[Interview] Patrick Blain (Charles de Goal)

Figure discrète mais incontournable de la scène post-punk française, Patrick Blain, fondateur de Charles de Goal, incarne un pan entier de la musique alternative hexagonale. Depuis le tout début des années 80, son projet oscille entre urgence punk, tensions froides et audaces électroniques. À l’occasion d’une nouvelle série de concerts et de la réédition de l’album Algorithme, nous avons discuté avec lui de son parcours, des racines du groupe, et de ce qui l’anime encore aujourd’hui.

Charles de Goal s’est imposé dès ses débuts comme l’un des piliers du mouvement Post-Punk, celui des Jeunes Gens Modernes, éperdument singuliers. Cette scène, à la fois radicale et arty, réunissait à l’époque des groupes aussi variés que Marquis de Sade, Complot Bronswick, Taxi Girl, Jad Wio, Guerre Froide, ou encore Kas Product. Tous étaient portés par une même urgence créative, une fascination pour la modernité, la technologie, le détachement, et une esthétique noire, entre poésie urbaine et froideur synthétique.

Aujourd’hui, cette scène mythique inspire une nouvelle génération de groupes post-punk français qui s’approprient ses codes avec fraîcheur. De Frustration à Vox Low, en passant par les scènes indés de Rennes, Paris ou Lyon, l’héritage est vivant. Et Patrick Blain en est pleinement conscient : il voit dans ce renouveau une forme de continuité, nourrie par l’histoire ancrée dans le présent.

Toujours actif, souvent influent à son insu, Charles de Goal prouve qu’on peut exister hors des radars médiatiques tout en laissant une empreinte durable. Retour sur une trajectoire faite de ruptures, de réinventions et de convictions, avec un musicien qui n’a jamais couru après la mode, mais dont la pertinence reste intacte.



Pour commencer revenons sur tes débuts dans la musique.
Patrick 
: Je suis passionné de musique depuis toujours. Comme beaucoup, j’ai commencé ado à jouer dans des groupes. On faisait du soul façon Beatles, du « Running Soul ».
Puis le punk est arrivé. À la base, je suis bassiste, et j’ai senti rapidement que ce mouvement me correspondait. J’aimais bien aussi la new wave, avec des groupes comme Wire ou Gang of Four. Alors on a monté un groupe qui s’appelait C.O.M.A. On a sorti un disque sur le label Flamingo, qui était lié à Music Box, un magasin qui deviendra New Rose.

On avait juste amené une bande pour s’amuser, mais ils ont aimé, nous ont offert du temps de studio, et on a sorti un disque. Quand on a tenté de commercialiser, ça n’a pas marché. Le groupe s’est séparé, mais moi, j’avais encore envie de musique. C’est comme ça qu’est né Charles de Goal.

Le nom vient du boss de New Rose. Il voulait un nom marquant, facilement mémorisable. On a donc gardé « Charles de Gaulle », mais en modifiant « Gaulle » en « GOAL », pour ne pas tomber dans la référence politique directe. Ce n’était pas du tout un hommage à l’homme politique.
Au départ, on jouait aussi sur l’anonymat. Personne ne savait qui faisait quoi, et certains se faisaient même passer pour moi à Paris. (rire)

En 1981, on sort Algorithme, notre premier disque, en quasi autoproduction. Plus de 15 000 ventes sur un label indépendant. Puis j’en ai sorti trois autres. Après, je me suis un peu lassé. J’ai fait autre chose, plus orienté power trio rock.

En 2005, Algorithme ressort sur un label. On m’invite à faire un concert à la Flèche d’Or, censé être unique. Mais ça a cartonné, et les demandes ont afflué. On a rejoué dans toute l’Europe.
Finalement, la seconde période de Charles de Goal dure plus longtemps que la première, même si on a sorti moins d’albums.

On a beaucoup joué en Allemagne. Là-bas, Exposition est incontournable. Si je ne le joue pas, ça ne va pas. (rire)
On a aussi ressorti les anciens albums, remasterisés, avec des bonus : démos, prises inédites. Le deuxième est en cours de réédition.




Ça permet aux jeunes de découvrir la scène des années 80.
Patrick 
: Oui, je suis toujours aussi surpris que ça parle autant aux jeunes groupes. Beaucoup me disent que Charles de Goal a été une influence pour eux. Je sais que des groupes comme Frustration ou Vox Low, que j’aime beaucoup, nous nomment souvent en référence.

 

Votre musique est intergénérationnelle. Le public est mixte entre ceux de l’époque, ceux arrivés plus tard, et la nouvelle génération.
Patrick 
: Il n’y a pas vraiment de frontière d’âge quand les gens viennent nous voir. Le public répond toujours très bien. Mais en effet le plus surprenant c’est cette nouvelle génération de jeunes, qui ont pour certains moins de 20 ans, ils sont souvent surpris par la puissance du live. Même si certains peuvent se dire « attends, c’est un truc de vieux », Charles de Goal sur scène, ça reste très énergique. Après il faut réussir à les faire venir pour qu’ils s’en rendent compte (rire). 

 

Est-ce que ça te donne envie de composer de nouveaux titres ?
Patrick 
: Oui, bien sûr. J’ai ressorti deux disques récemment, et on va bosser sur un nouveau très bientôt. On prévoit même un enregistrement live à la Maison des Métallos cet été.
Je traîne un peu, parce que les textes me prennent la tête. J’ai plus d’idées musicales que de sujets de paroles. Pourtant avec Trump et compagnie, il y a de quoi faire.


Rejouer à Petit Bain, ça te fait quoi ?
Patrick 
: Très content. On avait joué avec Little Nemo en 2015 à Petit Bain, ça s’était super bien passé. Et rejouer avec Jad Wio, c’est sympa aussi. Denis (de Jad Wio), je le connais depuis le studio Garage. On a pas mal d’histoires communes.


As-tu toujours autant de plaisir à monter sur scène?
Patrick 
: Pour être honnête, avant, dans les années 80, je n’étais pas à l’aise sur scène. Je n’étais pas sûr de moi, et mes musiciens n’étaient pas vraiment dans la même énergie que moi. Depuis 2005, je suis mieux entouré, notamment avec Thierry Leray. Il a tout de suite compris ce que je voulais faire. Aujourd’hui, je suis vraiment heureux sur scène.


Votre musique reste très fédératrice.
Patrick 
: On essaie, on espère que ça parle aux gens, que ça les fasse trembler. Surtout qu’on a des titres très dansants, un peu plus électro. Il y a notamment le morceau Blackpool, très clean électro qui oscille entre post-punk et électro, un peu à la New Order.