[Interview] Matthieu Pigné, batteur d’Animal Triste : « Je me suis acheté une paire de couilles.»

Rendez-vous est pris place Saint-Marc. L’attachée de presse me l’avait assuré, la place était petite. Effectivement, ce n’est pas la Concorde mais bon, à l’heure du rendez-vous nous étions chacun d’un côté de l’esplanade connue pour ses bars rock et son marché.

Quelques minutes suffisent pour se retrouver au Saxo, l’une des nombreuses brasseries de l’endroit. Attablé en terrasse autour d’un Perrier pour lui, d’un café pour moi, Matthieu Pigné, également batteur de Marc Lavoine, Julien Doré, Darko, Radio Sofa et autres Maison Tellier, est là pour parler d’un autre groupe, Animal Triste, dont le déjà troisième album éclaire platines, smartphones et plateformes musicales de ce déjà très bel été 2025. Le groupe doit se produire le 17 juillet aux Terrasses du jeudi, un festival de haute tenue bien implanté chaque mois de juillet dans le centre-ville de Rouen, la ville aux 100 clochers et bien plus encore de bars et restaurants.

Matthieu est décontracté, comme à la maison. Il habite dans les hauteurs et surkiffe visiblement d’être installé dans la capitale régionale de la Normandie, au cœur de la nouvelle scène musicale française. Questions-réponses sous le soleil (de Normandie).

 

Matthieu, le groupe Animal Triste est constitué de combien de personnes ? On a parfois un peu de mal à suivre, il y a toujours une équipe A, une équipe B ?
Nous sommes six, sept avec notre sonorisateur qui fait partie du groupe. Avant, nous avions une équipe B effectivement lorsque j’avais d’autres concerts à faire, mais cette époque est révolue. Il n’y a plus d’équipe B, ni avec La Maison Tellier, ni avec Animal Triste. Que l’équipe A.

D’où venait ce concept d’équipe A et d’équipe B ?
Parfois ne pas faire des concerts avec le groupe était une conséquence du Covid. Nous avions enregistré un album avec Animal Triste et moi, d’une manière différente, un autre avec Marc Lavoine ou encore d’autres artistes. Tout s’est arrêté avec le Covid, puis tout le monde est reparti en même temps. C’était difficile de tout faire en même temps…

David (Ndr : Faisques, aka Darko, guitariste de La Maison Tellier et d’Animal Triste) et toi, vous jouez toujours avec Marc Lavoine. Cela doit vous prendre énormément de temps ?
Pas du tout. Vraiment pas. Avec Marc Lavoine, c’est un projet qui s’active tous les 3 ans, et il ne s’agit pas de grosses tournées. Marc Lavoine est un artiste que j’aime beaucoup, mais ce n’est pas forcément la musique que j’écoute. Il y a la musique que tu fais pour vivre, celle que tu fais pour survivre. Mais c’est un mec de confiance, un mec très chouette qui nous fait jouer quand on veut et qui ne nous prend pas notre énergie. Il veut que nous réalisions ses albums et nous veut avec lui sur scène, il nous met en valeur, c’est quelqu’un de très respectueux.

Toi et David êtes devenus ce que l’on appelait avant des requins de studio ?
Non, car les vrais requins de studios font des séances pour tout le monde. Ils jouent pour une artiste de reggae comme pour une chanteuse de variété. Nous aurions pu le faire à une époque, nous l’avons un tout petit peu fait à l’époque de Julien Doré, mais cela s’arrête vite ce genre de choses quand tu ne l’alimentes pas. Et moi, je ne distribue pas ma carte, je ne réseaute pas.

 

« Les Crocodiles, c’est un peu scandaleux, honteux quoi. »

 

Julien Doré quand même. Comment cela s’est-il passé avec un chanteur venant de la téléréalité ?
Il nous avait pris en première partie avec Darko, le duo que nous avions avec David. Nous avons fait une quinzaine de dates puis une trentaine lorsque nous sommes devenus un groupe avec le bassiste Matthieu Forest. De fil en aiguille, il a eu besoin de changer de musiciens. Cela s’est fait comme cela, simplement. C’était ma première incartade dans la variété, un milieu que je ne connaissais pas. A l’époque, il faisait et voulait quelque chose de rock, il n’y avait pas de problèmes. Je découvrais de nouveaux codes. Moi, les seuls trucs en français que j’aime bien, c’est Jean-Louis Murat et Dominique A, le reste cela ne m’intéresse pas des masses… J’ai très peu d’appétence pour la musique française en général et la variété en particulier. Ni Darko, ni moi n’avons couru derrière cela.

