Sous les doigts de Watine, le piano devient un souffle, une confidence, un miroir de l’âme. Depuis toujours, elle tisse entre les sons et les mots un dialogue d’une intensité majestueuse, où l’émotion s’avance à pas feutrés, portée par une langue qui se fait caresse ou blessure. Après avoir exploré les vertiges de l’expérimental, les vastes paysages de l’électro, les échos célestes du contemporain, l’artiste choisit aujourd’hui de revenir à l’essentiel, à la voix et au piano, la peau et l’esprit, la fragilité des rêves et la rudesse du temps.
Dans « N’ÊTRE QU’HUMAINE », son nouvel album, Catherine Watine se dénude doucement pour dire ce qui demeure : l’amour, la perte, le temps, la trace de nos pas sur la terre. On y perçoit la sagesse d’une maturité apaisée, la mélancolie heureuse d’une âme en quête de vérité. À travers ses confidences musicales, elle invite à un retour au sensible, à l’écoute du monde et de soi. Une traversée à la fois terrestre et céleste, où l’on apprend que la simplicité est parfois la forme la plus achevée de la beauté.
Après plusieurs années d’explorations instrumentales et expérimentales, qu’est-ce qui vous a donné envie de revenir aujourd’hui à la chanson piano/voix en français ?
Ce sont vraiment 2 démarches très différentes que j’aime tout autant l’une que l’autre.
Les explorations instrumentales avec des arrangements principalement de field recording (ou de home-recording) sont, j’oserai dire, plus faciles pour moi à mettre en place, car ce sont pour la plupart des petites pièces d’improvisation au piano que j’agrémente en studio de cordes majoritairement, et je vais chercher dans ma malle aux trésors des sons que j’enregistre régulièrement lorsque je sors de chez moi – ensuite, je les triture, je les rallonge ou pas, je peux même les changer d’octave, si bien que l’on peut avoir du mal à en connaître l’origine. Ce qui me plait dans cette démarche, c’est ma totale liberté, l’intuition que je peux poser tel son là et pas ailleurs, et emmener le titre vers des développements que je n’imaginais pas au départ de ma simple improvisation au piano.
Pour la chanson piano/voix, c’est une démarche totalement différente, je parcours les 2 chemins en même temps, je noircis des pages régulièrement et je me mets au piano au moins 1 fois par jour. Quand je sens qu’une mélodie n’est pas loin d’exister, alors je la travaille jusqu’à ce qu’elle me semble construite, et je pose un mot, une phrase, un paysage, une émotion, tout en jouant. Ensuite, soit je reprends ma plume et je termine selon l’inspiration des premiers mots, soit il m’arrive aussi souvent d’aller regarder dans mes écrits, ce qui pourrait être en osmose avec la musique.
Et donc, pour cet album, le véritable accélérateur, ce furent des textes que j’avais écrit et que je tenais à mettre en musique, et mon piano a fait le reste pour que je mette tout cela en forme.
Le titre de votre album « N’ÊTRE QU’ HUMAINE » explore aussi bien la fragilité de nos vies qu’une forme de vérité universelle. Comment s’est imposée cette thématique ?
Sans doute la maturité … une réflexion sur notre époque, sur les dérives humaines ou écologiques, sur le temps d’une manière générale, mais aussi mes propres épreuves avec 2 titres qui ouvrent et ferment l ‘album. Au fur à mesure de la composition de l’album, je me suis effectivement rendu compte que je me mettais en quelque sorte à nu en traduisant d’une manière plus universelle, tout ce qui touche à l’intime d’un être humain, l’amour, la perte, les espoirs, les renoncements. Je souhaitais que ce soit poétique et questionnant tout à la fois.
Vous citez l’influence de Debussy, Satie ou Ravel : comment ces références classiques s’incarnent-elles concrètement dans votre écriture et vos harmonies ?
Je vais sans doute vous étonner, mais ces références m’ont très souvent été citées spontanément, sans doute, l’écriture en arpèges, les mélodies mineures, et une sorte de traversée musicale paisible. Mais pour être honnête, je n’ai fait aucune étude de piano en conservatoire, juste quelques leçons pour apprendre à lire des partitions quand j’étais toute petite, car on voulait m’inscrire à des concours (Rachmaninov, Nerini et Ufam) et je n’ai pas une bibliothèque musicale importante. Bien sûr, le Boléro de Ravel ou les Gnossiennes de Satie, sont des œuvres maîtresses …
Je pourrais dire alors que je suis un bon récepteur et que de là-haut, viennent me traverser des influences musicales qui passent sous mes doigts…
Votre parcours vous a menée de l’électro au rock, de la folk au contemporain. Quelle part de ces expériences reste présente dans ce nouveau disque plus dépouillé ?
Je suis contente que vous me posiez cette question. Certains peuvent ne voir qu’un album de chansons en français, dans une tradition un peu obsolète !
