[Interview] Les Hurlements d’Léo – “Sirocco marque une nouvelle ère pour nous” Laurent Kebous

Trente ans après leurs premiers chants, Les Hurlements d’Léo n’ont rien perdu de leur force. Avec « Sirocco », leur neuvième album, le collectif bordelais fait souffler un vent chaud et fraternel sur la chanson rock française. Ce disque marque aussi le retour d’Erwann, membre fondateur, aux côtés de Laurent Kebous, son complice de toujours. Ensemble, ils réaffirment une vision artisanale et collective de la musique, loin des standards et du formatage musical. Porté par une énergie renouvelée, « Sirocco » célèbre la liberté, la poésie et la force du groupe comme espace de résistance et de fraternité. Dans un monde qui accélère et s’uniformise, Les Hurlements d’Léo choisissent la ferveur, la fraternité et le plaisir du faire-ensemble comme ligne directrice.  
Laurent Kebous nous partage les secrets de cette passion intime qui anime le collectif.

Le retour des Hurlements d’Léo, c’est aussi celui d’Erwan. Qu’est-ce que ça a défini comme cadre pour ce nouveau départ ?
Tout est parti de la tournée des 25 ans du groupe, autour de l’album « Radio Léo ». On y revisitait des morceaux emblématiques, dont « Le Café des jours heureux », créé à l’origine par Erwan. Quand il a proposé une nouvelle version, il était très enthousiaste : elle différait pas mal de l’originale. On a tourné un clip à Bordeaux, et c’est là qu’on a reparlé sérieusement. Je lui ai dit : “Ce serait quand même bête que tu ne sois pas là pour la tournée anniversaire.” Le lendemain, il m’a rappelé : “Tu as raison, je reviens.
De là, on a fait une soixantaine de dates ensemble. Pendant la tournée, on a beaucoup échangé sur son départ en 2017, sur les raisons, sur ce qu’on voulait désormais. On ne s’était jamais vraiment perdus de vue : on est amis d’enfance, et je lui avais toujours dit qu’il avait les clés de la maison.

Quand il est revenu, on a rapidement retravaillé sur des compositions. On a écrit huit titres ensemble, dont  « Il en faudra des soleils », le premier morceau du nouvel album. Ensuite, tout s’est enchaîné. Pendant la tournée de « Radio Léo », on a proposé au groupe de plancher sur un nouveau disque. On y a bossé pendant deux ans, avec des sessions mensuelles de quelques jours pour arranger les morceaux ensemble.

L’idée, c’était que chacun aille au bout de ses envies. On voulait respecter les individualités, ne plus diluer les personnalités. Chaque musicien était garant de sa composition. Résultat : un disque dans lequel tout le monde se retrouve. Sur scène, on défend neuf nouveaux titres, et le public les reçoit très bien. Il y a une vraie énergie, une fraîcheur retrouvée, un peu comme à nos débuts. Le retour d’Erwan a permis de remettre beaucoup de choses à plat, sans compromis, mais avec une direction commune. « Sirocco » symbolise pour nous une nouvelle ère, pas juste un nouvel album.

Cet album, justement, dégage une vraie fraternité et beaucoup de bienveillance. Avec déjà neuf disques au compteur, qu’est-ce qui t’a procuré le plus de plaisir dans sa création ?
Revenir à la source avec mon ami d’enfance, ça a été un grand plaisir. Ensemble, on a proposé une nouvelle manière de travailler, acceptée et adoptée par tout le monde. On a voulu aller encore plus loin musicalement, faire un album très éclectique, sans se poser de barrières. On n’est spécialistes d’aucun genre, mais on brasse tout ce qu’on a absorbé en 30 ans de tournées, dans 35 pays.
Notre rêve, c’est que quelqu’un qui vient nous voir fasse un tour du monde musical pendant une heure et demie. Si on y arrive, on a gagné. Et on continue à chanter en français, parce que c’est ce qui nous anime, ce lien aux mots, à la poésie.


