« Les jours du jaguar », c’est un livre hommage à Jean-Louis Murat signé Pierre Andrieu, où le journaliste clermontois (qui écrit chez ConcertAndCo.com et dans le magazine Plugged) a compilé les nombreux entretiens de l’artiste qu’il avait réalisés tout au long de sa carrière ainsi que de nombreux témoignages de son entourage amical, familial et professionnel. Une vie et une œuvre atypiques de l’artiste disparu soudainement en mai 2023, que l’auteur, dans son premier livre, réussit à nous transmettre avec intelligence et subtilité. Élégant, sincère, drôle et bouleversant, à l’image du disque de Murat, « Lilith », dont est tiré le titre « Les jours du jaguar ». Ce livre est un témoignage précieux, où l’esprit « punk » et franc du musicien auvergnat nous surprend et nous émeut plus que jamais. En nous rappelant au passage que Murat était bel et bien l’une des plus importantes figures de la chanson française !
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Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ton livre sur Jean-Louis Murat, Les jours du jaguar ?
C’est un artiste que j’ai beaucoup vu en concert et j’ai très souvent chroniqué ses disques sur ConcertAndCo.com. Et de fil en aiguille, j’ai fait pas mal d’interviews, 6 ou 7. Et du coup, je suis devenu fan, même si je restais critique : je n’aimais pas tout… J’ai beaucoup écouté ce qu’il faisait, à peu près depuis la sortie de l’album Mustango. Même si, bien sûr, je connaissais déjà sa musique avant 1999. J’ai failli aller le voir en concert en 1993 sur sa première tournée, mais ça ne s’est pas fait. Mon meilleur pote me faisait écouter Jean-Louis Murat depuis longtemps déjà, il a fini par me convaincre. J’aimais bien sa musique, mais je n’étais pas fan. Mon pote n’était pas là, je crois, en 1993, quand il y a eu le concert à Clermont-Ferrand à la Maison des Congrès, et du coup, je l’ai loupé. Mais plus tard, fin 2000, cet ami très opiniâtre surnommé Bilou m’a un peu traîné au concert de Murat à La Coopé, à la fin de la tournée Mustango. Et, là, ça a été la révélation, j’ai adoré le concert. J’ai trouvé ça à la fois brillant et original, et je me suis un peu plus penché sur la discographie de Murat. Puis, de fil en aiguille, j’ai fini par le rencontrer et à faire des interviews de lui, ça a duré jusqu’à la fin. Comme je suis Auvergnat, je le croisais souvent lors des concerts à la Coopérative de mai, la salle emblématique de Clermont-Ferrand. Nous avions des amis musiciens en commun, donc on se connaissait et ça se passait plutôt bien entre nous. Lorsqu’il est mort, ça m’a secoué, ça m’a profondément ému. J’avais déjà cette idée de livre en tête depuis longtemps, mais je savais qu’il n’était pas trop pour ce genre de choses. L’idée m’est revenue en 2023 lorsqu’il a annoncé son premier Best-of, qui est sorti, malheureusement, un jour après sa mort. Je m’étais dit que cette compilation pourrait être l’occasion de refaire des interviews sur sa carrière et de sortir un bouquin, je voulais lui en parler. Mais malheureusement il ne voulait pas faire d’interviews à ce moment-là. Et puis il est parti… Un mois après, je me suis dit que ça serait bien de faire un livre hommage pour raconter un peu son histoire, parler de ses albums, et pour donner envie aux gens d’écouter sa musique. Comme j’avais plusieurs interviews de lui et que je connaissais son entourage, professionnel et amical, ça s’est fait comme ça…
Pourquoi as-tu voulu inclure des interviews dans le livre ?