Et pourtant, si on prête vraiment l’oreille, il y a sous le piano, un fourmillement de sons qui pourraient être qualifiés d’électro, ce sont mes bidouillages de sons (de bruits diraient certains) après les avoir enregistré dans la nature ou chez moi (par exemple un verre cabossé que je fais rouler sur du carrelage, me sert de base à une batterie, mes essuie-glaces, mon clignotant, des mâts qui claquent au vent, etc…) Ensuite, j’y ajoute des effets particuliers, comme un larsen, des cordes dissonantes, des expérimentations diverses.
Ceux qui aiment le dark ambient ont bien repéré tout cet humus sous le piano, et je suis ravie qu’ils aient aimé l’album.
Le piano Pleyel semble être au cœur de ce projet. Qu’a-t-il de particulier pour vous, en termes de sonorité et d’émotion ?
Ce piano est mien depuis plus de 40 ans. Il m’a accompagné dans toutes mes aventures et péripéties, dans la joie comme dans la douleur. Aux moments difficiles, il m’a servi d’ami, de confident. Je lui parle, je caresse ses touches, je lui demande d’exprimer ma mélancolie et il me fait confiance en s’ouvrant à moi.
J’ai pris l’habitude de mettre la pédale de sourdine en mode permanent, et de n’actionner que la pédale de sustain (pédale Forte) – S’exprime alors une énorme sensation de douceur qui me convient parfaitement pour pouvoir mieux dire mon texte (parlé ou chanté). Je le fais accorder régulièrement, c’est un peu un luxe, mais je lui dois bien cela !
Peut-on dire que cet album marque une forme de retour à l’intime, après la grandeur orchestrale et les paysages cosmiques de vos précédents opus ?
Pour les précédents opus (et sans doute un suivant à venir), je dirais que ce sont des moments de diversion, de divagation, d’excitation quand je cherche les paysages sonores, quand je trouve les sonorités que je souhaite ajouter. Je suis émerveillée de voir jusqu’où je peux aller lorsque je ne marche qu’à l’intuition, avec une curiosité sans limites pour des collages sonores.
Pour cet album, oui, très certainement, un retour à la simplicité, à l’intime, à une forme de repli sur moi-même, seule avec mon instrument et ma voix (et les textes bien sûr).
A l’inverse de Neil Hannon (The Divine Comedy) qui dit, lorsqu’il retrace la conception de son treizième album empreint de nostalgie et de sobriété (« Rainy Sunday Afternoon ») qu’il éprouve le besoin de se calfeutrer et d’aborder des thèmes plus profonds, c’est toujours vers une pop orchestrale qu’il se réfugie »
(Comme lui d’ailleurs, je finance et je produits mes disques seule, mais pas à Abbey Road ☺)
Pour moi, le refuge c’est mon simple piano. En fait, je joue du piano et j’écris, voilà la vérité.
Comment avez-vous abordé l’écriture des textes, eux qui apparaissent comme profondément mélancoliques et introspectifs ?
J’écrivais en anglais pour les premiers albums, sans doute pour me cacher un peu, et puis m’est venue l’envie d’écrire dans notre belle langue française, qui permet tant de suggestions, de jeux de mots, de réflexions. Ce fut le premier album ATALAYE. J’ai ensuite écrit (et récité ou chanté) des textes français sur les albums en collaboration avec INTRATEXTURES. L’album PHÔS A l’Oblique, que je recommande vraiment d’écouter (https://watine.bandcamp.com/album/phos-a-loblique).
De fil en aiguille, de mot en mot, de prose en poésie, j’ai tout un recueil qui verra peut-être le jour sous le titre « TRACES PARADOXALES ». Ce mot « paradoxal » montre bien toute l’ambiguïté de la pensée humaine, soumise à tant d’interprétations de ce que nous appelons l’existence sur terre. Et mon vecteur c’est bien la mélancolie, souvent que je qualifie d’« heureuse », car cet état d’esprit est celui qui me convient le mieux, qui me permet d’être une compagne admirative de la nature, dans le silence le plus souvent. C’est là que me viennent ces réflexions un peu métaphysiques et introspectives que j’aime poser ensuite sur le papier.
Est-ce que le choix de la langue française modifie votre façon de composer et de poser votre voix, par rapport à vos albums anglophones ?
Totalement ! Plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, en anglais, les mots sont souvent monosyllabes et peuvent se poser facilement sur une musique pop, sans grands développements. J’écrivais assez facilement en anglais pour cette raison, peu de phrases, et des accords souvent plaqués (mais bien sûr une grosse orchestration derrière).
En français, et c’était donc déjà le cas pour le premier album tout en français ATALAYE, le texte devient primordial et j’ai besoin outre de le chanter, de l’interpréter avec la plus grande attention – comme le ferait par exemple une personne invitée à lire un texte d’auteur à l’émission de télévision « la Grande librairie » – Comme tous ceux que j’ai pu voir, je suis très attentive à ma diction (récitée ou chantée). Souvent, en concert, j’aime laisser le silence s’installer entre les phrases (et je ralentis mon jeu de piano à ce moment-là) pour permettre à l’auditeur de bien en saisir les multiples portes d’entrées.
Vous avez souvent construit vos disques comme des voyages sonores. N’ÊTRE QU’ HUMAINE se vit-il aussi comme une traversée ou plutôt comme une série de confidences ?