Le titre Sirocco évoque le vent chaud venu du sud. Quelles thématiques communes avez-vous voulu aborder dans cet album ?
Il n’y avait pas de ligne éditoriale stricte. Chacun est arrivé avec ses idées, et on a affiné ensemble. Mais au fond, on parle toujours de la même chose : la liberté. Le sirocco symbolise ce vent libre, sans papiers, qui traverse les frontières comme il veut.
On a voulu traiter ce thème de manière plus poétique, moins frontale qu’avant. Offrir des espaces de liberté, parler d’un monde qui va trop vite, qui consomme sans réfléchir, mais où l’art reste un refuge essentiel.
Rêver, c’est tolérer. Et l’art, qu’il s’agisse de musique, de cinéma, de peinture, reste un des derniers voyages immobiles accessibles à tous.
On est conscients que le milieu culturel est fragilisé, mais il continue de se battre. Et nous, à notre échelle, on veut y contribuer. On reste un “big band” à neuf musiciens, dans un monde où tout pousse à faire du son à trois derrière un ordi. C’est un choix artisanal, mais c’est ce qui nous rend vivants.


Vous avez gardé une vraie dimension collective, à contre-courant d’une industrie souvent déshumanisée.
Oui, on a pris conscience que le groupe repose sur des fortes personnalités, et on n’a pas voulu lisser ça.
On a appris à se faire confiance mutuellement : quand l’un apporte une idée, les autres mettent leurs compétences au service de cette idée. C’est une manière d’exister autrement, de refuser le schéma “compétitif et rentable” qu’on nous impose partout.
C’est notre façon à nous de résister, d’être artisans d’un projet humain avant tout.


Et cette aventure collective, avec le retour d’Erwan, qu’est-ce qu’elle génère comme dynamique entre vous et avec le public ?
Une énergie incroyable. On est fiers, heureux, apaisés aussi. Le public ressent ça : il nous parle de “retour aux sources”. On voulait juste faire de la musique ensemble, mais on a retrouvé une lumière. Aujourd’hui, chaque concert est une célébration. On veut laisser une empreinte partout où on passe.
Ce qu’on fait, c’est du live, c’est du partage, c’est de l’amour de la scène. Et c’est ça qui nous fait tenir.


Rester neuf musiciens sur scène, c’est aussi une forme de résistance dans un monde où tout tend vers la simplification…
Exactement. C’est un idéal qu’on veut conserver. Mieux vaut une petite production artisanale sincère qu’une grosse machine industrielle sans âme. On préfère être neuf artisans, chacun payé pareil, à fabriquer nos “chaises musicales” avec amour, plutôt que de produire en masse. Et on a la chance d’être bien entourés : notre tourneur historique 3C, notre producteur Cristal Production, et notre nouveau label, At(h)ome, tenu par deux frères passionnés. Ils partagent notre vision : pas de calculs, juste l’envie de faire les choses ensemble.

Te sens-tu plus aligné aujourd’hui qu’avant, artistiquement et humainement ?
Oui, complètement. Erwan est revenu depuis quatre ans, et « Sirocco » scelle vraiment nos retrouvailles artistiques. J’ai porté le groupe seul un moment, et aujourd’hui c’est un vrai soulagement de marcher à deux. On se connaît depuis qu’on a dix ans, on se comprend sans se parler.
Avancer avec un binôme, c’est un vrai moteur. C’est plus simple, plus fort, plus vrai.

Et la suite ? Un projet à deux avec Erwan, ou la poursuite du collectif ?
On en a parlé, oui. Peut-être qu’un jour on fera quelque chose à deux. Mais pour l’instant, la dynamique du groupe est tellement belle qu’on veut la nourrir à fond. On écrit, on compose, on partage. J’ai la conviction que de très belles choses vont encore naître de cette aventure collective. Et tant que l’envie est là, il faut en profiter.

Photo de couv. Pierre Wetzel