[Interview] Leo Courbot “Passion at a distance”

L’émérite guitariste belge, Leo Courbot, naviguant quelque part entre la virtuosité de Prince, l’énergie d’Hendrix et la spatialité de Joe Satriani, nous gratifie ce mois-ci d’un deuxième album galactique, “Passion at a distance”. Au plus proche des racines musicales qui le font vibrer depuis son adolescence, tout en balayant un territoire créatif nouveau, il fait feu de tout bois dans de grandes douceurs romantiques ou de ferventes fièvres imaginatives. Accompagné d’une incroyable équipe de batteurs comme Michael Bland (Prince, George Benson…), Gene Lake (Meshell Ndegeocello, Marcus Miller, D’Angelo, Maxwell), Stéphane Galland (Joe Zawinul, Ozark Henry…) et Pat Dorcean (Ida Nielsen, Jef Lee Johnson, Zap Mama), Leo ne boude pas son plaisir et nous le partage sans contrefaçon. Face à autant d’histoires épiques rêveuses proches du centre gravitationnel de nos émotions, il est difficile de résister à ce sentiment de jubilation qui nous envahit. Et puis il y a enfin la voix de Leo qui souligne une belle chaleur humaine. De la quintessence émotionnelle à l’état pur. C’est donc là une collection de neuf chansons impeccables, aux grooves funk rock imparables, qui confère une vraie cohérence à l’album aux nuances spectrales. En attendant que cet opus soit disponible partout, le 22 mars, Leo a répondu à quelques questions…

Bonjour Leo , tu vas sortir ton deuxième album “Passion at a distance” le 22 mars prochain. Quel en a été le fil conducteur qui en a guidé son écriture ?
Bonjour et merci. Je me rends compte aujourd’hui que le fil conducteur de mes chansons est toujours la passion, les relations amoureuses et ce qui vient parfois leur faire obstacle: un rendez-vous manqué ou une distance infranchissable par exemple, mais aussi le moment de la rencontre, l’attirance et les regards qui tissent le lien avant-même la parole. Ces instants intenses sont ceux qui me font le plus vibrer dans la vie comme dans les arts. Plus spécifiquement, le fil conducteur de l’album (parce-que c’est un concept album), c’est l’espace, les étoiles, le multivers, et le vocabulaire au profond potentiel poétique que les scientifiques utilisent pour le décrire: je pense aux “corps célestes,” aux “nuages d’électrons,” aux “trous de vers” ou encore à la “passion à distance” titre de l’album tiré d’une phrase que le physicien Abner Shimony utilisait pour décrire l’enchevêtrement quantique (le fait que deux entités à distance puissent être liées au point de communiquer plus vite que la vitesse de la lumière). Je me sers de ces images pour décrire les distances infimes et infinies qui créent le désir et causent les peines d’une histoire d’amour entre un homme et une mystérieuse “fille à l’âme céleste” qu’il rencontre brièvement dans le titre d’ouverture avant qu’elle ne disparaisse et qu’il parte à sa recherche.


Il y a un enjeu différent entre un 1er et et second album, avec plus d’attente et d’exigence aussi parfois. Pour ce qui est de ton processus de création, tu avais une vision bien définie de ce que tu souhaites obtenir ?
L’enjeu est différent en effet, car un premier album est un moment fondateur pour l’esthétique du projet et son image publique. J’étais parti de rien pour le premier opus, mais maintenant, je pars de ce socle pour construire ce qui suit, et je me dois donc, sur le plan artistique, de proposer quelque chose qui serait différent, peut-être plus mûr ou plus novateur. Un premier élément déterminant pour le deuxième album était mon désir de faire enregistrer de véritables prises de batterie pour mes chansons, plutôt que de programmer des boîtes à rythme, comme j’y avais été contraint lors de l’enregistrement du premier album, pendant le confinement. J’ai tenu à travailler avec mes batteurs favorits pour ce deuxième album. L’autre objectif était de revisiter une esthétique Hendrixienne en utilisant des sons (du scratch sur “Dark Matter”) et des styles (le reggae sur “Cantique des Quantiques”) différents. L’idée m’est venue en me rendant compte des coïncidences troublantes entre la vie de Jimi Hendrix et celle du cosmologue Stephen Hawking: ils sont tous les deux nés 300 ans après Galilée, Hendrix a sorti son premier album en 66, l’année où Hawking a soutenu sa thèse de doctorat, et les deux hommes étaient fascinés par l’espace. Je me suis alors dit que le thème cosmique et la musique d’Hendrix seraient un mariage parfait.
Sur le plan “public,” j’espère forcément “faire mieux” que l’album précédent, avec davantage de concerts et de retombées médiatiques, parce-que l’idée, c’est de partager des émotions en chanson, avec des gens: être entendu me tient vraiment à cœur. Le concert est un moment de communion entre le groupe et le public, où nous nous reconnaissons dans notre humanité commune à travers des sentiments que nous connaissons tous. Je trouve ça très fort sur le plan émotionnel, c’est très important pour moi.