L’un ne va pas sans l’autre. Ce furent d’abord les « confidences » comme vous les appelez. Ce que j’appellerais plutôt, l’expression des sensations humaines à toutes périodes de la vie que l’on peut traverser. Souvent d’ailleurs, ce sont des souvenirs qui remontent après une période de lente digestion ou de sidération. Le besoin de remettre les choses et les sentiments à leur vraie place, d’accepter les absents, d’accepter les tourments rôdeurs, mais croire toujours à l’amour et à la résilience, malgré quelquefois un cœur en miettes.
Et quelquefois, aborder des sujets difficiles comme les relations homme/femme où le masculin semble être encore celui qui décide, qui domine, mais que l’on peut quitter. Il y a 2 titres « Pourquoi les bars » et « Les risques de la nuit » qui sont assez évocateurs de ces valses lentes entre les 2 sexes (sans être autobiographique, je précise).
Ensuite, l’ordre des titres fut une chose importante, mais très difficile à faire, car je me suis rendu compte de la variété des sujets abordés. La traversée oui… on peut dire cela, mais pas forcément dans l’ordre de mes expériences.
Dans ce disque, sentez-vous une filiation avec certaines grandes voix de la chanson française (Barbara, Ferré, Hardy…), ou est-ce un territoire totalement à part ?
Là on parle de l’égo, la conscience et représentation que je peux avoir de moi-même en tant que personne. Je ne sais déjà pas dire que je suis une artiste, sans doute il me semble plutôt que je décore, que je bricole, que je mets en scène.
Alors, la filiation, ce sont les autres qui me la nomment … on a dit « Ferré au féminin, Watine au masculin » Ma voix peut-être oui, peut, par le timbre et l’expression, faire penser à cette grande dame qu’est Barbara – un instrument, une voix.
Françoise Hardy, cela m’étonne plus, mais il y avait chez elle, cet éveil permanent, ce besoin d’amour, dans tous ses titres, et cette douce mélancolie .
Quant à Léo Ferré, je préfère redonner la parole à un chroniqueur de l’album :
« Et puis le miracle causé par la poésie, la force de textes et d’une interprétation qui bouleversent et mettent à genoux. On entre dans N’être qu’humaine par une chanson sublime, la Force de la Vie, qui rappelle dans ses arrangements certaines séquences de la Belle et la Bête par Philip Glass. La voix, pour une raison qu’on ignore, nous rappelle l’intensité et la scansion de Léo Ferré. Rapprocher les deux pourrait paraître un non-sens mais il n’est pas certain qu’on ait depuis la disparition de Léo Ferré ressenti en français un tel niveau de concentration poétique et émotionnel dans un morceau, dans une phrase, dans un souffle. »
Après avoir exploré des dimensions parfois abstraites et cosmiques, diriez-vous que ce retour à la chanson française est aussi une manière d’ancrage, de réconciliation avec le « terrestre » ?
Encore une question qui me semble étrange. Je crois tout simplement que je n’avais jamais jusqu’alors, abordé des thèmes autant propices à la réflexion. Cela m’est venu sans doute comme, je le disais plus haut, avec la maturité. J’habite maintenant dans une ancienne chapelle, entourée d’arbres (et un petit potager), et plus que jamais, je passe du temps à contempler la nature, voir ses changements, ses intrications avec tout ce qui l’entoure et notre déni. Nous sommes, êtres humains, si peu de choses sur terre… et nous avons tant besoin d’amour. Je vais souvent entourer les arbres de mes bras pour leur montrer que je ne leur suis pas indifférente. Alors forcément oui, je songe, je pense, je réfléchis, j’aimerais que l’on trouve une façon de vivre en commun qui ne passe pas par l’invective et le combat.
Est-ce un ancrage ? est-ce une réconciliation ? plutôt une évidence que la simplicité et l’empathie prévalent et qu’il me fallait parler, chanter pour exprimer un ressenti de femme, avec un retour au poétique, avec des mots qui résonnent et qui laissent des traces. Cette humanité que sans doute je porte, sans le savoir (car on ne se pose pas la question), et qui définit mon rapport au temps et à l’infini, en me cramponnant à mes incertitudes permanentes.
Qu’aimeriez-vous que les auditeurs retiennent en premier lieu en écoutant N’ÊTRE QU’ HUMAINE : une émotion, une atmosphère, ou une réflexion ?
L’émotion car c’est une expérience intime qui permet d’entrer en communication.
Et puis, l’émotion est souvent génératrice d’une réflexion.
J’ai lu sur une chronique que « je me tenais sur le seuil du monde, comme si je venais recueillir les derniers éclats de lumière et de colère du monde ».
Si je peux toucher les personnes qui écoutent l’album, c’est tout ce qui me rend heureuse.
Catherine Watine en concert avec Quentin Rollet (saxophoniste) et Virginia Rocabois (danse) , le dimanche 9 Novembre 205 à La Chapelle (92320 CHATILLON) Ouverture des portes 16h30 concert à 17h30