 

Moi, Lolita, ce n’était pas mal quand même (Ndr : j’adore Alizée) ?
Oui mais maintenant, Les Crocodiles, c’est peu scandaleux, honteux quoi. Un  Julien se cherchait, c’était le grand écart entre Les Inrocks et Télé Z. Il ne savait pas trop où cela allait et nous, on rigolait encore car nous faisions nos classes. Après, il ne faut jamais oublier d’où l’on vient et ce que l’on aime faire. C’est pour cela aussi que je suis parti. Je me suis cassé, David aussi.

 

« Je suis un enfant des Doors »

 

Et comment vous êtes-vous retrouvés ensuite tous les deux avec Marc Lavoine ?
Marc avait la même maison de production que Julien Doré, Auguri Productions, et avait besoin de renouveler son équipe. Nous, nous voulions travailler car c’était un peu la disette. Notre rencontre s’est très très bien passée. De Marc Lavoine, je ne connaissais que deux chansons à peine, mais je les trouvais classe. Il a beaucoup vécu, n’a plus rien à prouver,  n’est pas dans la conquête du monde. Nous sommes tombés sur quelque chose de plus doux, de moins compétitif. Moins « la réussite à tout prix ». Cela m’a laissé beaucoup de temps moral et mental pour m’interroger sur mes envies. Ce que j’aime, c’est le rock’n’roll. La musique underground, celles qui vous nourrissent. Surtout, en me cassant de chez Julien Doré, il fallait que je retrouve le pourquoi je faisais de la musique. Lorsque j’étais petit, c’était les Doors. Je suis un enfant des Doors et de tout ce qui découle derrière, Black Flag, Joy Division, les Stooges, le punk, le hardcore. J’aime le côté noir de la musique, le côté intense, Nick Cave. Et ça, je ne l’avais jamais joué de ma vie. Alors je me suis acheté une paire de couilles. Mes amis, Yannick de La Maison Tellier, Fab de Radio Sofa, ont tout de suite été enthousiastes. Nous avons commencé tous les trois, les autres musiciens nous ont rejoints avec la même envie.  Et ce qui a tout changé avec ce groupe contrairement à tous les autres, c’est qu’il a zéro objectif. Aucun plan stratégique, pas d’idées marketing. Rien. Et un plaisir de jouer toujours renouvelé.

Est-ce vraiment différent de ce que tu fais avec Marc Lavoine ?
Avec Marc Lavoine, je fais mon métier de batteur, clairement, avec une équipe délicieuse, vraiment. Avec Animal Triste, je fais mon métier d’artiste.


« Un truc complètement fou est passé dans ma vie »

Animal Triste a vraiment explosé dans le milieu underground français, avec son premier album. Notamment du fait de la rencontre avec Peter Hayes, le chanteur-guitariste de Black Rebel Motorcycle Club (BRMC). Cela a tout changé ?
Oui, et c’est complètement fou. Encore une fois, nous nous sommes autorisés à faire ce que nous voulions, en l’occurrence des duos avec des gens que nous nous aimons. Tout le monde nous disait, cela n’arrivera jamais, personne ne nous répondra, cela coûte très cher… Nous avons quand même fait une short-list des gens avec qui nous avions envie de travailler. Il y avait Mark Lanegan (Ndr : aujourd’hui décédé), David Eugene Edwards de 16 Horsepower, Black Angels, Nick Cave et, en Numéro 1, BRMC. Ce groupe nous réunit tous. Problème : BRMC n’avait jamais fait un seul featuring et je n’avais pas le contact. Par dépit, j’ai tapé Black Rebel Contact sur Internet, et je suis tombé sur un mail en Angleterre. J’ai écrit avec mon anglais moyen et je suis tombé sur l’agent anglais du groupe. Il m’a donné le mail du manager. Nous avions alors seulement trois followers sur internet avec le groupe, mais j’ai reçu un mail de Peter. Il m’a demandé ce qu’il pouvait faire pour nous aider, en nous remerciant pour la main tendue. Ce jour-là, un truc complètement fou est passé dans ma vie ! Je lui ai envoyé nos maquettes, et il nous a envoyé ses guitares, le tout par Internet car lui était à Los Angeles, en plein Covid. Ensuite est venue la question cruciale, combien tu veux ? Il nous a répondu, rien, le plaisir de la musique. Il a été d’une élégance absolue.