En fait, je voulais faire un beau livre avec des photos, une sorte d’hommage qui puisse intéresser aussi bien les fans de toujours que les gens qui ne connaissaient que quelques chansons. Tu sais, je suis un passionné de musique, donc je passe mon temps à écouter des albums, à aller à des concert, à faire des interviews, à grattouiller un peu la guitare chez moi ou avec des potes. Quand je lis des bios sur des artistes chanteurs, des musiciens la plupart du temps, c’est assez linéaire, ça commence à la naissance de l’artiste et ça va jusqu’à la mort, avec un descriptif des albums dans l’ordre chronologique etc. C’est pas toujours passionnant, parfois c’est un peu trop détaillé à mon goût, ça ne permet pas d’entrer pleinement dans l’histoire. Je voulais quelque chose de plus vivant, de plus déstructuré. Et je me suis dit, qu’en mettant mes interviews, où Murat était plutôt drôle et sincère, ça permettrait de découvrir vraiment le personnage. Et de fil en aiguille, j’ai commencé à interviewer ses amis musiciens, ingé-sons, journalistes et ses proches. Ça a enrichi le livre et ça donne plusieurs perspectives, avec des regards croisés. Murat avait une image de mauvais coucheur, de poète maudit, de quelqu’un d’un peu désagréable parfois, un mec trop rock’n’roll, trop franc… C’est un homme qui avait de multiples facettes dans sa personnalité. Je voulais quand même remettre les choses à leur place, que les gens voient qu’il avait soutenu pas mal la scène locale, qu’il avait aidé beaucoup de musiciens, qu’il les intégrait aux arrangements des albums, qu’il écoutait leurs propositions. A mon avis ce n’était pas un connard, il pouvait être un peu froid et distant de temps en temps, mais ce n’était pas du tout quelqu’un de prétentieux. Je voulais un peu rétablir la vérité sur l’homme et l’artiste qu’il était…
Et lors de tes multiples rencontres avec lui, tes interviews, est-ce qu’il y en a une qui t’a plus marqué et qui aurait scellé un peu votre amitié ?
Déjà, je n’étais pas ami avec lui, disons qu’on se connaissait. Mais nos rencontres m’ont quasiment toutes marquées, parce qu’il était toujours surprenant… Même lors de la première interview par téléphone – c’est parfois difficile d’établir une connexion en n’étant pas en face de la personne -, je me suis dis, « oui, effectivement, il a du répondant : il envoie du lourd, il dit ce qu’il pense sans filtre et il a de l’humour ». Ça avait duré un peu plus d’une demi-heure, mais ça donnait envie de lui parler à nouveau et d’en savoir plus. Murat, il était hyper punk dans ses propos, c’est un peu plus intéressant que les artistes qui sortent des éléments de langage aseptisés à chaque phrase. Là, il se passait vraiment quelque chose. Les entretiens avec lui m’ont tous marqués, le premier comme le dernier. Mais la dernière fois qu’on a fait une interview en face à face – je crois que c’était en 2009, elle est dans le livre -, c’était un véritable festival, il était en grande forme. Je l’avais diffusée sur Radio Campus Clermont et ça avait plu je crois. Je l’avais lancé sur le festival de l’île de Wight où il était parti très jeune, en stop, il y avait vu les Doors, Miles Davis et il n’avait pas aimé Jimi Hendrix, je crois. Il avait vu le groupe de Rory Gallagher, et tout un tas d’artistes passionnants. En racontant ça il était parti dans des propos assez drôles… Les rencontres avec Murat, c’était toujours imprévisible, il avait toujours des choses à dire, des points de vue intéressants à exprimer.
Il avait vraiment une vie passionnante, presque romanesque en réalité !
Quand on vient d’un milieu très modeste et qu’on se retrouve à sortir des disques, à aller enregistrer aux États-Unis, à fréquenter un peu le showbiz parisien – même s’il n’aimait pas trop ça – c’est assez incroyable. Et après, il a décidé de vivre un peu reclus, loin du showbiz, pour pouvoir bosser au calme. Jean-Louis Murat, c’est surtout plus de 30 albums, 500 chansons publiées, au moins le double ou le triple composées, ébauchées, etc. Effectivement, c’est une vie peu commune qu’il a eue.
