[Interview] MARTINE – « Devenir »

Avec « Devenir », son tout premier album, MARTINE bouscule. Derrière ce prénom familier, emprunté à la célèbre héroïne de notre enfance mais aussi porté par sa leadeuse, Marie-Claude Martine, se cache un duo électro-punk-rock prêt à en découdre avec les injustices d’un monde en crise.  Originaire de la campagne percheronne, MARTINE a grandi, et avec elle, la rage, la lucidité et le besoin urgent de dire. « Devenir » est une grosse claque sonore, entre textes engagés, sarcasme bien senti et pulsations électrisantes. On y entend la révolte contre le racisme, le patriarcat, la violence sociale ou encore la destruction du vivant, mais aussi une immense soif de liberté, de joie et de transformation. Portée par une énergie live puissante, une production minimaliste et des paroles tranchantes comme un scalpel, MARTINE nous prend à rebrousse-poil et nous invite à reprendre le contrôle de nos vies, de nos corps, de nos rêves. Pour découvrir ce combo qui ne fait pas semblant, nous avons posé quelques questions à Martine. 

« Devenir » est un album profondément engagé et personnel. Qu’est-ce qui a été le déclic pour que Martine prenne la parole aujourd’hui, avec autant de force et de frontalité ?
Il y en a eu plusieurs. Le premier déclic, c’est bien sûr la situation politique actuelle, que je trouve de plus en plus violente et absurde. De plus, avec mes projets précédents, on parlait plus de sentiments intimes, individuels, et j’avais une certaine frustration. J’avais envie de parler davantage de valeurs et de luttes dans mes chansons, de me tourner vers l’extérieur plutôt que de parler uniquement de moi.
Enfin, le fait d’écrire en français pousse à assumer ses textes. C’est plus facile de se cacher en anglais ou d’écrire des choses plus floues. Le français amène une certaine violence, une forme de confrontation. Au début, j’ai eu du mal à m’y habituer, et maintenant, j’adore chanter en français.

L’identité est au cœur de cet album, à la fois individuelle et collective. Comment avez-vous abordé cette notion dans l’écriture des textes ?
Je pense que l’on est tous modelés, influencés par un système social, familial ou amical, et c’est important de l’appréhender pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et ce que l’on ressent.
Dans mes premiers groupes, je ne parlais que de mon mal-être (d’artiste incompris !), mais je pense qu’avec l’âge, on tourne un peu en rond avec ce thème. Je trouve très intéressant de comprendre pourquoi on est telle ou telle personne.
Dans Consumé par la haine, par exemple, j’essaie de me mettre dans la peau de quelqu’un qui a la haine de l’autre, et je me demande comment il en est arrivé là.
Moi, je pense que l’humain est profondément bon, et qu’il devient violent parce qu’il a subi des violences qu’il reproduit ensuite.

Le nom « Martine », à la fois clin d’œil à une icône enfantine et porteur d’un vécu féminin adulte, semble très symbolique. Qu’avez-vous voulu dire en choisissant ce nom de scène ?
À la base, ce n’était pas mon idée, et je n’étais pas chaude du tout. Déjà que j’ai eu du mal à m’habituer à mon prénom… Si tout le monde m’appelle par mon nom, je vais finir schizo, lol.
Et puis, j’imaginais direct les blagues du public : Martine à la plage, etc. Bref, lourd.
Mais en y réfléchissant, je me suis dit que Martine, c’était un peu moi étant enfant. Une petite fille jolie, mignonne, qu’on objectivise, qu’on sexualise, et à qui on ne laisse jamais la parole. Tout le monde se fout de sa gueule, la prend pour une idiote, sans jamais lui permettre de répondre.
D’ailleurs, l’auteur de la BD est un pédophile condamné et un misogyne notoire.
Donc, même si elle est imaginaire, je pense que la symbolique d’une femme qui reprend le contrôle de son image, de son intégrité physique, et qui ose s’affirmer, est très forte. C’est libérateur pour toutes les femmes ou les enfants qui se sont sentis opprimés.

Les titres comme « Parasite », « Consumée par la haine » ou « Vivement la misère » sont très explicites. Comment réussissez-vous à allier colère politique et énergie musicale sans tomber dans le désespoir ?
Je me place souvent du point de vue de celui que je critique. Déjà, ça m’amuse de jouer ce rôle, et puis je n’aime pas vraiment les textes moralisateurs ou donneurs de leçons.
Là, je ne fais que grossir les traits, comme une caricature musicale en quelque sorte.
Dans Parasite, je parle clairement des gens comme Elon Musk, et je lui donne la parole sans filtre, sans langue de bois. Par exemple, quand je chante « Je hais les femmes, elles veulent être mon égal », je trouve ça beaucoup plus fort pour faire passer mon message.