Cette collaboration s’est poursuivie sur votre nouvel album, « Jéricho » ?
Oui, nous sommes restés en contact et il a de nouveau participé en faisant les guitares sur deux chansons. C’est un type très fascinant, très doux, très particulier. J’aime beaucoup. Il sera en France à la fin de l’année, j’espère que nous aurons enfin l’occasion de boire une bière tous les deux, ce serait très bien. Cette fois, il nous a envoyé une mélodie chant pour un morceau, puis des guitares… Finalement, il nous a envoyé ses voix sur River of lies. C’est superbe.

Il n’a pas fait qu’écrire des parties de guitare et chanté ?
Non, il nous a aussi écrit un poème. Il parle de nous et de notre musique. La classe !

Et avec tout ça, il ne vous prend pas en tour support ?
Non, mais je pense qu’il n’y peut rien. Il en a été question, mais ils partent avec un autre groupe américain, avec qui ils ont fait toute la tournée aux USA. Tu ne peux pas te battre.

Il vous a aussi mis en contact avec toute la crème de la scène indé américaine ?
Tu parles d’Alain Johannes ? Non, ce n’est pas lui. Alain Johannes, c’est le producteur émérite de Queen Of The Stone Age, Arctic Monkeys … Il a travaillé avec PJ Harvey. Il a composé l’album du super groupe Them Crooked Vultures. Il a aussi monté les Red Hot, a appris ses premiers accords à Flea. J’ai des photos de tout ça ! Alain est chilien, c’est un type incroyable, il parle très bien français. Notre graphiste, qui le connaissait, nous en avait parlé. Il a créé un groupe WhatsApp à partir de son 06. 

 

« Marina sur scène, c’est une apparition »

 

Combien de futuring sur cet album ?
Trois : Peter Hayes, Alain Johannes chante sur deux morceaux et Marina Hands, une actrice exceptionnelle. Nous sortons un inédit avec elle en décembre. Je lui avais donné des cours de batterie et nous sommes restés assez potes. C’est une actrice sincère, ultra douée. Elle adore la musique, et est très très fan de la nôtre. Nous avons des références communes, mais les gens ne savent pas encore qu’elle chante si bien. Elle a un superbe accent anglais, je l’avais présentée à La Maison Tellier avant de jouer avec eux. C’est une très chouette amie.

Elle était au concert à Évreux il y a quelques semaines. Cela veut dire qu’elle vous suit sur les dates ?
Dès qu’elle le peut, elle vient et serait trop contente de venir aux Terrasses du Jeudi. Elle sur scène, c’est une apparition. 

Êtes-vous prêts aujourd’hui à attirer des foules ?
Des foules d’amateurs spécialisés. La musique est très compartimentée, mais c’est vrai, je sens qu’il se passe un truc car notre musique n’est pas évidente et elle est sans compromis.

Est-ce à dire que le jour où vous franchissez cette marche, David et toi arrêterez complètement de jouer avec des artistes de variétés ?
Oui. Tout le monde rêve de vivre de ce pour quoi il est né, il est fait. J’aime le rock’n’roll, j’ai envie de vivre uniquement de rock’n’roll. Mais ce n’est pas évident, aujourd’hui, en France, il n’y a que le rap et la variété. Et le rap essaie de se variétiser en plus ! Moi, c’est une chance, le rap français des maisons de disques, je n’imprime pas. Je ne fais pas attention à tout ça et c’est très bien, très très bien.

Trois derniers mots ?
Je commence tout juste l’enregistrement du prochain La Maison Tellier

Moi,  j’adore aussi le métal, je suis fan de Slayer

Et j’aime tout ce qui touche au sacré. Nick Cave disait ce truc génial : « Je ne suis pas croyant sauf dans les chansons ». Pareil, Jim Morrison parle souvent de Dieu et du Diable. Nick Cave a cela aussi, et les métalleux d’une manière parfois grand-guignolesque. Je peux écouter des choses plus calmes aussi, mais pas de musique française…

Patrick Auffret

 

Animal Triste sera en concert gratuit jeudi 17 juillet 2025 à 22 heures dans le cadre des Terrasses du Jeudi à Rouen, place du Chêne Rouge.

Photos live Patrick Auffret
Photo de couv  Mélanie Lhote