Et puis il avait aussi écrit pour d’autres. C’est un côté de sa personnalité méconnu : il pouvait décider d’aider quelqu’un de façon assez généreuse.
Dans le livre, il y a Matt Low qui est interviewé. C’était un excellent musicien avec les Kissinmas et le Delano Orchestra avant de rencontrer Murat, mais il avait envie d’écrire des chansons et de les chanter lui-même. Il n’osait pas et c’est Murat qui l’a poussé, qui a financé ses premiers disques, qui l’a encouragé, qui l’a hébergé pour qu’il puisse travailler… Et Jean-Louis lui a écrit pas mal de chansons, pour le lancer. Murat a aussi fait des duos avec la chanteuse d’Elysian Fields, un groupe new-yorkais super classe. Il a même tissé une amitié assez forte avec eux. Il y a aussi Morgane Imbeaud avec qui il a beaucoup collaboré : il lui a écrit des textes, elle a chanté sur ses disques, il l’a « embauchée » dans son groupe de scène. Morgane était déjà connue, elle avait eu du succès avec Cocoon. Mais oui, il était assez fidèle et généreux, il faisait beaucoup bosser ses amis.
Il avait un côté assez atypique dans le paysage de la chanson française et du rock français, en étant à la fois populaire et parfois complètement en marge. Est-ce que c’est quelque chose qui t’avait séduit, dans ce personnage-là, qu’il pouvait incarner ?
Oui, le côté atypique, qu’il avait, j’ai toujours aimé. Et puis il faisait partie des artistes qui écrivaient des chansons qui me touchaient, ça c’est important, forcément. Mais surtout Murat était entièrement dévoué à la musique. Les conneries du show-biz, et les choses futiles, ça ne l’intéressait absolument pas. Lui, ce qu’il voulait, c’était écrire des chansons du niveau de ses influences (Otis Redding, Neil Young, Creedence Clearwater Revival, Bob Dylan, Léo Ferré, Gérard Manset, Anne Sylvestre, des choses comme ça) et puis y intégrer ses passions pour l’histoire, la poésie. Il faisait un mélange de tout ça en mêlant le rock, le punk et la chanson. C’est vrai, que sa carrière est complètement atypique. Un chanteur traditionnel qui commence à avoir du succès en 1989, normalement il aurait dû sortir, je ne sais pas, dix albums, s’il s’était conformé aux us et coutumes du showbiz. Et bien, lui, il en a sorti trente, parce qu’il en publiait parfois trois dans une année ! Il aimait s’impliquer dans beaucoup de projets différents. Une autre chose atypique, c’est le fait de vouloir transmettre aux jeunes générations. Son ex-femme, Laure Bergheaud, qui a été sa manageuse et qui a bossé avec lui pendant plus de 25 ans, disait qu’il aurait aimé faire plus de projets pour transmettre ses passions aux plus jeunes. C’était très important pour Murat de faire un album avec les chansons de Léo Ferré, avec des textes de Baudelaire. C’était une manière d’en parler à ses propres enfants, et pour que les gens écoutent Ferré et lisent Baudelaire.
Quand tu as commencé vraiment à mettre en forme l’idée de ce livre dans ta tête, est-ce que tu avais des limites que tu pouvais te poser ? Est-ce que tu t’étais un peu construit mentalement déjà un chemin éditorial ?
Alors, moi, ce que je voulais faire, c’est un livre hommage à Murat, je voulais évoquer ses innombrables qualités, ses quelques défauts, et éviter les ragots… Ce que je voulais, c’est vraiment parler de musique, que les gens découvrent ou redécouvrent sa musique, ses albums. C’est pour ça que j’ai fait des gros plans sur des albums peu connus, comme Parfum d’acacia au jardin ou A Bird On A Poire, ce sont des disques que les gens n’aiment pas ou qu’ils ne connaissent pas. Je voulais que le livre donne envie d’écouter les meilleures chansons de Murat, même celles se cachant sur des disques parallèles. Je désirais faire quelque chose d’intime, mais de pudique. Il a des interviews de deux de ses ex-femmes, Marie Audigier et Laure Bergheaud, parce qu’elles ont beaucoup travaillé avec lui, et parce qu’elles ont enregistré des chansons en sa compagnie. Il y a des choses intimes qui peuvent apparaître dans le livre, puisque Murat parlait beaucoup de ses amours dans ses œuvres et dans ses interviews. Mais je voulais que ça ne soit pas trop intime, c’est-à-dire que ça serve le propos pour parler d’une chanson, d’un texte. Sinon, quand il y avait des choses qui ne regardaient que Jean-Louis et sa famille, j’ai préféré ne pas les inclure dans le livre.