Vous avez une formation classique et jazz, mais vous explorez ici un rock brut, mêlé à des sonorités électro-punk. Comment s’est construite cette identité sonore atypique ?
Ça a commencé avec mes deux grands frères, qui avaient des goûts très différents. L’un me faisait écouter de la techno, des musiques de films, de l’indus ; l’autre était plus jazz ou chanson française. Et puis après, j’ai étudié 12 ans la clarinette dans une harmonie très ouverte d’esprit, je dirais même un peu punk pour l’époque.
Du coup, à l’adolescence, j’aimais autant Starmania, David Krakauer que Nine Inch Nails. Ensuite, je me suis forgée ma propre culture rock, notamment avec PJ Harvey, Placebo, Muse, etc.
Du coup, j’adore les artistes comme Björk, qui explorent beaucoup de styles musicaux.
Pour Devenir, il y avait une sorte d’urgence à faire un album. Je voulais le sortir vite, car il y a pas mal de compos que j’ai écrites depuis longtemps.
Maintenant qu’il est sorti, on va prendre plus notre temps pour les prochaines tracks, et probablement mélanger davantage les styles, et développer des ambiances. Je pense notamment développer le côté clarinette klezmer, que je trouve génial à mêler avec de l’électro.  Le 2e album sera plus studio.

L’album sonne très live, très organique, presque comme un cri. Pourquoi ce choix de minimalisme et de sincérité dans la production ?
Clairement, parce qu’on voulait que ça sonne live. La force de Martine actuellement, c’est le live.
Ce n’est clairement pas un album qu’on met en fond en buvant un petit café à son bureau. Il est assez oppressant, les guitares sont agressives, et ça demande à l’auditeur·ice d’être presque en mouvement pour l’apprécier.
En live, c’est pareil. Souvent, les ingés son viennent me voir après le concert pour me dire qu’en balance, ils se disaient « c’est pas ouf », mais quand le concert commence, ils trouvent ça génial.
C’est une musique qui a besoin de gens, d’énergie organique.

« Devenir » parle aussi de luttes universelles : féminisme, écologie, liberté. En quoi est-ce important pour vous que votre musique soit un outil de résistance ?
Je trouve qu’on est dans un système politique qui divise. Bien sûr, dans les discours médiatiques, mais aussi physiquement. J’habite à la campagne, et ce n’est pas évident de trouver des lieux de rencontre.
Du coup, on fait des teufs dans les fermes, mais on reste dans un milieu alternatif, avec des gens qui pensent à peu près comme nous.
Les concerts, c’est un moyen incroyable de nous rassembler, dans un même lieu, avec les mêmes chansons. Et ça nous fédère. Ça nous rappelle qu’on n’est pas seul·e (un peu comme en manif, quoi).
Après, ça ne changera pas la face du monde, mais je pense que les artistes doivent faire leur part. Et malheureusement, les artistes qui prennent position sont de plus en plus rares.
Dans le rock notamment, je trouve ça fou. Perso, j’ai du mal à comprendre : on a la chance d’avoir un micro, de pouvoir faire du raffut… et quoi, on va l’utiliser pour parler uniquement de notre petite personne, de comment c’est dur d’être blanc en France ?
Je caricature un peu, mais le nombre de groupes de rock dont le seul thème de chanson, c’est leur ex, je trouve que c’est du gâchis.

Le dernier morceau, « Dansons », semble proposer une forme de libération par la fête et la musique. Est-ce que, pour Martine, danser peut être un acte politique ?
Dans beaucoup de pays, danser est un vrai acte de résistance qui peut nous mener en prison. Je pense qu’il faut en avoir conscience.
Danser, ça libère, ça fédère, on fait corps.
La danse, pour moi, c’est comme l’humour : ça nous permet de rester vivants malgré toutes les violences politiques que l’on subit, et de faire un gros “f****” aux politiques qui nous gouvernent . Et c’est pour ça qu’il y aura toujours des raves et des concerts de rock.
Danser, c’est la résistance des corps à l’oppression, c’est rester en mouvement pour ne pas finir enchaîné par les diktats du grand capital.

 

 

   
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