Avec qui as-tu travaillé pour élaborer ce nouvel album ?
Comme je voulais de véritables batteurs sur cet album, on y retrouve mon batteur de toujours, Mehdi Bennadji, qui a aussi arrangé certains titres du disque, ainsi que quatre batteurs invités: Michael Bland, batteur légendaire sur de nombreux hits de Prince; Gene Lake (Meshell Ndegeocello, Maxwell, D’Angelo), Stéphane Galland (AKA Moon, Joe Zawinul) et Pat Dorcéan (Jef Lee Johnson, Ida Nielsen, Zap Mama). Aux claviers, j’ai eu la chance de collaborer avec Florence Vincenot, Rémy Charlet, et Paul-Alain Fontaine, qui a notamment tourné avec Steve Lukather (Toto). Jean Prat a enregistré les prises de Stéphane et Pat au studio Pieuvre à Bruxelles, et le reste a été enregistré dans des studios du nord de France ou bien chez moi, dans mon home studio: The Dead Man’s Desk, où j’ai enregsitré tous les autres instruments et voix. Le mixage et le mastering sont réalisés par LH Chambat.


A la croisée des chemins entre Prince et Jimi Hendrix, dans ta musique tu convoques tour à tour une extravagance et une délicatesse mélodique pour écrire tes chansons. C’est quoi le secret de fabrication de ton cocktail musical ?
Je suis flatté que ma musique puisse t’évoque l’extravagance et la délicatesse. Je n’ai pas vraiment de secret ni de recette, mais quelques concours de circonstances qui m’aident à créer: souvent, une idée de chanson vient de quelque chose que j’ai appris récemment, ou d’un heureux hasard comme une fausse note ou une erreur qui s’avère au final être une trouvaille. Parfois la musique est déjà contenue dans les mots et leurs rythmes, si je commence par les paroles. Je pratique souvent une “cuisine” assez simple autour de la guitare, mais je cherche tout le temps un élément de tension, de subtilité ou de détail qui ferait la différence, et qui pourrait donner à penser, réfléchir, rêver, ou ressentir du plaisir. En fait, j’essaie toujours d’ajouter une “épice” qui fera “partir” les auditeur. Un élément qui stimulera leurs imaginaires et qui, je l’espère, leur donnera envie d’une deuxième écoute.

Qui sont les artistes de la scène actuelle qui t’influencent le plus et avec qui souhaiterais-tu collaborer dans l’avenir ?
Je suis très admiratif de Meshell Ndegeocello et de l’ensemble de son œuvre. Elle vient d’ailleurs de remporter le Grammy du meilleur album de jazz alternatif pour son dernier album, “The Omnichord Real Book,” sorti en 2023. Je suis aussi de loin la nouvelle scène dite de “Viral Jazz,” avec des artistes comme Mononeon, Jacob Collier, ou Louis Cole, qui se sont faits connaître par le biais des réseaux sociaux. Mon dernier grand coup de cœur, ceci-dit, c’est La Dame Blanche, une chanteuse, flutiste, percussionniste Cubaine exilée à Paris. Son hip hop afro-cubain me transporte, m’impressionne et me touche beaucoup. Je l’ai vue en live à Bruxelles en Janvier 2024, et son concert m’a fait l’effet d’un séisme (les vidéos live que l’on trouve sur le web ne restituent pas réellement l’ambiance de ses concerts: il faut aller la voir pour me croire!). Je rêverais d’enregistrer un titre en duo avec elle.

Avec Passion at a Distance tu nous transportes dans une odyssée fantasque et profondément romantique. Quel regard poses-tu sur l’ importance du romantisme dans notre monde ?
Difficile de te proposer une réponse simple. J’aurais besoin de savoir si nous parlons du romantisme littéraire – par exemple William Wordsworth et son souhait de décrire à l’aide d’éléments naturels les débordements spontanés de sentiments puissants – ou du romantisme plus généralement compris comme une relation amoureuse douce et réussie. Le désir amoureux que j’essaie d’évoquer dans l’album est romantique au sens littéraire, dans la mesure où il associe des émotions fortes et bouleversantes (le désir, le fait de se languir de quelqu’un à un point tel que c’en est insoutenable, la crainte de la séparation, l’espoir désespéré d’impossibles retrouvailles) à un environnement physique (le cosmos, les étoiles).

Peux-tu nous parler de la pochette de ton album réalisé par Philippe Caza. Comment est née l’ idée de faire appel à un lui ?
Je m’estime très chanceux d’avoir obtenu l’accord de Caza pour utiliser son merveilleux dessin. Celui-ci représente une femme cosmonaute qui est comme figée au moment même d’une révélation, comme bouleversée par une émotion débordante ou un plaisir spirituel. Les câbles reliés à son scaphandre évoquent un casque audio. Son extase serait-il causé par de la musique? De quoi rêve-t-elle? Qui est-elle? Pour moi, c’est “la fille à l’âme céleste” du titre d’ouverture (The Girl with the Celestial Soul), personnage clé de l’histoire que l’album raconte. L’idée de faire appel à Caza vient du fait que mon père lisait des BDs de science-fiction dans les années 70 (Druillet, Moebius, Caza, le magazine Métal Hurlant et les publications des Humanoïdes Associés). Il m’a prêté quelques albums quand j’étais adolescent, et j’ai baigné dans ces images à l’âge-même où je découvrais Jimi Hendrix…


A quelques jours de la sortie de ton album quel est ton état d’esprit ?
Je me sens à la fois curieux et impatient: curieux parce-que j’aimerais savoir si l’album plaira, si des auditeurs si reconnaîtront et s’ils y trouveront du réconfort (le monde est si dur!). Impatient parce-que l’album est prêt depuis plusieurs mois, et il me tarde de le présenter sur scène. J’ai hâte de célébrer sa sortie au Sunset Sunside à Paris le 28 Mars, et j’espère que de beaux concerts suivront dans l’année.


 



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