Tu as réussi à entrer en contact avec toutes les personnes que tu voulais ? Comment ça s’est passé ?
Oui, déjà, initialement, Marie Audigier et Laure Desbruères, deux femmes qui ont partagé sa vie et ont été très importantes dans sa carrière, ne voulaient pas trop parler, et puis au fur et à mesure de l’avancement du projet, j’ai réussi à les convaincre. C’était important puisque Marie Audigier a commencé à le fréquenter et à travailler avec lui dès 1978/79, donc elle l’a aidée au début, et après elle l’a managé quasiment jusqu’à la fin. Laure Bergheaud, elle, était avec lui à partir de 1994, et immédiatement, elle a bossé avec lui. Avec leurs témoignages on apprend plein de choses sur les doutes existentiels de Murat, son rapport au succès, sa manière de travailler. La seule personne que j’aurais aimé avoir dans le bouquin et qui a refusé, c’est le journaliste Bruno Bayon, de Libé : il avait découvert et mis en lumière Murat, ce qui l’avait beaucoup aidé. Bayon était devenu un ami intime de Jean-Louis, mais il m’a répondu qu’il n’aimait pas ressasser les choses du passé. Cela dit il m’a longuement appelé, et m’a donné quand même beaucoup de pistes qui m’ont aidé pour le livre.
N’étant pas auteur à la base, mais plutôt journaliste, le fait de t’engager dans ce projet d’écriture, ça impliquait aussi de pouvoir prendre du temps…
Ah oui ! C’était une expérience à la fois inédite et intense, puisqu’on voulait que ça sorte pour les « un an » du départ de Murat. Quand je me suis décidé, et que j’ai réussi à convaincre l’éditeur, il fallait réunir tous les éléments. Au début, il ne devait pas y avoir trop d’interviews, finalement il y en a eu plein, quinze (Denis Clavaizolle, Bernard Lenoir, Fred Jimenez, Lætitia Masson, Alain Bonnefont etc.) en plus des cinq entretiens déjà réalisés avec Murat, et ça fait une quantité de boulot assez importante en peu de temps pour préparer, retranscrire etc. Si je l’ai fait, c’est que ça me passionnait. J’ai passé 9 mois à écouter du Murat quasiment toute la journée, en écrivant. Mais je m’en suis pas lassé, je suis toujours aussi fan. Et faire des interviews, c’est une de mes passions, donc ça c’est assez bien goupillé. Ce livre sur Murat c’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps.
Ce bouquin sur Jean-Louis Murat, est-ce que ça t’a donné envie de publier d’autres livres, d’autres biographies d’artistes ?
Oui, parce que j’ai vraiment aimé écrire cette bio, qui est assez déstructurée et personnelle : c’est un peu subjectif, je ne vais pas de la naissance jusqu’au décès, je parle de ce que j’aime chez Murat. Donc, oui, je voudrais continuer à écrire dans ce style-là, c’est-à-dire en essayant de faire des choses vivantes, un peu originales, qui tranchent avec les bios plus traditionnelles. D’ailleurs cet été j’ai commencé une nouvelle bio sur un groupe qui me passionne depuis mon adolescence, ça devrait paraître fin 2025 ou début 2026.
Disponible ici : https://leboulon.net/product/murat-jours-du-jagur/
Photo de couv : JL Murat par Frank Loriou – Pierre Andrieu par Rémi Boissau