platines et les cœurs.

 

Vous avez sorti un nouvel album l’année dernière, qui semble être la suite logique du précédent. Ce dernier était malheureusement sorti pendant la période de la COVID. Qu’est-ce que ça fait, pour un artiste, de sortir un album qui ne peut pas vraiment exister, qu’on ne peut pas défendre sur scène ?
Anna Jean : Quand on a sorti l’album, fin février, on ne savait pas encore ce qui allait arriver. On avait une tournée de deux ans bien planifiée, tout était calé.
C’était le fruit de deux-trois ans de travail acharné, à tourner partout, à sortir des choses régulièrement… Et puis trois semaines après, le Président annonce le confinement. On s’est regardés, un peu hébétés : « Ça va durer combien de temps ? » On pensait deux-trois semaines au début…

Samy Osta : On a d’abord cru qu’on pourrait décaler la tournée, la promo. On l’a fait une fois, deux fois, trois fois… À la quatrième, on a dit stop. Deux ans avaient déjà passé.

Anna Jean : Et à chaque fois, ça retombait pendant un reconfinement. C’était l’enfer.

Samy Osta : On a aussi refusé de faire des concerts « à demi-jauge », avec tout le monde assis, distancié… On n’avait pas envie de ça. On s’est dit : « Attendons, ça va se décanter. » Finalement, on est passés à un autre disque.


Ce nouvel album, justement, semble faire écho à celui que vous n’avez pas pu défendre. Il y a cette continuité, presque un miroir de l’autre…
Anna : Oui, c’était volontaire. On voulait garder une cohérence sonore, presque comme si on raccrochait les wagons avec un album qui n’avait pas pu rencontrer son public.

Samy : C’était important, surtout quand on est un « petit » groupe. On existe un peu par miracle, dix ans après. On se dit qu’il y a encore des gens qui nous suivent, alors on voulait rester fidèles à ce qu’on avait amorcé, tout en continuant d’évoluer.


Votre formation a souvent changé au fil des années. Est-ce que ça influence votre manière de créer ?
Anna : Moi, je trouve ça hyper plaisant ! Même si ça peut être un peu déstabilisant pour certains. Chaque disque a été écrit en fonction des personnes qui allaient le jouer. Même si on ne parle plus avec certaines personnes du début, il y en a d’autres avec qui on est restés très proches. Chaque passage dans Juniore laisse une empreinte.

Samy : Oui, c’est vivant. Et c’est ce qui rend chaque projet unique. On s’ennuierait sans cette énergie renouvelée.

Il y a aussi quelque chose de très humain, très fraternel dans votre musique. C’est une pop solaire unitaire.
Anna : Ah, on ne nous l’avait jamais dit, ça ! Mais c’est joli. Et c’est vrai que je suis très attachée aux gens qui font Juniore, à l’instant T.

Samy : Moi aussi. Certaines musiciennes, comme Swanny qui est avec nous depuis huit ans, font tellement partie du groupe qu’on aurait du mal à imaginer continuer sans elles.

On parle souvent de votre musique comme étant très cinématographique. D’où vous viennent ces ambiances, ces idées qui la rend si cinégénique ?
Samy : On ne réfléchit pas trop. On fait la musique qu’on ressent. Ce qu’on vit à ce moment-là s’y glisse forcément. C’est une musique très ancrée dans notre quotidien.

Anna : On est des enfants des années 90. On n’avait pas de baby-sitter, on avait la télé. On a grandi avec les Goonies, Retour vers le futur, E.T.… Et on connaît encore les répliques par cœur. L’imaginaire s’est formé là, plus que dans les livres, peut-être. Ça se ressent dans ce qu’on compose.

 

Votre musique, c’est un peu la B.O. de votre vie.
Anna : Exactement. Et même si on ne réfléchit pas trop, j’ai aussi des grosses phases de recherches. J’ai passé des heures à regarder des Scopitone… Ça nourrit l’imaginaire. Récemment la BBC nous a demandé de faire une playlist pour une émission qui s’appelle Freak Zone où, pendant une heure, les artistes choisissent les  musiques qui les ont construits. Ça m’a replongée dans les périodes où je n’écoutais que des chanteuses et des chanteurs yéyés et anti-yéyés de façon presque obsessionnelle. 

 

Ce qui m’a toujours frappé chez Juniore, c’est cette part de mystère. Comment vous entretenez ce côté un peu insaisissable ?
Anna : On est juste très mauvais sur les réseaux sociaux ! On ne sait pas vraiment comment s’y prendre. On est assez d’accord avec l’idée que vivre heureux, c’est vivre caché et que s’exposer à tout va, ce n’est pas forcément une bonne chose. Ce n’est pas une stratégie, mais on n’a juste pas envie d’être partout, tout le temps. Maintenant, je me dis que ce n’est pas bien de ne pas jouer le jeu.  Alors que tout le monde me dit : « Anna, tu n’incarnes pas ta musique alors que c’est une voix qui est très présente« . Mais bon, on ne sait pas faire autrement.

Samy : Et puis, il y a un plaisir à ne pas trop en dire. Moi, j’aime juste bien me déguiser. À une époque où tout le monde poste chez le dentiste ou au restaurant, on se dit que garder un peu de distance, c’est bien aussi. Il y a un truc qu’on ne maîtrise pas dans ce mystère.

 

Donc le mystère que vous dégagez n’est pas calculé ?
Samy : Pas du tout. Ce qu’on dégage, on ne le maîtrise pas vraiment. On aime juste se déguiser, inventer, s’amuser avec des références, des images… Mais ce n’est absolument pas une stratégie.

Anna : J’adore les mystères, les tensions humaines, les drames, les histoires vraies, les documentaires criminels…. Ça m’obsède presque. C’est horrible de le dire comme ça. Mais ça me détend. (rire) C’est quelque chose de la nature humaine que je ne comprends pas, qui m’échappe et qui me fascine.
Du coup, peut-être que cette tension transparaît un peu dans mes chansons, avec cette fascination pour ce qu’on ne comprend pas.

 

Et sur scène ? Comment ça se passe ?
Anna : C’est très instinctif. On n’est pas dans le travail au millimètre. Chaque concert est une surprise, il y a beaucoup d’impro. On redécouvre même les morceaux à chaque fois. Mais c’est cet équilibre entre nous, je pense, qui crée le petit truc en plus. C’est très plaisant.

Samy : On ne joue pas les mêmes solos, parfois on s’étonne même entre nous. Et c’est ce qui rend ça vivant.

 

Après cette période de pandémie, vous êtes revenus sur scène avec beaucoup de concerts sold out. Il y avait une vraie attente du public.
Anna : C’est vrai que les dernières années, avant la sortie du disque en 2020, on avait très peu tourné en France. On avait beaucoup joué en Angleterre. Du coup, finalement, les Anglais nous connaissaient presque plus que les Français. Là-bas, le public est très chaleureux. En France, il y a une certaine pudeur, c’est différent. On a senti quand même une belle attente aussi du public. Mais c’était très plaisant, parce que c’est notre première vraie tournée française en tête d’affiche.

 

 

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Photo de couv. Aeroes